COUR NATIONALE DU DROIT D'ASILE , N° 24022199, 15 novembre 2024 (1ère Section, 2ème Chambre)
“1. Aux termes de l'article 1o, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».
2. M. B, de nationalité guinéenne, né le 15 juillet 1996, soutient qu'il craint d'être exposé à des persécutions ou à une atteinte grave, en cas de retour dans son pays d'origine, du fait de son oncle paternel en raison de la confession religieuse qui lui est imputée. Il fait valoir qu'il est d'appartenance ethnique peule et qu'il résidait à Kamsar, à proximité de Boké, au sein de la cour familiale de son oncle paternel. Sa famille paternelle, d'appartenance ethnique peule, pratiquait la religion musulmane, tandis que sa mère, d'appartenance ethnique soussou, était de confession chrétienne. Du fait des problèmes de santé de sa mère, il a régulièrement accompagné sa mère à l'église, ce à quoi son oncle paternel s'opposait. A la suite du décès de son père le 1er octobre 2019, sa mère et l'intéressé ont été pris en charge par l'oncle paternel. En raison de la religion chrétienne de sa mère, son oncle a cessé de leur verser de l'argent pour subvenir à leurs besoins. Le 30 août 2020, après avoir accompagné sa mère à l'église, il a été violenté par son oncle et ses cousins paternels. L'intéressé et sa mère ont alors quitté la cour familiale. Sa mère s'est installée chez sa sœur, tandis qu'il s'est réfugié chez un ami. Le 24 octobre 2020, sa mère est décédée. Il a porté plainte contre son oncle paternel, en vain. En conséquence, son oncle paternel l'a menacé de mort. Craignant pour sa sécurité, il a fui la Guinée le 7 février 2021 et a rejoint la France le 20 mai 2023.
3. Les pièces du dossier et les déclarations crédibles de M. B, en particulier lors de l'audience devant la Cour, ont permis d'établir les faits ayant présidé à son départ de Guinée et les craintes exprimées en cas de retour. En effet, il a su décrire, en des termes précis et personnalisés, son environnement familial et la pratique de l'islam au sein de sa famille paternelle. En particulier, il a fourni des explications détaillées concernant son oncle paternel, muezzin au sein de la mosquée de son quartier et prêcheur itinérant, et lequel imposait une vision rigoriste de la religion. De même, ses dires relatifs à la pratique religieuse de sa mère, de confession chrétienne, sont apparus concrets et étayés. S'il ressort de ses déclarations que son père ne voyait aucun inconvénient à la pratique religieuse de sa mère, il a toutefois fourni des explications circonstanciées et étayées concernant les pressions exercées par son oncle paternel, lequel lui imputait la confession chrétienne de sa mère. A ce propos, il a été en mesure d'exposer la manière dont ces pressions se sont intensifiées à la suite du décès de son père en octobre 2019. De plus, c'est en des termes précis et personnalisés qu'il s'est exprimé sur l'agression dont il a été victime de la part de son oncle et de ses cousins paternels le 30 août 2020, après avoir accompagné sa mère à l'église. Ses déclarations sont en outre corroborées par la production du certificat médical daté du 24 janvier 2024, établi par un médecin du CHU d'Angers, lequel constate des cicatrices compatibles avec ses allégations. Par ailleurs, il a livré un récit plausible concernant son dépôt de plainte auprès des autorités guinéennes, laquelle n'a pas aboutie, ainsi que sur les menaces de mort dont il a fait l'objet en conséquence de la part de son oncle. Ainsi, bien qu'il n'ait été victime de persécution qu'en raison de la confession chrétienne qui lui est imputée, l'intéressé ayant confirmé lors de l'audience ne pas pratiquer cette religion, ses déclarations s'inscrivent néanmoins dans un contexte plausible et documenté. En effet, selon le rapport de mission conjointe de l'Office et de la Cour en République de Guinée, publié en 2018 et toujours d'actualité, bien que la liberté religieuse soit consacrée par la loi guinéenne, les musulmans qui abandonnent l'islam pour le christianisme sont rejetés par leur famille, sans que le converti ne bénéficie d'une protection efficiente de la part des autorités guinéennes. Ce constat est d'ailleurs confirmé par le rapport du Département d'Etat américain sur la liberté religieuse en Guinée pour l'année 2022 qui énumère certains conflits interreligieux et mentionne la pression sociale et culturelle existante à ce sujet. Ainsi, il résulte de ce qui précède que M. B craint avec raison, au sens des stipulations citées ci-dessus de la convention de Genève, d'être persécuté en cas de retour dans son pays en raison des convictions religieuses qui lui sont imputées. Dès lors, il est fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié”.
Denis Seguin
Avocat spécialiste en droit des étrangers
Docteur en droit
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