CNDA, 14 novembre 2022, n°22040868, 2ème section, 1ère chambre:
"...3.Dans une population au sein de laquelle le mariage forcé est couramment pratiqué au point de constituer une norme sociale, les jeunes filles et les femmes qui entendent se soustraire à un mariage imposé contre leur volonté constituent de ce fait un groupe social.
5.Il ressort des sources d'information disponibles qu'en Côte d'Ivoire, si la loi n°2019-570 du 26 juin 2019 relative au mariage a réaffirmé le principe du consentement des deux époux et si le mariage forcé, qu'il soit civil, coutumier ou religieux, est désormais constitutif d'un délit au titre de l'article 439 du nouveau code pénal ivoirien, le durcissement de la législation relative au mariage forcé en Côte d'Ivoire n'affecte pas la permanence de ce phénomène. A cet égard, le Rapport de la mission en République de Côte d'Ivoire de l'OFPRA et de la Cour nationale du droit d'asile publié en 2020 souligne, comme l'avait déjà relevé le précédent rapport de mission publié en 2013 et comme le relèvent d'autres sources publiques disponibles, que la pratique du mariage forcé repose sur des fondements traditionnels et culturels très établis et perdure principalement dans les zones rurales. Le "motif économique" en est la "principale cause", ainsi que le relève le "COI Focus" du 25 octobre 2018 publié par le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides et intitulé "Côte d'Ivoire-le mariage forcé". Le rapport du Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO devenu AUEA)sur la Côte d'Ivoire, publié en juin 2019, constate également la persistance des mariages forcés malgré des efforts conjoints du gouvernement ivoirien, des agences de Nations Unies et de la société civile. Par ailleurs, il demeure particulièrement difficile pour les femmes de se soustraire à des unions, sous peine de subir un ostracisme social, ou même des violences de la part de leur famille. Le département d'Etat des Nations-Unies, dans son rapport sur l'état des droits de l'homme en Côte d'Ivoire pour l'année 2019, qui a été publié le 11 mars 2020, constate ainsi que plusieurs cas de mariages ou de tentatives de mariages forcés ont été documentés au cours de l'année 2019. Les autorités demeurent, en outre, encore peu formées sur la question. Dès lors, les femmes qui entendent se soustraire à un mariage imposé en Côte d'Ivoire constituent un groupe social au sens de la convention de Genève et sont susceptibles d'être exposées de ce fait à des persécutions".
Denis SEGUIN
Avocat spécialiste en droit des étrangers et de la nationalité
Docteur en droit
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