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Turquie opinions politiques imputées enseignant confrérie Güllen

COUR NATIONALE DU DROIT D'ASILE , n° 3021413 , 23 août 2023 (6ème section, 2ème Chambre):

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"2. M. A, de nationalité turque, soutient qu'il craint d'être exposé, en cas de retour dans son pays d'origine, à des persécutions ou à une atteinte grave en raison d'opinions politiques en faveur du mouvement de Fethullah Gülen que lui imputent les autorités. Il fait valoir les faits suivants : de 2010 à 2016, il a été enseignant dans des dershane appartenant au Hizmet et son salaire a été versé sur un compte de la banque Asya, proche du mouvement. A la suite de la tentative de coup d'Etat du 15 juillet 2016, les dirigeants de la dershane dans laquelle il officiait ont été arrêtés et il a été accusé d'être membre de la confrérie de Fethullah Gülen. Dès le mois d'août 2016, son domicile a été perquisitionné. Afin d'échapper aux pressions exercées par les autorités, il a déménagé à Konya avec son épouse il a travaillé dans une société commerciale. En juillet 2019, son domicile a été perquisitionné et il a été condiut au commissariat. Le procureur l'a accusé d'être membre de l'Organisation terroriste fethullahiste (FETÖ) et a transmis son dossier à la gème chambre de la Cour d'assises de Konya. Relâché, il lui a été interdit d'exercer la profession d'enseignant en attendant son procès. Le 2 février 2020, il a été convoqué à sa première audience et, après quatre audiences, il été condamné à cinq ans d'emprisonnement, peine qui a fait l'objet de remises. Le 15 mars 2021, son domicile a fait l'objet d'une nouvelle perquisition à la suite de laquelle il a été incarcéré et détenu huit mois et vingt-trois jours dans une prison de type T, en compagnie d'autres détenus accusés d'appartenir au FETÖ. En novembre 2021, il a été libéré en raison de l'épidémie de Covid et de la surpopulation carcérale et soumis à contrôle judiciaire. Son épouse, qui a également été enseignante dans des établissements de la confrérie entre 2010 et 2015 et qui a détenu un compte à la banque Asya, a été inquiétée à son tour après sa libération. Elle a été condamnée à cinq ans de prison pour aide et soutien à une organisation terroriste à l'issue d'une procédure judiciaire ouverte en 2022. Craignant pour sa sécurité, il a quitté son pays le 20 août 2022 et entré en France le 5 septembre 2022. 

3. Les pièces du dossier et les déclarations constantes et spontanées de M. A, notamment lors de l'audience, permettent de tenir pour établis ses liens avec le mouvement de Fethullah Gülen, ainsi que son ciblage par les autorités. Il a apporté des précisions complémentaires sur recrutement dans une école préparatoire affiliée au Hizmet après son échec au concours de la fonction publique. Il est revenu en détails sur ses conditions de travail en tant qu'enseignant d'histoire et de géographie, en précisant notamment ses horaires et la répartition des élèves. Les circonstances de la perquisition menée à son domicile en août 2016 ont été rapportées de façon substantielle et il a expliqué le départ de sa famille pour Konya par l'attitude hostile du voisinage à son égard, l'identité de son employeur étant connue dans son quartier. Il a expliqué de façon plausible le délai séparant la première perquisition à Ankara de la deuxième ayant eu lieu à son domicile de Konya en juillet 2019 par le transfert de son dossier judiciaire d'une juridiction à l'autre. Il a exposé ses conditions de détention à la prison de Konya en 2021 de façon très personnalisée, revenant notamment sur la possibilité de passer vingt minutes par semaine au téléphone avec les seuls proches dont l'identité avait été communiquée à l'administration au moment de l'incarcération, dans son cas, son épouse. L'enquête initiée à l'encontre de sa conjointe, alors qu'il était lui-même soumis à un contrôle judiciaire, lui a fait craindre la révocation de celui-ci. A cet égard, le rapport du Département d'Etat américain, publié le 11 mars 2020, sur la situation des droits humains en Turquie, documente le durcissement de la répression en soulignant que les personnes suspectées de liens avec le mouvement Gülen s'exposaient à des interrogatoires violents et à des mauvais traitements ou actes de torture visant à l'obtention d'aveux ou incitant à la délation et rapporte des abus à l'encontre des personnes en garde à vue tels que « des mauvais traitements, des chocs électriques, l'exposition à l'eau glacée, la privation de sommeil, les menaces, les insultes et des abus sexuels ». Ce rapport souligne que plus de 145 000 fonctionnaires des forces de police et forces armées ont été démis ou suspendus de leurs fonctions et plus de 80 000 personnes arrêtées ou emprisonnées depuis la tentative de coup d'Etat ayant abouti à la mise en place de l'état d'urgence, principalement en raison de liens présumés avec le mouvement de Fethullah Gülen, accusé par le gouvernement turc d'avoir orchestré la tentative de coup d'Etat du 15 juillet 2016 et désigné comme chef de l'« Organisation terroriste Fethullah » (FETÖ). Au mois de juin 2020, 414 nouvelles arrestations de citoyens turcs pour leurs liens présumés avec le mouvement Gülen ont eu lieu en Turquie, comme le relève l'article <<< Turquie en baisse dans les sondages, Recep Tayip Erdogan mise sur la répression », publié le 11 juin 2020 par le journal Le Monde. Le rapport du Département d'Etat américain relatif à l'état des droits de l'homme en Turquie, publié le 30 mars 2021, confirme ces données et rapporte que les autorités ont licencié un tiers de la magistrature et fermé plus de mille cinq cents organisations non gouvernementales pour des motifs liés au terrorisme. Le rapport annuel sur la situation des droits de l'homme en Turquie pour l'année 2020, publié par Human Rights Watch le 13 janvier 2021, cite les chiffres officiels, communiqués par le ministère turc de la justice et des affaires intérieures, et fait état, en juillet 2020, de 58 409 affaires encore pendantes devant les juridictions nationales, 132 954 cas pour lesquels une enquête était en cours et pour lesquels 25 912 personnes sont maintenues en prison. Un article du journal La Tribune du 26 avril 2021, intitulé « La Turquie ordonne l'arrestation de 532 personnes pour des liens avec Gülen », documente l'arrestation de 532 personnes en raison de leurs liens avec le mouvement Hizmet/Gülen, et confirme la persistance du ciblage de ses membres ou des personnes considérées comme telles par les autorités turques, quel que soit leur niveau de responsabilité. Plus récemment, le rapport du Home Office britannique de février 2022 « Country Policy and Information Note Turkey: Gülenist movement », affirme que les membres du mouvement Hizmet sont toujours victimes de persécutions de la part des autorités turques depuis la tentative de coup d'Etat de juillet 2016. Ainsi, M. A craint avec raison, au sens des stipulations précitées de la convention de Genève, d'être persécuté, en cas de retour dans son pays, en raison d'opinions politiques qui lui sont imputées par les autorités. Dès lors, il est fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié.La qualité de réfugié est reconnue à M. A"



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