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Refus de séjour OQTF Menace à l'ordre public Incarcération Article 8 droit au respect de la vie privée et familiale

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF 

DE NANTES 


2420046 

22 janvier 2025 

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“...Considérant ce qui suit :  

1. M. M…, ressortissant mauritanien, né le 31 décembre 1993 est entré  régulièrement en France le 23 juin 2006 lorsqu’il était mineur. Il s’est vu délivrer à sa majorité une  carte de résident valable du 12 avril 2012 au 11 avril 2022. Par un arrêté du 26 septembre 2022, le  préfet de Maine-et-Loire a refusé de renouveler sa carte de résident et lui a accordé un titre de  séjour temporaire valable du 10 août 2022 au 9 août 2023. Le 19 octobre 2023, M. M a  sollicité le renouvellement de son titre de séjour « vie privée et familiale », lequel a été refusé par  un arrêté du 12 décembre 2024 du préfet de Maine-et-Loire, assorti d’une obligation de quitter le  territoire sans délai et d’une interdiction de retour de six mois. Par la présente requête, M. M demande au tribunal d’annuler cet arrêté du 12 décembre 2024.  

Sur les conclusions à fin d’annulation :  

2. Aux termes des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde  des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « 1- Toute personne a droit au respect de sa  vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2- Il ne peut y avoir ingérence  d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue  par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la  sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre  et la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la  protection des droits et liberté d’autrui ». L’étranger qui invoque la protection due à son droit au  respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant  d’apprécier la réalité, l’intensité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en  France au regard de ceux qu’il a conservés dans son pays d’origine.  

3. En l’espèce, il est constant que M. M est entré régulièrement en France, en 2006  à l’âge de 13 ans, au titre du regroupement familial et s’est vu délivrer, à sa majorité, le 12 avril  2012, une carte de résident valable jusqu’au 11 avril 2022. Suite au non renouvellement de sa carte  de résident le 26 septembre 2022, il a ensuite obtenu une carte de séjour temporaire portant la  mention « vie privée et familiale » valable du 10 août 2022 au 9 août 2023. Or, s’il est constant  que le requérant, présent en France depuis dix-huit ans, a fait l’objet depuis avril 2014 de douze  condamnations à des peines d’emprisonnement portant sur une durée totale cumulée de cinq années, il ressort également de sa fiche pénale qu’il a été principalement condamné pour des  infractions routières y compris pour des conduites sous l’empire d’un état alcoolique, à l’exception  de trois condamnations pour violence en mai 2017, pour des violences sans incapacité par personne  étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité,  en mai 2018 pour des violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique et en décembre  2021 pour récidive de violence aggravée par deux circonstances suivies d’incapacité supérieure à  huit jours, ces condamnations n’ayant toutefois pas empêché la délivrance d’un titre vie privée et  familiale en 2022. Il est également constant qu’il est actuellement en détention depuis le 29 mars  2024 à la maison d’arrêt d’Angers où il purge une peine, édictée par la cour d’appel d’Angers de  dix mois d’emprisonnement pour des faits de récidive de conduite d’un véhicule sous l’empire  d’un état alcoolique, circulation avec un véhicule terrestre à moteur sans assurance et à une vitesse  excessive au regard des circonstances. Toutefois, il ne ressort d’aucune pièce du dossier qu’il aurait  conservé des liens familiaux et personnels dans son pays d’origine, dès lors qu’il vit en France  depuis l’âge de treize ans, que sa mère vit en France en situation régulière ainsi que sa sœur. En  outre, s’il est constant qu’il est le père d’une enfant française âgée de huit ans, T M  avec laquelle il n’établit pas établir de liens, il ressort des pièces du dossier qu’il est également  père d’une deuxième enfant française, L M, âgée de 4 ans, cette dernière habitant chez  lui depuis octobre 2023 et dont par jugement juge aux affaires familiales du 4 avril 2024, il a  obtenu du la résidence habituelle à son domicile avec un droit de visite encadré de sa mère. La  circonstance qu’il soit incarcéré depuis le 28 mars 2024, que sa fille est prise en charge par sa sœur  et sa mère et qu’elle n’aurait pas visité son père en prison, l’historique des visites au parloir ne  faisant état que de visites régulières de sa mère et sa compagne française, avec laquelle il se déclare  en union libre depuis février 2023, n’ont pas pour effet de remettre en cause le jugement du juge  aux affaires familiales ni les liens établis entre le requérant et sa fille. Dans ces conditions, alors  qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que la présence en France du requérant constitue, à la  date de l’arrêté en litige, une menace réelle et actuelle pour l’ordre public, les derniers faits de  violence datent de 2021 et alors que les liens familiaux et personnels de M. M sont établis  en France, la décision portant refus de titre de séjour en porterait à son droit au respect de la vie  privée et familiale une atteinte disproportionnée, eu égard aux motifs poursuivis de la décision.  Par suite, en refusant de lui renouveler son titre de séjour vie privée et familiale, quand bien même  la commission du titre de séjour a émis un avis défavorable, le préfet de Maine-et-Loire a méconnu  les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et  des libertés fondamentales.  

4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres  moyens de la requête, que M. M  est fondé à solliciter l’annulation de la décision de refus de  titre de séjour du 16 décembre 2024. Par voie de conséquence, les décisions portant obligation de  quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de destination et interdiction de retour  doivent être également annulées. 

Sur les conclusions à fin d’injonction :  

5. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa  décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de  droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une  nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision  juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. »

6. Eu égard au motif d’annulation retenu, le présent jugement implique que le préfet de  Maine-et-Loire délivre à M. M un titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale »  d’une durée d’un an. Il y a lieu de lui enjoindre d’y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, sous réserve de changement dans les circonstances de fait  et de droit.  

Sur les frais du litige : 

7. M. M a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle totale par une décision du  27 décembre 2024. Son conseil peut donc se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du  code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique. Il y a  lieu, dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que Me Seguin, avocat de M. M,  renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat au titre de l’aide  juridictionnelle, de mettre à la charge de l’Etat le versement à Me Seguin de la somme de 1 000  euros....".



Denis Seguin

Avocat spécialiste en droit des étrangers

Docteur en droit



cf également:


CE, 21 janvier 1977, n°01333


CAA Versailles, 22 octobre 2007, n°06VE00824 https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000017988560?isSuggest=true

Conseil constitutionnel, n°97-389, 22 avril 1997



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