1. Mme N, ressortissante géorgienne née en 1985, est entrée en France en juin 2021. Sa demande d’asile a été rejetée par une décision du 15 avril 2022 de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d’asile du 11 juillet 2022. Elle a sollicité du préfet de Maine-et-Loire la délivrance d’un titre de séjour sur le fondement de l’article L. 425-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Sa demande a été rejetée par un arrêté du 27 juillet 2022. Par un arrêté du 5 octobre 2022, le préfet de Maine-et-Loire l’a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d’office lorsque le délai sera expiré. Mme N demande au tribunal d’annuler ces arrêtés.
Sur la jonction :
2. Les requêtes nos 2211919 et 2214025 concernent la situation d’une même requérante et ont fait l’objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
3. Aux termes de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. (…) ».
4. Aux termes de l’article L. 425-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Les parents étrangers de l'étranger mineur qui remplit les conditions prévues à l'article L. 425-9, ou l'étranger titulaire d'un jugement lui ayant conféré l'exercice de l'autorité parentale sur ce mineur, se voient délivrer, sous réserve qu'ils justifient résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, une autorisation provisoire de séjour d'une durée maximale de six mois. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / Cette autorisation provisoire de séjour ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle. / Elle est renouvelée pendant toute la durée de la prise en charge médicale de l'étranger mineur, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites. / Elle est délivrée par l'autorité administrative, après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans les conditions prévues à l'article L. 425-9. ».
5. Pour refuser à Mme N la délivrance d’un titre de séjour sur le fondement de ces dispositions, le préfet de Maine-et-Loire s’est fondé sur le motif tiré de ce que le fils de la requérante, né en 2016 et souffrant d’une encéphalopathie développementale et épileptique résistante, s’accompagnant d’une régression psychomotrice, peut bénéficier en Géorgie des soins appropriés à son état de santé.
6. La partie qui justifie d’un avis du collège de médecins du service médical de l’Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence ou l’absence d’un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d’un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l’autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d’apprécier l’état de santé de l’étranger et, le cas échéant, l’accès effectif ou non à un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si l’état de santé d’un étranger justifie la délivrance d’un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
7. L’avis rendu par le collège des médecins de l’OFII le 13 mai 2022, dont le préfet s’est approprié les termes, indique que, si l’état de santé du fils de la requérante nécessite une prise en charge médicale dont le défaut est susceptible d’entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité, celui-ci peut bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine.
8. Il ressort des pièces du dossier que l’enfant T, né en 2016, est suivi dans le service de neurologie et neurochirurgie de l’enfant du centre hospitalier universitaire d’Angers pour une encéphalopathie développementale et épileptique résistante s’accompagnant d’une régression psychomotrice. Il ressort du certificat établi par le Dr V le 20 juillet 2022 ainsi que du certificat du Dr T [médecin géorgien] établi le 4 juin 2021, que les symptômes consistent en des crises de convulsion, la perte de l’usage de ses membres supérieurs, une grande fatigabilité, un bavage, l’impossibilité de marcher sans soutien bilatéral plus de quelques pas, et la perte de la préhension volontaire.
9. Il ressort en outre des pièces du dossier que l’enfant de la requérante suit un traitement médicamenteux à base de Micropakine et Buccolam, des anticonvulsivants, et d’Urbanyl, un anxiolytique. Mme N produit deux prescriptions médicales pour ces médicaments et justifie de l’ajout du cannabidiol audit traitement. Il ressort en outre du certificat médical établi par le docteur T en 2021 en Géorgie, que « compte tenu de la nature résistante de l’encéphalopathie épileptique primaire et développementale, il est conseillé au patient de rechercher des traitements alternatifs à l’extérieur du pays ». Par ailleurs, la requérante produit une capture d’écran du site géorgien de la pharmacie de Tbilissi « Aversi » répertoriant les médicaments disponibles dans le pays selon lequel l’Urbanyl, la Micropakine, le Buccolam et le cannabidiol ne figurent pas dans la liste des médicaments disponibles. Ell
e produit également un document daté du 9 septembre 2022 émanant de l’agence de régulation des activités médicales et pharmaceutiques de Géorgie, dont il ressort que les produits pharmaceutiques contenant du cannabidiol ne sont pas enregistrés sur le marché pharmaceutique de Géorgie, ni ceux contenant du clobazam, y compris l’Urbanyl. Ces éléments, qui ne sont pas contestés par le préfet en défense, sont de nature à établir que, contrairement à ce qu’a estimé le collège de médecins de l’OFII dans son avis rendu le 13 mai 2022, l’enfant de la requérante ne peut pas bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine. Par suite, la requérante est fondée à soutenir que le préfet de Maine-et-Loire a entaché sa décision de refus de séjour d’une erreur d’appréciation au regard des dispositions des articles L. 425-9 et L. 425-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des requêtes, que Mme N est fondée à demander l’annulation de la décision lui refusant la délivrance d’un titre de séjour ainsi que, par voie de conséquence, des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination du 5 octobre 2022.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
11. Le présent jugement implique nécessairement qu’il soit enjoint au préfet de Maine-et-Loire de munir l’intéressée d’une carte de séjour temporaire dans un délai de deux mois suivant la notification du présent jugement.
Sur les frais liés au litige :
12. Mme N a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Seguin renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros.
Article 1er : Les arrêtés des 27 juillet 2022 et 5 octobre 2022 du préfet de Maine-et-Loire sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Maine-et-Loire de délivrer à Mme N une carte de séjour temporaire dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : L’Etat versera à Me Seguin la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Seguin renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme N, au préfet de Maine-et-Loire et à Me Denis Seguin".
cf également CAA Bordeaux, 12 janvier 2021, n°20BX02361
Commentaires
Enregistrer un commentaire