“...Considérant ce qui suit :
Sur la demande d’asile :
1. Aux termes de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».
2. M. P, de nationalité bangladaise, né le 25 août 1987, soutient qu’il craint d’être exposé à des persécutions ou de subir une atteinte grave, en cas de retour dans son pays d’origine, du fait de militants du Parti nationaliste du Bangladesh (BNP), en raison de sa confession hindoue, sous couvert d’un conflit foncier. Originaire du village de Nij DakshinBag dans le district de Moulvibazar, il fait valoir qu’il est issu de la minorité hindoue. Sa famille possédait un commerce, des terres et un restaurant nommé « hôtel cinq étoiles ». A partir de 2018, il a fait l'objet de racket de la part de trois membres du BNP qui voulaient également spolier les terres familiales. En avril 2020, il a été victime d'une agression qui a nécessité une brève hospitalisation. A son retour, son magasin était détruit et il a dû le reconstruire. Le 26 juin 2020, il a de nouveau été victime d'une attaque, en présence de son père et de son frère. Le 5 février 2021, il a été agressé par ces mêmes individus. En octobre 2022, son épouse a échappé de peu à une agression à caractère sexuel. Le 25 mars 2023, une rixe a opposé des partisans du BNP et de la Ligue Awami. Il a appris que l'un de ses agresseurs du BNP avait perdu la vie. Il a alors appris qu'il était considéré comme suspect et que la police était venue à son domicile. Il s'est alors réfugié dans la division de Chittagong. Il a quitté son pays le 15 mai 2023 et est arrivé en France le 21 juin 2023.
3. Les déclarations précises et circonstanciées de M. P, notamment celles faites au cours de l’audience devant la Cour, ont permis de tenir pour établie sa confession hindoue et de conclure au bien-fondé de ses craintes pour ce motif en cas de retour au Bangladesh. En effet, sa confession hindoue a été établie par l’Office et n’est pas remise en cause par la Cour.
A ce sujet, il a démontré une connaissance certaine et appuyée des préceptes religieux hindous et a été en mesure de relater précisément sa pratique religieuse et la situation de la minorité hindoue dans sa localité. Par ailleurs, il a livré des informations précises sur la façon dont son agresseur, qui convoitait ses biens en raison de son appartenance à la communauté hindoue, et qui été membre de la Ligue Awami, a progressivement réussi à s’emparer du terrain agricole familial par la force. Il a également tenu un discours précis s’agissant des démarches entreprises afin de résister à son agresseur et de faire valoir ses droits, notamment en se rendant au commissariat, à deux reprises, en vain. Il s’est exprimé en des termes tangibles sur les deux agressions qu’il a subies le 26 juin 2020 et le 5 février 2021 et les pressions psychologiques dont il a été victime en raison de sa résistance à l’accaparement de ses biens. Il a également évoqué de façon précise l’agression que son épouse a subie en octobre 2022.
De surcroit, les circonstances dans lesquelles il a été impliqué dans une affaire controuvée, à la suite d’un affrontement entre deux groupes rivaux de la Ligue Awami le 24 mars 2023, et accusé à tort par son agresseur qui souhaitait lui nuire, ont été exposées avec tout autant de clarté. En outre, ses déclarations s’inscrivent dans un contexte avéré, corroboré par les sources d’informations publiquement disponibles. Le rapport annuel du Département d’Etat américain sur la liberté religieuse au Bangladesh du 12 mai 2021 et le rapport du Minority Rights Group, intitulé « Under threat : The challenges facing religious minorities in Bangladesh », publié en novembre 2016, soulignent en effet que les minorités confessionnelles au Bangladesh, notamment la communauté hindoue, sans faire l’objet de persécutions générales et systématiques, constituent des groupes vulnérables. Ces minorités confessionnelles se trouvent particulièrement exposées à l’intimidation et aux pratiques discriminatoires émanant de membres de la majorité musulmane de la population et sont susceptibles d’être exposées à des persécutions concrétisées notamment par des violences physiques, des dégradations et des destructions de lieux de culte, des accusations de blasphème et des spoliations de biens sans que les autorités publiques s’y opposent de manière efficace. Ces mêmes sources soulignent également que les violences ciblant la communauté hindoue sont fréquemment liées à des questions foncières. Sur ce point, le rapport du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) intitulé « Country of Origin Information Report – Bangladesh, Country Overview », publié en décembre 2017, rappelle que la population hindoue du Bangladesh est passée d'environ 23 % en 1971 à environ 9 % en 2016, principalement en raison de problèmes liés aux conflits fonciers, au harcèlement et aux agressions occasionnelles dont est victime cette communauté. Ce rapport recense un nombre important d'attaques contre les hindous et de nombreux actes de vandalisme visant des habitations, des temples, des monastères et des statues hindoues pour la période de janvier à septembre 2017 et indique que les conflits fonciers ont parfois touché de manière disproportionnée les minorités religieuses, en particulier la communauté hindoue. Ainsi, il résulte de ce qui précède que M. P craint avec raison, au sens des stipulations précitées de la convention de Genève, d'être persécuté en cas de retour dans son pays en raison de son appartenance à la communauté hindoue. Dès lors, il est fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié...".
Denis SEGUIN
Avocat
Spécialiste en droit des étrangers
Docteur en droit
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