“...Considérant ce qui suit :
1. Mme Salima D…, ressortissante guinéenne, née le 12 juin 1988, s’est vu reconnaître la qualité de réfugié par décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 30 mars 2018. Des visas de long séjour ont été sollicités pour Moustapha B et Mohamed M B, qu’elle présente comme ses enfants, nés respectivement les 12 mars 2008 et 11 avril 2011, en qualité de membres de famille d’une réfugiée, auprès de l’autorité consulaire à Dakar (Sénégal), laquelle, par des décisions du 31 janvier 2023, n’a pas fait droit à leurs demandes. Par une décision implicite née le 17 avril 2023, dont Mme D demande l’annulation, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
2. Aux termes de l’article D. 312-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « En l'absence de décision explicite prise dans le délai de deux mois, le recours administratif exercé devant les autorités mentionnées aux articles D. 312-3 et D. 312- 7 est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision contestée. (…) ».
3. Pour rejeter le recours préalable formé à l’encontre de la décision consulaire, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France doit être regardée comme s’étant fondée sur les motifs retenus par la décision consulaire, tirés de ce que, d’une part, les intéressés ne justifient pas de leur identité et de leur situation de famille et, d’autre part, les documents produits lors du dépôt des demandes de visas ne permettent pas de justifier que le lien de filiation n’est établi qu’à l’égard de la personne qu’ils entendent rejoindre en France, ou que l’autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux, ou qu’ils auraient été confiés à la personne qu’ils entendent rejoindre en France au titre de l’autorité parentale, en vertu d’une décision d’une juridiction étrangère.
4. Aux termes des dispositions de l’article L. 561-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (…) 3° Par les enfants non mariés du couple, n’ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (…) / L’âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ». Aux termes des dispositions de l’article L. 561-5 de ce code : « Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux ».
5. La circonstance qu’une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial des enfants d’une personne admise à la qualité de réfugié ne fait pas obstacle à ce que l’autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, sur un motif d’ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l’appui des demandes de visa.
6. Aux termes de l’article L. 811-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l’article 47 du code civil (…) ». Aux termes de l’article 47 du code civil : « Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ».
7. Il résulte de ces dispositions que la force probante d’un acte d’état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l’administration de la valeur probante d’un acte d’état civil établi à l’étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu’un acte d’état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu’il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l’instruction du litige qui lui est soumis.
8. Il n’appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d’une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
9. Aux termes de l’article L. 561-4 du même code : « Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. ». Aux termes de l’article L. 434-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint si, au jour de la demande : 1° la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux ». Et aux termes de l’article L. 434-4 du même code : « Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d’une décision d’une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France ».
10. D’une part, il ressort des pièces du dossier, et plus particulièrement des extraits du registre des actes de naissance, dressés le 11 novembre 2015 par un officier d’état civil de la commune de Boké, et des jugements supplétifs n°631 et 653 des 23 et 28 avril 2015, tenant lieu d’actes de naissance, dont les mentions sont concordantes avec celles figurant sur les passeports des intéressés, que les jeunes M B et Mo M B sont les enfants de Mme Diaby. Si le ministre de l’intérieur et des outre-mer fait valoir que les dates et lieux de naissance des parents ne sont pas mentionnés sur ces jugements supplétifs et sur les actes de naissance pris en transcription, il n’indique pas quelles dispositions de droit local auraient ainsi été méconnues. Par suite, l’identité de ces enfants et leur lien de filiation avec Mme Diaby doivent être regardés comme établis.
11. D’autre part, il ressort également des pièces du dossier, et notamment d’un jugement de délégation de l’autorité parentale du tribunal de première instance de Boké, n°186, du 2 décembre 2022, non contesté par le ministre, qu’à la demande du père des enfants, faisant valoir qu’il ne disposait, lui-même, plus de ressources suffisantes pour subvenir à leurs besoins, l’exercice de l’autorité parentale à leur égard et leur garde ont été confiées à Mme D. S’il n’est pas contesté qu’à la date de la décision attaquée, Mme D n’avait pas produit d’autorisation de sortie du territoire signée du père des enfants, le jugement du tribunal de première instance de Boké, n°186, du 2 décembre 2022 lui a, comme il vient de l’être dit, confié la garde des enfants. Dès lors qu’à la date de ce jugement, Mme Diaby résidait en France, et que ce jugement, qui se fonde sur l’intérêt supérieur des enfants, a été rendu à la demande de leur père, celui-ci doit être regardé comme ayant autorisé ses enfants M et M Ma à rejoindre leur mère sans lui. La circonstance que ce jugement n’ait été versé au dossier qu’au stade du recours administratif préalable obligatoire formé devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est sans incidence, la saisine de cette commission ayant pour effet de dessaisir l’autorité consulaire et de lui donner compétence pour se prononcer sur les demandes de visas en litige. Dans ces conditions, et alors que l’administration n’apporte aucun autre élément de nature à démontrer que les jugements produits seraient frauduleux, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n’a pu, sans entacher sa décision d’illégalité, refuser de donner une suite favorable au recours formé contre la décision de refus du visa sollicité.
12. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que Mme D est fondée à demander l’annulation de la décision attaquée.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Le présent jugement implique nécessairement qu’il soit procédé à la délivrance du visa sollicité, au profit de M B et M M B, dans un délai de deux mois suivant sa notification…”.
Denis Seguin
Avocat
Spécialiste en droit des étrangers
Docteur en droit
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