"....Sur le cadre juridique applicable et l’examen du maintien de la qualité de réfugié de M. : 2. Aux termes du 2 du A de l’article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».
3. Aux termes de l’article L. 511-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit de l’asile : « Le statut de réfugié est refusé ou il y est mis fin dans les situations suivantes (…) 2° La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France, (…) soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou une apologie publique d'un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société française. ».
4. Dans le cas où une personne se voit refuser ou retirer le statut de réfugié en application de l’article L. 511-7 précité et ne dispose donc pas, ou plus, de l’ensemble des droits qui y sont associés, elle bénéficie, en revanche, d’un certain nombre de droits prévus par la convention de Genève, interprétés et appliqués dans le respect des droits garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, du fait qu’elle a, ou continue d’avoir, la qualité de réfugiée, en dépit de cette révocation ou de ce refus de statut. Dès lors, en refusant ou en mettant fin à la protection juridique et administrative d’un réfugié sur le fondement du 2° de l’article L. 511-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, en raison de la condamnation en dernier ressort dont l’intéressé a fait l’objet en France pour un délit puni de dix ans d’emprisonnement et de la menace grave que sa présence constitue pour la société française, la décision du directeur général de l’OFPRA attaquée n’a ni pour objet ni pour effet de refuser ou de mettre fin à la qualité de réfugié de cette personne dès lors qu’elle continue à remplir, par ailleurs, les conditions prévues par le 2 du A de l’article 1er précité de la convention de Genève relative à la définition du réfugié.
5. Toutefois, il résulte de la jurisprudence du Conseil d’Etat, que, lorsque, dans le cadre d’un recours contre une décision mettant fin au statut de réfugié d’un demandeur d’asile sur le fondement de l’article L. 511-7 du CESEDA, la Cour est saisie par l’OFPRA, en cours d’instance, de conclusions visant à ce que soit remise en cause la qualité de réfugié de l’intéressé, il lui appartient de vérifier que le demandeur répond aux conditions prévues à l’article 1er de la convention de Genève.
6. Dans le cadre du présent contentieux, l’OFPRA demande à la Cour de faire application de la clause de cessation prévue par le 5° du C de l’article 1er de la convention de Genève, impliquant ainsi la remise en cause de la qualité de réfugié de l’intéressé.
7. Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu pour la Cour de vérifier dans un premier temps que M. S remplit toujours les conditions prévues aux articles 1er de la convention de Genève et L. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
En ce qui concerne l’examen de la cessation de la qualité de réfugié
8. Aux termes de l’article 1er C de la convention de Genève : « Cette convention cessera, dans les cas ci-après, d'être applicable à toute personne visée par les dispositions de la section A ci-dessus (…) (5) Si, les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d’exister, elle ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité (…) », et aux termes de l’article L. 511-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « L'Office français de protection des réfugiés et apatrides met fin, de sa propre initiative ou à la demande de l'autorité administrative, au statut de réfugié lorsque la personne concernée relève de l'une des clauses de cessation prévues à la section C de l'article 1er de la convention de Genève, du 28 juillet 1951. Pour l'application des 5 et 6 de la même section C, le changement dans les circonstances ayant justifié la reconnaissance de la qualité de réfugié doit être suffisamment significatif et durable pour que les craintes du réfugié d'être persécuté ne puissent plus être considérées comme fondées (…) ».
9. Les principes généraux du droit applicables aux réfugiés, résultant notamment des stipulations de la convention de Genève, imposent, en vue d'assurer pleinement au réfugié la protection prévue par la convention, que la même qualité soit reconnue, à raison des risques de persécutions qu’ils encourent également, à la personne de même nationalité qui était unie par le mariage au réfugié à la date à laquelle il a demandé son admission au statut ou qui avait avec lui une liaison suffisamment stable et continue pour former avec lui une famille ainsi qu’aux enfants de ce réfugié qui étaient mineurs au moment de leur entrée en France. Toutefois, ces principes généraux n’imposent pas que la qualité de réfugié soit reconnue ou maintenue à ces derniers lorsqu’ils sont devenus majeurs, hormis dans le cas où ils sont à la charge de leurs parents et où il existe des circonstances particulières, tenant notamment à leur vulnérabilité, les mettant dans la dépendance de leurs parents, de nature à justifier la poursuite de l'application à leur profit de ces principes.
10. Il appartient, dès lors, à la Cour, saisie par l’OFPRA de conclusions en cours d’instance tendant à ce que soit prononcée la cessation de la qualité de réfugié de M. , d’apprécier si ce dernier doit continuer à bénéficier de la protection qui lui avait été accordée.
En ce qui concerne l’examen de la cessation de la qualité de réfugié en raison d’un changement de circonstances
11. En l’espèce, M. S est devenu majeur le 3 décembre 2019 et a fondé une famille depuis la naissance de son enfant le 13 août 2023. Au regard des déclarations lors de l’audience de l’intéressé, il résulte de l’instruction qu’à la date de la présente décision, M. S ne démontre pas être dans une dépendance matérielle et morale à l’égard de son père qui bénéficie du statut de réfugié et ne justifie pas plus de circonstances particulières tenant notamment à sa vulnérabilité qui le mettraient dans une situation de dépendance vis-à-vis de son père. Dès lors, les circonstances ayant justifié que, par application du principe de l’unité de famille, la qualité de réfugié lui soit reconnue, alors qu’il était mineur, doivent être regardées comme ayant changé de manière significative et durable au sens du 5) du C de l’article 1er de la convention de Genève précité.
12. Le besoin de protection de M. SASIVARI doit donc être apprécié à la date de la présence décision.
En ce qui concerne l’examen des craintes actuelles et personnelles de M. SASIVARI – l’existence d’un nouveau motif conventionnel de protection
13. Il ressort de la documentation publique disponible, et notamment des rapports du département d’Etat américain sur les pratiques en matière de droits humains en Serbie pour les années 2022 et 2023, respectivement publiés le 20 mars 2023 et le 23 avril 2024, que la minorité rom continue d’être victime de discriminations et que, malgré la constitutionnalisation et la légalisation de la protection des droits et libertés des minorités nationales, les Roms ont subi plus de discrimination et de marginalisation que tout autre groupe minoritaire en 2022 et en 2023. Le rapport de l’Organisation suisse de l’aide aux réfugiés (OSAR) du 15 mars 2015, toujours d’actualité, intitulé « Serbie : agressions contre les Roms et les Ashkali », souligne que les Serbes d’origine rom ne se sentent pas suffisamment protégés par la police serbe, celle-ci se montrant souvent corrompue, inefficace et réticente à intervenir quand les menaces concernent les Roms et Ashkali. Par ailleurs, le rapport de l’organisation non gouvernementale Amnesty international 2021-2022 recense que les Roms de Serbie font toujours l’objet de discriminations fortes, et sont victimes de mauvais traitements, y compris de la part de la police.
14. Compte tenu de son âge, de son profil et des circonstances de son séjour en France où il a bénéficié du statut de réfugié du fait des origines roms de son père, M. S, né en Suède, dont l’appartenance à la communauté rom est également tenue pour établie, qui a rejoint le territoire français à l’âge de cinq ans et ne maîtrise pas la langue serbe, présente un profil l’exposant à un risque de persécutions en raison de ses origines ethniques en cas de retour en Serbie. Au surplus, la circonstance suivant laquelle son père a fui leur pays d’origine et le gouvernement serbe il y a dix-sept ans, la relation de proximité dont il témoigne avec son parent et l’absence d’attaches familiales dans ce pays sont de nature à exacerber ses craintes personnelles, en particulier dans le contexte où, M. S, parfaitement francophone, ne pourrait se prévaloir de la protection des autorités serbes, dont il ne maîtrise pas la langue. Par suite, M. S craint avec raison, au sens des stipulations citées ci-dessus de la convention de Genève, d’être persécuté en cas de retour dans le pays dont il a la nationalité et est fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié.
15. A cet égard, M. S étant fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié, la clause d’exclusion soulevée par le directeur général de l’OFPRA et fondée sur le 4° de l’article L. 512-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile doit être écartée comme inopérante.
Sur l’examen de la révocation du statut de réfugié de M. S :
16. En application du 2° de l’article L. 511-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il peut être mis fin au statut de réfugié d’un étranger à la condition, d’une part, que la personne concernée ait été condamnée en dernier ressort en France pour un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement et, d’autre part, que sa présence constitue une menace grave pour la société.
17. En premier lieu, il résulte de l’instruction, notamment du bulletin numéro 2 du casier judiciaire de M. S du 1er septembre 2023, que ce dernier a fait l’objet le 5 août 2021 d’une condamnation par le tribunal correctionnel d’Angers à une peine d’un an et trois mois d’emprisonnement dont huit mois avec sursis probatoire pendant deux ans pour des faits qualifiés de complicité de transport non autorisé de stupéfiants, complicité de détention non autorisée de stupéfiants, complicité d’offre ou cession non autorisée de stupéfiants, et complicité d’acquisition non autorisée de stupéfiants. La peine encourue pour de tels faits est de dix ans d’emprisonnement aux termes de l’article 222-37 du code pénal. M. S ayant été condamné en dernier ressort en France pour un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement, la première condition posée au 2° de l’article L. 511-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est remplie.
18. En second lieu, le recours à la notion de menace grave pour la société suppose l’existence, en dehors du trouble pour l’ordre social que constitue toute infraction à la loi, d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de cette société. La constatation de l’existence d’une telle menace doit être fondée sur une appréciation, par l’Office puis le cas échéant par la Cour, du comportement personnel de l’intéressé, prenant en considération les éléments sur lesquels la condamnation pénale s’est fondée, tout particulièrement la nature et la gravité des crimes ou des agissements qui lui sont reprochés, le niveau de son implication individuelle dans ceux-ci ainsi que l’existence éventuelle de motifs d’atténuation de sa responsabilité pénale relevés dans sa condamnation. Cette appréciation globale doit ensuite déterminer, compte tenu du temps qui s’est écoulé depuis la commission de ces crimes ou agissements ainsi que du comportement ultérieur adopté par cette personne, si ce comportement manifeste la persistance chez celle-ci d’une attitude susceptible de porter gravement atteinte aux intérêts fondamentaux de la société.
19. En l’espèce, il convient de relever que M. S a fait l’objet de deux condamnations pénales pour un délit portant atteinte à la santé et à la sécurité publique et pour un délit routier, ces délits ne concernant aucune atteinte directe aux personnes. Il résulte par ailleurs de l’instruction qu’il a été condamné, pour les faits les plus graves, à une peine d’un an et trois mois d’emprisonnement, dont huit mois avec sursis probatoire pendant deux ans, pour des faits de complicité de transports non autorisé de stupéfiants, complicité de détention non autorisée de stupéfiants, complicité d’offre ou de cession non autorisée de stupéfiants et de complicité d’acquisition non autorisée de stupéfiants, ces faits étant commis durant une période de six mois, du 1er janvier au 29 juin 2021et qu’il témoigne de sérieux gages de réinsertion, plus de trois ans après les faits à l’origine de la première condamnation. M. S a déclaré de manière constante avoir coupé tout contact avec les membres du réseau de délinquance dont il avait été reconnu complice et, interrogé longuement lors de l’audience publique sur son positionnement actuel à l’égard des faits à l’origine de sa condamnation et sur son implication dans une filière de trafic de stupéfiants, il a été en mesure de tenir des propos convaincants et spontanés sur les circonstances qui l’ont conduit à l’adolescence à participer à des trafics de stupéfiants, a reconnu les faits, et a fait montre de regrets sincères et d’une prise de conscience réelle de la gravité des faits pour lesquels il a été condamné. Au surplus, l’avis favorable du SNEAS en date du 29 juillet 2022 et les aménagements de peine dont il a bénéficié suite à sa condamnation en août 2021 attestent de l’absence de menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société, ces aménagements étant de surcroît intervenus après un mois et demi d’incarcération, et ayant été maintenus, y compris après sa condamnation en août 2022 pour refus d’obtempérer à une sommation de s’arrêter. Ainsi, le requérant a été admis au régime de la semi-liberté une semaine après sa condamnation, puis d’une détention à domicile sous surveillance électronique dans le cadre de l’exécution de ses peines et il a effectué son sursis probatoire. De plus, il a démontré de la constance de sa démarche d’insertion professionnelle, à l’aune des nombreux documents utilement versés à l’appui de sa demande, tels qu’une attestation d’accompagnement de l’association « Service emploi accompagnement » en date du 13 octobre 2022, certifiant de l’accompagnement de l’intéressé dans ses démarches administratives et d’insertion professionnelle depuis 2018, un bulletin de paie de juillet 2020 délivré par la société AITA, un bulletin de paie de novembre 2020 délivré par l’agence d’intérim « S...A », des bulletins de paie de juillet 2021 à septembre 2022 de l’agence d’intérim « P... S... O... », un certificat de travail en date du 11 mai 2022, témoignant que l’intéressé a été employé en qualité de monteur câbleur dans le cadre de plusieurs missions ponctuelles (7) sur une période couvrant avec interruption de juin 2021 à avril 2022, une attestation d’employeur en date du 30 septembre 2022, un contrat de mission temporaire en date du 30 septembre 2022, une attestation de réussite à la pratique PEMP élévation multidirection du lundi 30 au mardi 31 mai 2022, délivrée le 1er juin 2022 à Ancenis, une attestation de fin de formation délivrée par le directeur du centre A... de Verrieres en Anjou relative à sa participation, en tant que salarié de P... 191 à la formation CCCCC01 R489 Initiation CACES Cariste Catégorie 1B en date du 8 février 2021, un certificat de travail émis par la société d’intérim P... S... O..., attestant que l’intéressé a effectué deux missions en qualité de monteur câbleur et de technicien niveau I respectivement du 11 septembre au 1er décembre 2023 et du 4 décembre 2023 au 23 février 2024, une promesse d’embauche, en date du 11 juillet 2024, en tant que monteur en contrat à durée indéterminée, un certificat de travail, en date du 3 octobre 2024, pour des périodes allant du 28 novembre 2022 au 13 mai 2024, en qualité de monteur câbleur ou de technicien niveau I, une attestation de formation en date du 2 août 2024, certifiant que l’intéressé a bien suivi et validé avec succès l’action de formation Habilitation électrique HOBOV qui s’est déroulée le 1er août 2024 d’une durée de sept heures, une attestation de compétences relatives à l’intervention à proximité des réseaux, en date du 7 septembre 2024, couvrant le domaine de compétence de conduite d’engins ou réalisation de travaux urgents (opérateur), valable pour une durée de cinq ans à compter de la date de réussite à l’examen mentionnée ci-dessus, une autorisation d’intervention à proximité des réseaux, en date du 7 septembre 2022, valable jusqu’au 30 juin 2024. Ces documents ont été assortis, lors de l’audience, de déclarations précises et spontanées de l’intéressé sur sa vie professionnelle, qui n’a jamais cessé depuis l’aménagement de sa peine, et sur son souci de formation professionnelle. M. S a livré, à cet égard, un discours particulièrement sincère sur l’importance de son insertion professionnelle dans un métier qualifié, doté d’une bonne rémunération, qui lui permet de faire face à ses différentes obligations, notamment à l’égard de son fils, et lui a permis de modifier radicalement son cercle amical. Il a également démontré avoir respecté les obligations assorties à sa condamnation par le juge pénal, appuyé par l’attestation en date du 7 octobre 2022 délivrée par un éducateur spécialisé de l’association ligérienne d’addictologie, et a été en mesure de témoigner du suivi addictologique dont il a fait l’objet jusqu’à 2024, soit plus de deux ans après l’exécution de la peine afférente. Dans ces conditions, il résulte de l’instruction que la présence de M. S ne constitue pas, à la date de la présente décision, une menace grave pour la société au sens du 2° de l’article L. 511- 7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
20. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du recours, que M. S est fondé à demander l’annulation de la décision en date du 18 décembre 2023 par laquelle le directeur général de l’OFPRA a prononcé le retrait de son statut de réfugié...".
Denis SEGUIN
Avocat spécialiste en droit des étrangers
Docteur en droit
9
Commentaires
Enregistrer un commentaire