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Somalie Bas-Juba Kismayo clan Sheikhal absence prolongée

CNDA, 16 septembre 2022, n°21061565:

4. Compte tenu des explications précises qu’a fournies Mme M., notamment au cours de l’audience publique, au sujet de son environnement socioculturel, géographique et sécuritaire en Somalie où elle a vécu jusqu’en 1992, il peut être établi qu’elle est de nationalité somalienne, originaire de Kismayo et qu’elle appartient au groupe minoritaire des Sheikhal

8. Il ressort des sources d’informations publiques disponibles, notamment des rapports du Secrétaire général des Nations unies des 8 février 2022 (S/2022/101) et 13 mai 2022 (S/2022/392), qui portent sur les principaux faits qui se sont produits en Somalie du 6 novembre 2021 au 6 mai 2022, que la situation sécuritaire en Somalie demeure instable et volatile. Selon le rapport d’Amnesty International sur les droits humains en Somalie en 2021, « Les différentes parties au conflit armé ont cette année encore commis des crimes de droit international en toute impunité. Les Nations unies ont recensé 536 victimes civiles (241 morts et 295 blessés) entre février et juillet, dont 68 % à la suite d’attaques menées sans n° 21061565 4 discernement par le groupe armé Al Shabab, le reste étant attribué aux forces de sécurité gouvernementales, aux milices claniques et aux forces internationales et régionales, notamment la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM). ». Les rapports du Secrétaire général des Nations unies sur la situation en Somalie pour la période du 5 novembre 2020 au 4 novembre 2021 recensent un nombre cumulé de victimes civiles de 1093, dont 540 morts et 553 blessés. Le bilan des victimes civiles pour l’année précédente, sur la période du 5 novembre 2019 au 4 novembre 2020, s’élevait à 1245 personnes. Selon les données consultées sur le site de l’organisation non gouvernementale Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED) en février 2022, 2695 incidents sécuritaires ont eu lieu en Somalie en 2021, causant 3261 morts, parmi lesquels des civils. En 2020, le nombre d’incidents sécuritaires s’élevait à 2670, avec un bilan humain de 3249 morts. Le conflit armé en cours a également entraîné des déplacements massifs de populations. Le rapport précité d’Amnesty International indique à cet égard qu’en 2021, « Outre les plus de 2,6 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays au cours des années précédentes, 573 000 autres sont parties de chez elles entre janvier et août selon l’ONU. Parmi elles, plus 70 % ont fui le conflit, dont quelque 207 000 personnes qui ont été temporairement déplacées à Mogadiscio en raison des violences occasionnées par les élections en avril. Environ 50 % des personnes déplacées en 2021 étaient des femmes et des filles, qui étaient exposées à un risque accru de violences sexuelles et de harcèlement ». Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés précise, sur son site Internet, que sur une population totale estimée en 2014 à environ 12 millions de Somaliens par le Fonds des Nations unies pour la population, « Le nombre total de personnes déplacées en Somalie est de près de 3 millions. Ce déplacement à grande échelle est alimenté par les conflits armés et l’insécurité alimentaire » et que 874 000 personnes ont été nouvellement déplacées en 2021 principalement du fait du conflit armé et de l’insécurité. En outre, il ressort du rapport du Bureau européen d’appui en matière d’asile (European Asylum Support Office, EASO), devenu Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA), sur la situation sécuritaire en Somalie, publié en septembre 2021, que le conflit entre, d’une part, le groupe armé Al-Shabaab, qui contrôle des étendues rurales du centre, du sud et de l’ouest du pays, et, d’autre part, les forces de sécurité somaliennes et celles de l’AMISOM demeure la principale source de conflit armé dans ce pays. Selon ce rapport, les civils peuvent être délibérément ciblés par la violence sévissant en Somalie et ils sont aussi des victimes collatérales d’attaques indiscriminées. Les rivalités claniques pour le pouvoir politique et le contrôle de territoires et de leurs ressources constituent un autre facteur important d’affrontements au sein de la société somalienne. Les civils sont aussi exposés à la spoliation foncière, à la destruction de leurs biens et de leurs moyens de subsistance. Le conflit armé aggrave l’insécurité alimentaire, provoque une grande insécurité sur les routes, en particulier au niveau des postes de contrôle tenus par les divers groupes armés, entrave l’accès aux services essentiels ainsi qu’à l’assistance humanitaire et place dans une situation particulièrement vulnérable les déplacés internes, les enfants, les femmes et les groupes socialement marginalisés, sans que les autorités, défaillantes, ne soient en mesure de leur assurer une protection. 9. La situation sécuritaire prévalant actuellement en Somalie, si elle se caractérise par un niveau significatif de violence, est cependant marquée par des disparités régionales quant à l’impact du conflit sur les populations civiles. En effet, sur les dix-huit régions que compte la Somalie, douze d’entre elles sont particulièrement affectées par le conflit armé en cours. Il s’agit des régions du Bas-Juba, du Moyen-Juba, de Gedo, de Bay, du Bas-Chébéli, de Bénadir, du Moyen-Chébéli, de Bakool, de Hiraan, de Galgaduud, de Mudug ainsi que de la région de Bari dans l’Etat du Puntland. Ainsi, le rapport de l’EASO de septembre 2021 sur la situation sécuritaire en Somalie précise que, sur un total de 3663 incidents sécuritaires n° 21061565 5 survenus en Somalie et 4820 personnes tuées, sans distinction entre civils et non civils, de janvier 2020 à juin 2021, l’ACLED a recensé respectivement 920 incidents sécuritaires et 1168 personnes tuées dans le Bas-Chébéli, 741 et 701 à Bénadir, 401 et 498 dans le Bas-Juba, 309 et 493 à Bay, 285 et 575 dans le Moyen-Chébéli, 261 et 274 à Hiraan, 151 et 146 à Gedo, 130 et 189 à Galgaduud, 118 et 95 à Bakool, 105 et 230 à Mudug, 48 et 145 dans le MoyenJuba, 90 et 176 à Bari. 

10. Il ressort de l’ensemble de ces éléments que la situation sécuritaire prévalant actuellement dans ces régions, en particulier dans le Bas-Juba dont la requérante est originaire, doit être qualifiée de situation de violence aveugle, comme l’indique d’ailleurs l’AUEA dans ses lignes directrices sur la Somalie publiées en juin 2022 dont les Etats membres de l’Union européenne doivent tenir compte conformément à l’article 11 du règlement 2021/2303/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2021. L’intensité de cette violence n’est toutefois pas telle qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que chaque civil qui serait amené à y séjourner ou y transiter courrait, du seul fait de sa présence dans ces régions, un risque réel de menace grave contre sa vie ou sa personne, au sens des dispositions précitées du 3° de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. 11. Cependant, en application de la jurisprudence de la CJUE mentionnée au point 6 [CJUE n°C-465/07  17 février 2009 Elgafaji- points 35,43, et 39, CE, 9 juillet 2021, n°448707), la requérante doit être regardée comme étant exposée à un tel risque en raison de la situation d’isolement familial et social dans laquelle elle se trouverait en cas de retour dans son pays, compte tenu notamment de l’ancienneté de son départ. Par ailleurs, sa vulnérabilité risque d’être renforcée par l’impossibilité de bénéficier du soutien et de la protection du groupe minoritaire des Sheikhal auquel elle appartient. Dès lors, Mme M.est fondée à se prévaloir du bénéfice de la protection subsidiaire prévue par le 3° de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.




Denis SEGUIN

Avocat

Docteur en droit

Spécialiste en droit des étrangers



CE, 9 juillet 2021, n°448707: 

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000043799788?isSuggest=true

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