Accéder au contenu principal

Somalie Protection subsidiaire Moyen-Juba , transit Bénadir Bas-Shabelle

 CNDA, 12 mai 2023, n°23006517, 6ème Section, 2ème Chambre:

"...5. Toutefois, le bien-fondé de la demande de protection de M. A, dont la qualité de civil est établie, doit également être apprécié au regard du contexte prévalant dans son pays d’origine, et plus particulièrement dans la région du Moyen-Juba, dont il a démontré être originaire, ainsi que dans les régions du Bénadir et du Bas-Shabelle par lesquelles il devrait transiter pour rejoindre sa région d’origine.................................................................................

9. Il en résulte que si la situation sécuritaire prévalant actuellement en Somalie se caractérise par un niveau significatif de violence, elle est cependant marquée par des disparités régionales quant à l’impact du conflit sur les populations civiles. La « Note d’orientation : Somalie » de l’AUEA du 15 juin 2022, dont les Etats membres de l’Union européenne doivent tenir compte conformément à l’article 11 (3) du règlement 2021/2303/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2021 et qui nécessite une mise à jour régulière selon l’article 11 (4), indique, à cet égard, que sur les dix-huit régions que compte la Somalie, douze d’entre elles sont particulièrement affectées par le conflit armé en cours. Il s’agit des régions du centre et du sud de la Somalie, que sont le Bas-Juba, Moyen-Juba, Gedo, Bay, Bas-Shabelle, Bénadir (région à laquelle est rattachée la capitale Mogadiscio), Moyen-Shabelle, Bakool, Hiiraan, Galgaduud et Mudug, ainsi que la région de Bari dans l’Etat autoproclamé autonome du Puntland. Par ailleurs, depuis la publication de ces données, la situation s’est fortement dégradée dans certaines de ces régions, notamment au Hiiraan. Il en résulte que la situation sécuritaire prévalant dans ces régions où les violences peuvent toucher les populations civiles doit être regardée comme une situation de violence aveugle, dont l’intensité est variable. Par suite, la seule invocation de la nationalité somalienne d’un demandeur d’asile ne peut suffire à établir le bien-fondé de sa demande de protection internationale au regard de la protection subsidiaire en raison d’un conflit armé. Il y a lieu, en conséquence, de prendre en compte la situation qui prévaut dans la région de provenance du demandeur ou, plus précisément, celle où il avait le centre de ses intérêts avant son départ et où il a vocation à se réinstaller en cas de retour en Somalie et d’apprécier si cette personne court, dans cette région ou sur le trajet pour l’atteindre, un risque réel de subir des atteintes graves au sens des dispositions précitées du 3° de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

10. En ce qui concerne la région du Moyen- Juba, dont M. A a démontré être originaire, il ressort de la documentation disponible, notamment de la « Note d’orientation : Somalie », du 15 juin 2022 précitée, des rapports de l’EASO (devenu AUEA) sur la situation sécuritaire en Somalie, publiés en septembre 2021 et en février 2023, et des rapports du Secrétaire général des Nations unies précités que cette région est la seule région somalienne, parmi les dix-huit régions administratives du pays, qui relève entièrement et exclusivement du contrôle d'Al-Shabaab, dont l’autorité exercée sur les nombreux clans de la région a permis de réduire leurs relations conflictuelles. La principale source d’insécurité dans la région est la lutte contre Al-Shabaab et plusieurs attaques aériennes des forces internationales en 2020 et 2021, survenues notamment dans le district de Jilib réputé pour être un fief d’AlShabaab, ont causé de nombreuses victimes civiles. Selon les données publiques consultées sur le site d’ACLED, l’année 2022 est celle qui a connu le moins de décès liés à des incidents de sécurité depuis 2016, avec 10 incidents de sécurité à l’origine de 19 décès. Le nombre de déplacés internes pour des raisons de sécurité originaires du Moyen-Juba demeure également relativement faible, s’élevant à moins de 4 000 déplacés par années depuis 2016 selon l’infographie périodique du PRMN.

11. En ce qui concerne les régions du Benadir, il résulte des mêmes sources d’information publiques disponibles et pertinentes sur la Somalie, à la date de la présente décision, que dans la région, l’administration est présente et effective, les forces armées du gouvernement fédéral somalien étant appuyées par les forces de l’ATMIS, qui remplace l’AMISOM, et celles relevant des autorités régionales. Toutefois, Al-Shabaab agit dans le Bénadir comme un réseau dont l’influence est omniprésente et se manifeste par des assassinats, n° 23006517 6 des explosions et la collecte de taxes. Par ailleurs, les milices claniques Hawiye, qui sont parfois partie intégrante des forces de sécurité, constituent une autre source majeure de conflit à Mogadiscio en raison d’affrontements entre les forces soutenant l’actuel gouvernement et des groupes d’opposition issus de clans Hawiye. Il faut y ajouter l’activité de membres de l’organisation terroriste de l’Etat islamique qui se livrent, dans la région du Bénadir, à des attentats à l’engin explosif improvisé visant les forces de sécurité. Toutefois, si le nombre d’incidents de sécurité a augmenté depuis deux ans par rapport à l’année 2020, pour s’établir à 709, il reste inférieur à celui des années 2017 et 2018, y compris en nombre de victimes. En effet, selon les données publiques consultées sur le site d’ACLED, 663 personnes ont trouvé la mort en raison d’incidents de sécurité en 2022, contre 968 en 2018 et 1 437 en 2017. Enfin, d’après les derniers rapports du Secrétaire général des Nations unies, dont celui du 13 mai 2022, et le rapport susmentionné de l’EASO (devenu AUEA), si la zone de l’aéroport international Aden Adde a été exposée à des attaques menées par Al-Shabaab en 2021 et en mars 2022, touchant en particulier les institutions onusiennes et des organismes internationaux privés, ces attaques n’entravent pas le fonctionnement de l’aéroport qui assure quotidiennement des vols internationaux.

12. En ce qui concerne la région du Bas-Shabelle, il résulte des mêmes sources d’information publiques disponibles et pertinentes sur la Somalie, à la date de la présente décision, qu’elle reste l’un des bastions de la milice Al-Shabaab qui maintient une grande capacité opérationnelle dans la région au regard du nombre d’attaques perpétrées, de son contrôle des barrages routiers et de sa capacité à prélever des taxes sur les populations locales, bien que les autorités pro-gouvernementales contrôlent les principales villes de la région. La région est également le théâtre de conflits inter-claniques entre Hawiye et non-Hawiye (Biyomaal et Digil) relatifs à la gestion des ressources naturelles. Selon les données publiques consultées sur le site d’ACLED, 694 incidents sécuritaires à l’origine de 799 morts, parmi lesquels des civils, ont été recensés en 2022 dans la région. Si le nombre de décès liés à des incidents de sécurité a augmenté comparativement à l’année précédente, il reste sensiblement inférieur au nombre de victimes recensé en 2019, où il s’établissait à 1 204. En outre, l’infographie périodique du PRMN indique que pour la période allant de janvier à novembre 2022, 251 020 personnes ont quitté leur localité du Bas-Shabelle, dont 71 370 pour des raisons liées à l’insécurité. Comparativement, en 2019 et 2020, plus de 100 000 personnes quittaient la région en raison de l’insécurité qui y régnait. 


13. Il en résulte que ces régions sont affectées par un niveau de violence aveugle résultant d’une situation de conflit armé interne mais dont l’intensité n’est toutefois pas telle qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que chaque civil qui y retourne courrait, du seul fait de sa présence dans ces régions, un risque réel de menace grave contre sa vie ou sa personne au sens des dispositions du 3° de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Dès lors, il y a lieu de tenir compte de l’existence, le cas échéant, d’un indice sérieux de risque réel pour M. A  de subir une atteinte grave. En l’espèce, eu égard à son jeune âge au moment de son départ de la Somalie, à savoir quinze ans, à son absence prolongée de ce pays, dès 2018, soit il y a cinq ans et à son isolement familial, dès lors qu’il a déclaré en termes constants que sa mère et son frère avaient quitté le Moyen-Juba et qu’il n’y aurait plus d’ancrage familial, M. A doit être regardé comme étant personnellement exposé à une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle résultant d’une situation de conflit armé interne, au sens du 3° de l’article L. 512-1 précité du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, sans pouvoir se prévaloir de la protection effective des autorités. Dès lors, M. A est fondé à se voir accorder le bénéfice de la protection subsidiaire..."


Denis SEGUIN

Avocat spécialiste en droit des étrangers

Docteur en droit



Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Mariage ou naissance après une OQTF

  C'est un schéma assez classique. Une personne étrangère a conclu un PACS avec une personne de nationalité française. Elle demande la délivrance d'un titre de séjour en tant que concubin d'une personne française. La préfecture refuse au motif que le PACS est récent. Elle refuse avec un OQTF (obligation de quitter le territoire français). Un recours est formé devant le Tribunal administratif. En cours de procédure, les personnes concernées se marient. Et le conjoint de français a droit à un titre de séjour précisément en sa qualité de conjoint de français (étant précisé qu'il faut quand même un visa de long séjour sauf cas particulier). Attention: le mariage postérieur à l'OQTF est sans incidence sur la légalité de la décision. Mais il peut être de nature à faire obstacle à l'exécution de la mesure d'éloignement. Le contentieux est ce que l'on appelle le contentieux de l'excès de pouvoir: le juge peut tenir compte de circonstances intervenues postéri...

Refus de séjour et OQTF annulation article 8 cedh, 20 ans de présence en France

Par un jugement du 15 septembre 2021 n°2008762 , le Tribunal administratif de Nantes annule un refus de séjour et donc l'obligation de quitter le territoire français du 5 août 2020 concernant un ressortissant camerounais, entré en France à l'âge de 12 ans. Le tribunal a visé les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. §3. " Il ressort des pièces du dossier que Mr A.S est entré sur le territoire français à l'âge de 12 ans et s'y est maintenu, qu'il y a bénéficié d'une carte de séjour temporaire, le 23 janvier 2009, à l'âge de 20 ans renouvelée, jusqu'au 21 février 2013. Il en ressort également que si le préfet de Maine-et-Loire soutient, sans être contesté que la demande de renouvellement de sa carte de séjour, formulée par le requérant en 2013, a été classée sans suite faute pour Mr A.S d'avoir complété son dossier, l'intéressé fournit la preuve de sa ...

Refus de séjour OQTF Menace à l'ordre public Incarcération Article 8 droit au respect de la vie privée et familiale

  TRIBUNAL ADMINISTRATIF  DE NANTES  N° 2420046  22 janvier 2025  _ “...Considérant ce qui suit :   1. M. M…, ressortissant mauritanien, né le 31 décembre 1993 est entré  régulièrement en France le 23 juin 2006 lorsqu’il était mineur. Il s’est vu délivrer à sa majorité une  carte de résident valable du 12 avril 2012 au 11 avril 2022. Par un arrêté du 26 septembre 2022, le  préfet de Maine-et-Loire a refusé de renouveler sa carte de résident et lui a accordé un titre de  séjour temporaire valable du 10 août 2022 au 9 août 2023. Le 19 octobre 2023, M. M a  sollicité le renouvellement de son titre de séjour « vie privée et familiale », lequel a été refusé par  un arrêté du 12 décembre 2024 du préfet de Maine-et-Loire, assorti d’une obligation de quitter le  territoire sans délai et d’une interdiction de retour de six mois. Par la présente requête, M. M demande au tribunal d’annuler cet arrêté du 12 décembre 2024. ...