Accéder au contenu principal

Statut de réfugié profil occidentalisé afghan

COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE N° 23043436 8 décembre 2023 (6ème section, 1ère chambre):


 "Sur les faits et moyens invoqués par le requérant : 1. M. S, de nationalité afghane, né le 22 octobre 1986, soutient à titre principal, qu’il risque d’être exposé à des persécutions en cas de retour en Afghanistan en raison des opinions politiques qui lui sont imputées et de son profil occidentalisé, sans pouvoir bénéficier de la protection effective des autorités afghanes. A l’appui de ces moyens, il expose les faits suivants : il est d’appartenance pachtoune et originaire de la province de Nangarhar. En novembre 2019, les autorités se sont rendues dans son commerce pour l’interroger sur l’emplacement des talibans. Après avoir indiqué la position des insurgés, des avions de l'armée nationale afghane ont effectué des bombardements sur cette zone qui ont tué treize combattants talibans. Le soir même, des talibans, informés de la dénonciation opérée par le requérant, se sont rendus au village à sa recherche. Le requérant a quitté sa localité le soir-même pour rejoindre le village de son cousin paternel. Ils ont quitté la province de Nangarhar et le requérant s’est réfugié à Kaboul chez des proches. Après son départ du village, à deux ou trois reprises, les talibans ont questionné ses proches à son sujet. A la suite de la chute de l’ancien gouvernement afghan en août 2021, craignant pour sa sécurité, il a décidé de quitter l’Afghanistan. 2. A titre subsidiaire, M. S soutient qu’il risque de subir des atteintes graves en Afghanistan en raison de la situation sécuritaire dégradée dans ce pays, notamment dans la province de Nangarhar où il a vocation à se réinstaller en cas de retour, et dans les provinces qu’il doit traverser pour s’y rendre. 

Sur la reconnaissance de la qualité de réfugié : 3. Aux termes du 2 du A de l’article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. ». 

4. Il ressort des sources d’informations librement accessibles, et notamment du rapport du Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEEA), en date de janvier 2022, intitulé : « Afghanistan Country focus » et du rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), intitulé « Afghanistan : risque au retour liés à « l’occidentalisation », du 26 mars 2021 qui se réfère en partie aux études de l’anthropologue Friedericke Stahlmann, que les ressortissants afghans rapatriés en Afghanistan après avoir séjourné en Europe, peuvent être perçus par les autorités afghanes et la sociétés comme « occidentalisés », ce qui leur vaut d’être considérés comme des traitres ou des infidèles. Cette perception peut entraîner des discriminations, des menaces, des agressions voire des meurtres imputables à des inconnus, à des membres de leur famille ou aux groupes armés présents en Afghanistan. Les persécutions liées à cette perception n’étant pas automatiques, elles peuvent être déclenchées par des comportements difficilement dissimulables tel que la gestuelle, l’attitude et l’expression verbale. Le rapport pointe également que le temps passé à l’étranger par les rapatriés est un facteur déterminant. Enfin, le rapport de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (EASO) intitulé « Country Guidance : Afghanistan », de novembre 2021, précise que la situation des individus perçus comme « occidentalisés » doit être appréciée à la lumière de la récente prise de pouvoir par les talibans, mais aussi de circonstances ayant une incidence sur le risque de persécutions, telles que le sexe, le comportement adopté par le requérant, son environnement familial conservateur, sa région d’origine, l’âge lors de son départ ou encore son niveau d’instruction ou de formation. 5. En tout état de cause, il incombe au demandeur de nationalité afghane, qui entend se prévaloir, à l’appui de sa demande d’asile, de craintes, en cas de retour dans son pays d’origine et du fait de la prise de pouvoir par les talibans, à raison d’un profil « occidentalisé » ou d’un risque d’imputation d’un tel profil, de fournir l’ensemble des éléments propres à sa situation personnelle permettant d’établir qu’il a acquis un tel profil ou de démontrer la crédibilité du risque d’une telle imputation, notamment à raison de la durée de son séjour en Europe et, en particulier, en France ainsi que de l’acquisition de tout ou partie des valeurs, du modèle culturel, du mode de vie, des usages ou encore des coutumes des pays occidentaux. 6. En l’espèce, les déclarations de M. S, notamment lors de l’audience devant la Cour, ont permis de tenir pour établi le bien-fondé de ses craintes en cas de retour en Afghanistan, du fait des talibans, en raison de son profil occidentalisé. A ce titre, le requérant a, au cours de l’audience, évoqué en termes spontanés et convaincants l’importance que pouvait avoir, à ses yeux, l’instruction et le travail des femmes dans la société. En outre, il a illustré de manière circonstanciée et personnalisée ses conditions de vie en France, et apporté la preuve de l’acquisition des valeurs et du mode de vie de ce pays. En particulier, le requérant a décrit ses activités en tant que bénévole au sein de l’association Emmaüs, qu’il a débutées selon l’attestation rédigée par un responsable de cette structure, au cours du mois de mars 2023, soit seulement quelques mois après son arrivée sur le territoire français. Par ailleurs, il a exposé, au cours d’échanges avec la cour, ses connaissances de la langue française. Les attestations rédigées par une professeure de langue française et par la directrice du Centre socio Culturel de Bressuire, datées des 22 et 29 août 2023 témoignent de l’assiduité et de la réelle motivation du requérant à suivre l’apprentissage de cette langue. Enfin, il a relaté de manière précise et spontanée ses différentes activités sportives et notamment sa pratique régulière du futsal, attestée par le courrier en date du 27 octobre 2023 de son accompagnatrice sociale, dans lesquelles il a expliqué côtoyer des nombreuses personnes d’origine européenne et de genres différents. 7. Il résulte de ce qui précède que M. S craint avec raison, au sens des stipulations précitées de la convention de Genève, d'être persécuté en cas de retour dans son pays en raison d’opinions politiques imputées. Dès lors, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens du recours, il est fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié. Sur l’application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 : 8. M. S ayant obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que Me Seguin, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’État, il y a lieu de mettre à la charge de l’OFPRA la somme de mille deux cent (1200) euros à verser à Me Seguin. D E C I D E : Article 1er : La décision du directeur général de l’OFPRA en date du 28 juin 2023 est annulée. Article 2 : La qualité de réfugié est reconnue à M. S. Article 3 : L’OFPRA versera à Me Seguin la somme de mille deux cent (1200) euros en application du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que Me Seguin renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat. Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. S, à Me Seguin et au directeur général de l’OFPRA".


cf également: 


Denis SEGUIN
Avocat spécialiste en droit des étrangers
Docteur en droit

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Refus de séjour et OQTF annulation article 8 cedh, 20 ans de présence en France

Par un jugement du 15 septembre 2021 n°2008762 , le Tribunal administratif de Nantes annule un refus de séjour et donc l'obligation de quitter le territoire français du 5 août 2020 concernant un ressortissant camerounais, entré en France à l'âge de 12 ans. Le tribunal a visé les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. §3. " Il ressort des pièces du dossier que Mr A.S est entré sur le territoire français à l'âge de 12 ans et s'y est maintenu, qu'il y a bénéficié d'une carte de séjour temporaire, le 23 janvier 2009, à l'âge de 20 ans renouvelée, jusqu'au 21 février 2013. Il en ressort également que si le préfet de Maine-et-Loire soutient, sans être contesté que la demande de renouvellement de sa carte de séjour, formulée par le requérant en 2013, a été classée sans suite faute pour Mr A.S d'avoir complété son dossier, l'intéressé fournit la preuve de sa ...

Mariage ou naissance après une OQTF

  C'est un schéma assez classique. Une personne étrangère a conclu un PACS avec une personne de nationalité française. Elle demande la délivrance d'un titre de séjour en tant que concubin d'une personne française. La préfecture refuse au motif que le PACS est récent. Elle refuse avec un OQTF (obligation de quitter le territoire français). Un recours est formé devant le Tribunal administratif. En cours de procédure, les personnes concernées se marient. Et le conjoint de français a droit à un titre de séjour précisément en sa qualité de conjoint de français (étant précisé qu'il faut quand même un visa de long séjour sauf cas particulier). Attention: le mariage postérieur à l'OQTF est sans incidence sur la légalité de la décision. Mais il peut être de nature à faire obstacle à l'exécution de la mesure d'éloignement. Le contentieux est ce que l'on appelle le contentieux de l'excès de pouvoir: le juge peut tenir compte de circonstances intervenues postéri...

OQTF et parent d'enfant français

L'article L. 511-4-6° du code des étrangers prévoit que le parent d'un enfant français ne peut pas être éloigné à condition qu'il contribue effectivement à l'entretien et l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil.   Pour échapper à l'obligation de quitter le territoire français, il ne suffit pas d'être parent d'un enfant français. Ceci peut être source de difficultés pour des personnes en situation irrégulière qui,  de ce fait n'ont pas de ressources et peuvent difficilement contribuer financièrement à l'entretien de l'enfant.   Mais le texte prévoit bien qu'il est fait référence à l'article du code civil qui précise que chaque parent contribue à proportion de ses ressources.   L'étranger peut ainsi être protégé contre l'éloignement à la condition " d'exercer, même partiellement, l'autorité parentale à l'égard de l'enfant ou de subvenir effec...