"...1. Aux termes de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».
2. M. A, de nationalité afghane, qui déclare être né le 1er mars 2008, soutient qu’il craint d’être persécuté, en cas de retour dans son pays d’origine, par les taliban en raison d’opinions politiques qui lui sont imputées. Il fait valoir qu’il est originaire du village de Spin Jumat dans la province de Takhar et d’ethnie pachtoune. Peu avant son départ, il a été sollicité par des taliban à deux reprises sur son lieu de travail pour qu’il rejoigne leurs rangs, ce qu’il a refusé. Puis, les taliban se sont présentés au domicile familial et son père a organisé son départ du pays. Craignant pour sa sécurité et sa vie, il a quitté l’Afghanistan après août 2021 et a rejoint la France le 14 mars 2022. Une fois sur le sol français, il a été reconnu mineur non accompagné par les autorités françaises. Puis, il a remis en cause sa minorité et a allégué être né en mars 2005.
3. Il ne ressort pas des sources publiquement disponibles sur l’Afghanistan, que le seul séjour en Europe d’un ressortissant afghan, afin d’y demander l’asile, l’exposerait de manière systématique en cas de retour dans son pays d’origine à des persécutions du fait des taliban ou de la société afghane, au sens des stipulations précitées de la convention de Genève. À cet égard, si de nombreux cas de violences graves, y compris de meurtres, de menaces, de discriminations ou de difficultés réelles de réintégration ont été répertoriés à l’encontre de ressortissants afghans rapatriés dans leur pays d’origine, les sources d’informations récentes, notamment celui de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA), publié en août 2022, intitulé « Afghanistan – Targeting of Individuals » et le rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) publié en mars 2021 intitulé « Afghanistan: risque au retour liés à l’occidentalisation », ne font pas état du caractère systématique des persécutions fondées sur des soupçons d’apostasie ou de mauvaise conduite à raison d’une « occidentalisation » réelle ou supposée. Ce dernier rapport fait toutefois mention d’arrestations ciblées à l’encontre d’Afghans de retour dans leur pays et relève que ceux-ci peuvent être identifiés et inquiétés par les talibans, en particulier depuis l’ouverture en mai 2022 d’une commission spéciale chargée de répertorier et de collecter des informations sur les personnes ayant fui l’Afghanistan avant ou après la prise de Kaboul en août 2021. Il souligne néanmoins que ces personnes ne font pas l’objet d’un ciblage systématique et que le seul fait d’avoir quitté le pays n’est pas suffisant, aux yeux des talibans, pour être identifié comme étant opposé au nouveau régime afghan ou soupçonné d’apostasie. A ce titre, le Country Guidance publié en avril 2022, l’AUEA identifie plusieurs éléments propres à la situation d’un requérant susceptibles d’aggraver le risque de persécutions en raison du profil « occidentalisé » de celui-ci. L’AUEA cite notamment le comportement et les habitudes adoptés par l’intéressé, la durée de son séjour dans les pays occidentaux, ses activités professionnelles, son apparence ou encore les opinions exprimées publiquement, par exemple sur les réseaux sociaux. Il appartient donc à un demandeur afghan qui entend se prévaloir d’un profil « occidentalisé » de fournir l’ensemble des éléments propres à sa situation personnelle permettant d’établir qu’il a acquis un tel profil, notamment en raison de la durée de son séjour en Europe et, en particulier, en France, et de l’acquisition de tout ou partie des valeurs, du mode de vie et des usages des pays occidentaux.
4. En l’espèce, M. A a décrit de façon spontanée et personnalisée lors de l’audience publique devant la Cour son mode de vie ainsi que ses projets, tant personnels que professionnels actuels en France, empreints des valeurs des pays occidentaux. Il a également fourni des développements tangibles sur les activités qu’il exerce actuellement, notamment ses sorties avec des amis français au cinéma, exercer du sport ou écouter de la musique, qui seraient considérées par les nouvelles autorités afghanes comme occidentales. Il a également expliqué qu’il suivait des cours de français et de mathématiques au lycée et a témoigné lors de l’audience publique devant la Cour de sa très bonne maitrise de la langue française. Dans les circonstances de l’espèce, ces éléments permettent ainsi de considérer que le requérant serait, en cas de retour, perçu par les taliban comme « occidentalisé ». Ainsi, il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens du recours et sans qu’il soit besoin de renvoyer l’affaire à l’Office, que M. A craint avec raison, au sens de la convention de Genève, d'être persécuté en cas de retour dans son pays en raison de son profil occidentalisé. Dès lors, il est fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié....".
cf également: https://denisseguinavocat.blogspot.com/2023/12/statut-de-refugie-profil-occidentalise_12.html
Denis Seguin
Avocat
Spécialiste en droit des étrangers
Docteur en droit
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