"...1. Aux termes de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui, « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».
2. Un groupe social est, au sens de cet article, constitué de personnes partageant un caractère inné, une histoire commune ou une caractéristique essentielle à leur identité et à leur conscience, auxquels il ne peut leur être demandé de renoncer, et une identité propre perçue comme étant différente par la société environnante ou par les institutions. L’appartenance à un tel groupe est un fait social objectif qui ne dépend pas de la manifestation par ses membres, ou, s'ils ne sont pas en mesure de le faire, par leurs proches, de leur appartenance à ce groupe.
3. Il en résulte que, dans une population dans laquelle les mutilations sexuelles féminines sont couramment pratiquées au point de constituer une norme sociale, les enfants et les adolescentes non mutilées constituent de ce fait un groupe social. Il appartient cependant à une personne qui sollicite le statut de réfugié en se prévalant de son appartenance à un groupe social de fournir l'ensemble des éléments circonstanciés, notamment familiaux, géographiques, sociologiques, relatifs aux risques de persécution qu'elle encourt personnellement, de manière à permettre au juge de l’asile d’apprécier le bien-fondé de sa demande. En outre, l’admission au statut de réfugié peut légalement être refusée, ainsi que le prévoit l’article L. 513-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lorsque l’intéressée peut avoir accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d’origine, à laquelle elle est en mesure, en toute sûreté, d’accéder afin de s’y établir et d’y mener une vie familiale normale.
4. Mme B, de nationalité ivoirienne, née le 11 avril 2023, soutient par l’intermédiaire de Mme T et de M. B ses parents et représentants légaux, risquer d’être excisée en cas de retour en Côte d’Ivoire. Sa mère et représentante légale fait valoir qu’elle-même a fui la Côte d’Ivoire pour échapper à une excision. La majeure partie des femmes de sa famille sont excisées. Sa mère craint que le grand-père de la requérante souhaite faire procéder à son excision. Sa mère subit des pressions de la part de la famille de son compagnon afin de la faire exciser. En cas de retour, elle craint que sa fille soit excisée et mariée de force. Son père et représentant légal fait valoir qu’il est opposé à ce que sa fille soit excisée. Il reçoit des pressions de la part de ses parents et notamment son père afin de faire procéder à son excision.
5. Il ressort des sources publiques disponibles et fiables, et notamment du rapport de la mission commune à l’Office et la Cour en République de Côte d’Ivoire, de novembre/décembre 2019, que la loi n° 98/757 du 23 décembre 1998, qui prévoit des sanctions pénales pour les auteurs de mutilations génitales féminines et leurs commanditaires, se révèle d’application peu effective et que le taux de prévalence des mutilations génitales féminines (MGF) oscille, à l’échelle nationale, entre 25 et 50 %. Ce taux varie fortement selon la région et l’ethnie ainsi que la confession. Les communautés des régions de l’ouest et du nord, telles que les Koyakas, Malinkés, les Yacoubas (Dan qui appartiennent au groupe des Mandés du Sud), les Guérés, les Wobés ou Wés, les Tagbanas, les Mahoukas, les Koros, les Gouros, les Sénoufos, les Lobi ainsi que certains Baoulés du Centre, pratiquent l’excision. La prévalence se situe à 60,7 % pour les Mandé du nord (Malinké, Bambara, Dioula, Koyaka, Mahouka) et 43 % pour les Mandé du Sud (Dan ou Yacouba, les Gouro ou Koueni et les Gago). Pour les Gur et Voltaïques (Sénoufo, Lobi), le taux est de 59,1 %. Pour les Akran, il est de 2,7 % et pour les Krous, de 14,1 %. Ces chiffres doivent également être examinés en tenant compte du fait que les excisions pratiquées sur des enfants de plus en plus jeunes, parfois au cours des dix premiers jours suivant la naissance, ne sont pas prises en compte dans les enquêtes faites en général auprès des femmes âgées de quinze à quarante-neuf ans qui ont subi une excision. Les MGF sont également plus fréquentes au sein des communautés musulmanes et concernent environ 61,5 % des femmes. Elles sont courantes chez les pratiquantes des religions traditionnelles, le taux de prévalence s’élevant à environ 40 %, et plus rares chez les chrétiennes, le taux de prévalence étant de 11,8 % en moyenne, bien que ce chiffre soit plus important à l’ouest, notamment chez les Dan où la prévalence de l’excision est plus élevée chez les chrétiennes que les musulmanes. Le taux est par ailleurs d’autant plus élevé que la femme vit dans un milieu rural et présente un niveau d’éducation faible. Par ailleurs, malgré la législation applicable punissant les auteurs, complices et coauteurs de mutilations génitales féminines, refuser l’excision serait impossible pour la jeune fille car cela entraînerait l’exclusion sociale de cette dernière par la communauté. En effet, le dispositif de recours judiciaire en cas d’excision n’est que théorique, les cas de refus d’excision étant gérés à l'intérieur de la communauté concernée. À ce titre, si une personne déposait plainte contre un membre de la famille, elle serait victime de marginalisation de la part de l’ensemble de sa communauté. En outre, il existe un certain nombre d’organisations non gouvernementales présentes sur l’ensemble du territoire qui tentent de lutter contre cette pratique, organisent des campagnes de sensibilisation pour changer les mentalités, et forment notamment des imams à la lutte contre cette pratique. Cependant, elles rencontrent des résistances parmi les populations et les chefs religieux ainsi que des officiers de police judiciaire ou des gendarmes et ne disposent pas des moyens nécessaires pour mener à bien leur action. Ainsi, il peut être considéré que les enfants et femmes ivoiriennes non mutilées constituent un groupe social au sens de la convention de Genève. 6. Les déclarations claires et précises faites notamment lors de l’audience par les parents et représentants légaux de la requérante permettent de tenir pour fondées les craintes d’excision de cette dernière. En effet, tant la mère que le père de la requérante ont décrit de manière très étayée l’importance revêtue par la pratique de l’excision au sein de leurs familles respectives ainsi que des ethnies Sénoufo et Dioula auxquelles ils appartiennent respectivement. La mère de la requérante s’est en outre exprimée de manière très claire au sujet de sa propre excision et de son refus de voir sa fille être victime d’une telle pratique. Tant le père que la mère de la requérante ont en outre évoqué de manière très étayée les pressions qu’ils subissent de la part de leurs familles respectives afin de faire procéder à l’excision de cette dernière. Son père et représentant légal est à cet égard revenu de manière étayée sur les messages menaçants qu’il reçoit de la part de ses oncles afin qu’il fasse procéder à l’excision de la requérante. Dans ce contexte familial et sociologique et au regard des explications personnalisées de ses parents, il est apparu particulièrement plausible que Mme B soit exposée à un risque réel de mutilation sexuelle féminine, eu égard au fort taux de prévalence de l’excision dans sa communauté d’origine, sans que ses parents ne soient matériellement en capacité de la protéger. Les parents et représentants légaux de la requérante ont en outre utilement produit un certificat médical en date du 30 octobre 2023 attestant de sa non-excision. Ainsi, il résulte de ce qui précède que Mme B craint avec raison, au sens des stipulations citées ci-dessus de la convention de Genève, d'être persécutée en cas de retour dans son pays en raison de son appartenance au groupe social des femmes et fillettes ivoiriennes non-excisées. Dès lors, elle est fondée à se prévaloir de la qualité de réfugiée..."
Denis Seguin
Avocat spécialiste en droit des étrangers
Docteur en droit
Commentaires
Enregistrer un commentaire