TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE NANTES, N°2419619 ,16 janvier 2025
“...Considérant ce qui suit :
"1. Mme K, ressortissante congolaise, née le 10 octobre 1997, a déclaré être entré régulièrement en France le 25 septembre 2024 et s’y est maintenue sans être munie des documents et visa exigés par les textes en vigueur. Elle s’est présentée à la préfecture de Maine et-Loire, le 19 novembre 2024 afin d’y déposer une demande d’asile. La consultation du fichier Visabio ayant révélé qu’elle était titulaire d’un visa périmé depuis moins de six mois au moment de sa demande d’asile, délivré par les autorités allemandes, ces dernières, saisies le 20 novembre 2024, d’une demande de prise en charge en application du règlement UE n° 604/2013 ont explicitement accepté sa prise en charge, le 22 novembre 2024. Par la présente requête, Mme K demande au tribunal d’annuler l’arrêté du 28 novembre 2024 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a ordonné son transfert aux autorités allemandes, responsables de l’examen de sa demande d’asile.
Sur les conclusions aux fins d’annulation :
2. Aux termes de l’article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : « 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l’un quelconque d’entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (…) Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des https://denisseguinavocat.blogspot.com/2024/01/dublin-allemagne-femme-enceinte-erreur.htmldroits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (…) ».Aux termes de l’article 17 du même règlement : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L’Etat membre qui décide d’examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l’Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (…) ». Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
3. En outre, selon l’article 21 de la directive n° 2013/33/UE du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, les personnes vulnérables sont notamment représentées par les mineurs, les mineurs non accompagnés, les handicapés, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d’enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes ayant des maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes ayant subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, par exemple les victimes de mutilation génitale féminine.
4. Il ressort des pièces du compte-rendu d’entretien individuel, le 19 novembre 2024, que Mme K a informé les services de la préfecture qu’elle était au septième mois de grossesse à la date de cet entretien et sans nouvelle de son conjoint depuis leur passage en Afrique du sud. Il ressort également des pièces médicales produites, qu’à la date d’adoption de la décision attaquée, Mme K se trouvait à un mois et demi du terme de sa grossesse, prévu le 19 janvier 2025. Elle justifie ainsi d’un état de vulnérabilité particulière aux sens des dispositions précitées de l’article 21 de la directive n° 2013/33/UE du 26 juin 2013, quand bien même elle ne fait état d’aucune complication liée à son état de grossesse ou de problème de santé. Si les autorités allemandes ont bien été informées de ce que la requérante était enceinte, ainsi que de la date du terme, via le formulaire type pour l’échange de données concernant la santé avant l’exécution du transfert, ces informations ont été transmises le 17 décembre 2024, soit postérieurement à l’arrêté en litige, alors qu’il ne ressort pas de la requête adressée par les autorités françaises aux autorités allemande aux fins de prise en charge de la requérante, que son état de grossesse ni le terme imminent de sa grossesse n’aient été mentionnés. Or, la légalité de l’arrêté attaqué s’apprécie à la date de sa signature. Dans ces circonstances, et compte tenu des risques particuliers pour Mme K propres à sa situation de femme enceinte et isolée et à la proximité du terme de sa grossesse à la date de l’arrêté attaqué, le préfet de Maine-et-Loire, en relevant dans son arrêté que Mme K ne présentait pas de vulnérabilité particulière, a entaché la décision portant transfert aux autorités allemandes d’une erreur manifeste d’appréciation en ne faisant pas usage de la faculté d’instruire la demande d’asile de l’intéressée en France en application de l’article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que Mme K est fondée à demander l’annulation de l’arrêté du 28 novembre 2024 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités allemandes.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
6. Eu égard au motif d’annulation retenu, l’exécution de la présente décision implique nécessairement que la demande d’asile de Mme K soit examinée en France. Il y a lieu, dès lors, d’enjoindre au préfet de Maine-et-Loire d’enregistrer la demande d’asile de Mme K en procédure normale dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision.
Sur les frais liés à l’instance :
7. Mme K a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Seguin, avocat de la requérante, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de celui-ci la somme de 1 000 euros.
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêté du 28 novembre 2024 du préfet de Maine-et-Loire est annulé.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Maine-et-Loire d’enregistrer la demande d’asile de Mme Ken procédure normale, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : L’Etat versera à Me Seguin, la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Seguin renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État..."
cf dans le même sens:
https://denisseguinavocat.blogspot.com/2024/01/dublin-allemagne-femme-enceinte-erreur.html
Denis Seguin
Avocat spécialiste en droit des étrangers
Docteur en droit
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