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Homosexualité Sri-Lanka, Groupe social, Statut de réfugié

CNDA, 30 septembre 2025, n°25001552

(3ème section, 1ère chambre): 

1. Aux termes de l'article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui «< craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays »

2. Un groupe social est, au sens de ces dispositions, constitué de personnes partageant un caractère inné, une histoire commune ou une caractéristique essentielle à leur identité et à leur conscience, auxquels il ne peut leur être demandé de renoncer, et une identité propre perçue comme étant différente par la société environnante ou par les institutions. En fonction des conditions qui prévalent dans un pays, des personnes peuvent, en raison de leur orientation sexuelle, constituer un groupe social au sens de ces dispositions. Il convient, dès lors, dans l'hypothèse une personne sollicite le bénéfice du statut de réfugié en raison de son orientation sexuelle, d'apprécier si les conditions existant dans le pays dont elle a la nationalité permettent d'assimiler les personnes se revendiquant de la même orientation sexuelle à un groupe social du fait du regard que portent sur ces personnes la société environnante ou les institutions et dont les membres peuvent craindre avec raison d'être persécutés du fait même de leur appartenance à ce groupe

3. Il résulte de ce qui précède que l'octroi du statut de réfugié du fait de persécutions liées à l'appartenance à un groupe social fondé sur une orientation sexuelle commune ne saurait être subordonné à la manifestation publique de cette orientation sexuelle par la personne qui sollicite le bénéfice du statut de réfugié. D'une part, le groupe social n'est pas institué par ceux qui le composent, ni même du fait de l'existence objective de caractéristiques qu'on leur prête mais par le regard que portent sur ces personnes la société environnante ou les institutions. D'autre part, il est exclu que le demandeur d'asile doive, pour éviter le risque de persécution dans son pays d'origine, dissimuler son homosexualité ou faire preuve de réserve dans l'expression de son orientation sexuelle. L'existence d'une législation pénale qui réprime spécifiquement les personnes homosexuelles permet de constater que ces personnes doivent être considérées comme formant un certain groupe social. L'absence d'une telle législation ne suffit pas à établir que ces personnes ne subissent pas de persécutions en raison de leur orientation sexuelle. Des persécutions peuvent en effet être exercées sur les membres du groupe social considéré sous couvert de dispositions de droit commun abusivement appliquées ou par des comportements émanant des autorités, ou encouragés, favorisés ou même simplement tolérés par celles-ci

4. Il ressort des sources publiques disponibles, notamment du rapport mondial de Human Rights Watch de 2024 sur les événements de 2023 et du rapport du Département d'État des Etats-Unis sur les droits humains au Sri Lanka, publié en avril 2024, que les relations homosexuelles sont pénalement réprimées dans ce pays, la peine pouvant aller jusqu'à dix ans d'emprisonnement selon l'article 365 du code pénal qui punit les << relations charnelles contre-nature » (unnatural offence). L'article 365-A du même code prévoit notamment que toute personne qui, en public ou en privé, commet un « acte de grossière indécence » (act of gross indecency) avec une autre personne, est punie d'un emprisonnement d'une durée pouvant aller jusqu'à deux ans ou d'une amende. Le rapport du ministère de l'Intérieur (Home Office) britannique, intitulé «Sri Lanka: Sexual orientation and gender identity and expression », publié en novembre 2021, et celui de Freedom House, intitulé « Freedom in the world 2024 », soulignent que la société srilankaise est particulièrement hostile à l'homosexualité, qu'elle perçoit comme un comportement déviant, et que les personnes de la communauté lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et intersexes (LGBTI) sont victimes de discriminations, de harcèlement, d'agressions et d'autres crimes de haine. Les personnes LGBTI qui subissent des actes de violence en raison de leur orientation sexuelle ou identité de genre ne peuvent pas les rapporter à la police sans craindre d'être discriminées, marginalisées et inculpées en application des articles 365 et 365-A ou de subir d'autres formes d'abus de la part de la police. En outre, dans un article «Au Sri Lanka, la cour suprême invalide une loi sur l'égalité de genre » publié le 18 juin 2024, l'Agence France-Presse rapporte que le président de la Cour suprême considère que « la dépénalisation de l'homosexualité tout comme la reconnaissance des mariages entre personnes de même sexe auraient " des conséquences culturelles et morales significatives illustrant ainsi que l'hostilité sociale envers les personnes homosexuelles est répandue jusqu'aux plus hautes institutions judiciaires du pays. Enfin, le Comité des droits de l'homme des Nations unies, dans ses « Observations finales concernant le sixième rapport périodique de Sri Lanka » dont le rapport a été adopté le 21 mars 2023 notait, concernant la loi sur la prévention du terrorisme, qu'il « demeure préoccupé par le fait que cette loi permette toujours une longue détention provisoire, jusqu'à douze mois, sans inculpation, donne une définition large du terrorisme et soit utilisée pour légitimer des attaques contre des minorités, en particulier [...] des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres » et prenait note «avec préoccupation des informations selon lesquelles des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres sont victimes d'arrestations et de détentions arbitraires et sont contraintes de subir des examens anaux visant à prouver les relations homosexuelles». Ainsi, en raison du regard que portent sur elles la société environnante et les institutions, les personnes homosexuelles au Sri Lanka, doivent être regardées comme membres d'un groupe social au sens de l'article 1er, A, 2 de la convention de Genève.

6. Il résulte de l'instruction et des déclarations de Mme K, entendue par la Cour lors de l'audience, que les motifs ayant présidé à son départ du Sri Lanka sont établis. En effet, elle a tenu des propos personnalisés, spontanés et circonstanciés tant sur la prise de conscience de son orientation sexuelle après une longue amitié avec une jeune femme qui l'a soutenue que sur sa relation intime avec celle-ci durant six ans et les stratagèmes mis en place afin de ne pas éveiller les soupçons de son entourage ainsi que de la société sri-lankaise environnante dans son ensemble. Elle a longuement évoqué avec émotion la violence de son frère à son égard dès qu'il a soupçonné son homosexualité et les nombreuses maltraitances qu'il lui a fait subir avec l'aval de ses parents. Elle a ensuite évoqué le projet de mariage auquel elle a pu échapper en s'enfuyant chez sa sœur. Ses déclarations concrètes et personnalisées quant à la révélation de son orientation sexuelle, après avoir été dénoncée par un ami de son frère, ont convaincu la Cour du rejet dont elle avait été victime de la part de sa famille. Les persécutions subies, à l'instar de la persistance des risques, actuellement, pour les personnes homosexuelles au Sri Lanka, constituent un indice sérieux que l'intéressée puisse être, à nouveau, persécutée, en cas de retour dans son pays d'origine. Enfin, l'analyse qui précède est utilement corroborée par la production de photographies montrant l'intéressée au cours des diverses activités au centre LGBTI de sa localité. Ainsi, il résulte de ce qui précède que Mme K craint avec raison, au sens des stipulations citées ci-dessus de la convention de Genève, d'être persécutée en cas de retour dans son pays en raison de son appartenance au groupe social des personnes homosexuelles au Sri Lanka. Dès lors, elle est fondée à se prévaloir de la qualité de réfugié”. 


Cf également:


CNDA,13 décembre 2024, M. K, n° 24027654 C


https://www.cnda.fr/decisions-de-justice/dernieres-decisions/sri-lanka.-la-cour-accorde-le-statut-de-refugie-a-un-srilankais-menace-pour-son-homosexualite





Denis Seguin

Avocat spécialiste en droit des étrangers

Docteur en droit



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