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Soudan Etat de Khartoum Violence aveugle d'intensité exceptionnelle Protection subsidiaire

COUR NATIONALE DU DROIT D'ASILE 

N° n°25027116 

22 22 septembre 2025 

(2

"....4. En premier lieu, les déclarations précises et circonstanciées de M. ont permis de tenir pour établies sa nationalité, son origine ethnique zaghawa, au demeurant non contestées par l'Office, et sa provenance d'Omdurman, dans l'État de Khartoum. Enfin, il a livré des éléments précis sur son appartenance à l'ethnie zaghawa. A cet égard, la circonstance qu'il maîtrise la langue zaghawa, parlée exclusivement par les membres de cette ethnie, atteste de son appartenance ethnique... 

5. En deuxième lieu, les craintes exprimées par M. concernant son appartenance ethnique zaghawa et les opinions politiques qui lui auraient été imputées de faire partie des mouvements armés rebelles n'ont pas été établies. Il n'a ainsi pas évoqué, de façon concrète les persécutions dont il aurait été victime de par son appartenance ethnique 


7. Il résulte du 3° de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'existence d'une menace grave, directe et individuelle contre la vie ou la personne d'un demandeur de la protection subsidiaire n'est pas subordonnée à la condition qu'il rapporte la preuve qu'il est visé spécifiquement en raison d'éléments propres à sa situation personnelle dès lors que le degré de violence généralisée caractérisant le conflit armé atteint un niveau si élevé qu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'un civil renvoyé dans le pays ou la région concernés courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire, un risque réel de subir ces menaces. Le bénéfice de la protection subsidiaire peut aussi résulter, dans le cas où la région que l'intéressé a vocation à rejoindre ne connaît pas une telle violence, de la circonstance qu'il ne peut s'y rendre sans nécessairement traverser une zone au sein de laquelle le degré de violence résultant de la situation de conflit armé est tel qu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé se trouverait exposé, du seul fait de son passage, même temporaire, dans la zone en cause, à une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne. En revanche, lorsque le degré de violence aveugle est moins élevé, il appartient au demandeur de démontrer qu'il est affecté spécifiquement en raison d'éléments propres à sa situation personnelle

8. Il résulte des mêmes dispositions que la constatation de l'existence d'une telle menace ne saurait être subordonnée à la condition que le rapport entre le nombre de victimes dans la zone concernée et le nombre total d'individus que compte la population de cette zone atteigne un seuil déterminé mais exige une prise en compte globale de toutes les circonstances du cas d'espèce, notamment de celles qui caractérisent la situation du pays d'origine du demandeur, par exemple, outre des critères quantitatifs relatifs au nombre de victimes, l'intensité des affrontements armés, le niveau d'organisation des forces armées en présence, la durée du conflit, l'étendue géographique de la situation de violence, ou l'agression éventuellement intentionnelle contre des civils exercée par les belligérants

9. Depuis le 15 avril 2023, le Soudan connaît un nouveau conflit armé interne entre deux composantes de l'appareil sécuritaire soudanais, les forces armées soudanaises (FAS) et les Forces de soutien rapide (FSR). Ce conflit est l'aboutissement de plusieurs années de rivalités entre les chefs respectifs de ces forces, parvenus en même temps à la tête de l'Etat soudanais à la chute du président Omar el-Béchir en 2019 et tous deux à l'origine du coup d'Etat de 2021 : le général Mohamed Hamdane Daglo, dit « Hemetti », à la tête des FSR, et le général Abdel Fattah al-Burhan à la tête de l'armée. Les FSR sont une milice paramilitaire créée en 2013 par l'ex-président Omar el-Béchir pour officialiser l'existence des milices arabes janjawid utilisées pour combattre les mouvements rebelles au Darfour depuis 2003, mais aussi pour faire contrepoids face à l'armée. La montée en puissance des FSR, qui ont acquis une véritable indépendance au sein de l'appareil sécuritaire soudanais, a suscité un mécontentement au sein de l'état-major de l'armée régulière. Avec l'envoi de mercenaires au Yémen et la manne financière du trafic d'or pour le compte des Émirats Arabes Unis, Hemetti est aussi devenu l'un des hommes les plus riches et puissants du pays. Les FSR représentent aujourd'hui une force armée conséquente d'un peu plus de 100 000 hommes aguerris et bien équipés. Les FSR bénéficient d'un armement relativement lourd avec des véhicules blindés, de l'artillerie, notamment livrée par les Émirats arabes unis. Les FSR disposent de systèmes de missiles antiaériens obtenus au Yémen qui leur ont permis d'abattre plusieurs avions de l'armée. Les FAS représentent quant à elles une force à peu près équivalente en nombre de combattants, mais disposent d'un avantage en termes de forces blindées et de forces aériennes. Toutefois, les offensives éclair des FSR sur des bases de l'armée au début du conflit leur ont permis de saisir d'importantes quantités d'armements, dont des véhicules blindés. Face à l'avantage en armement lourd des FAS, qui disposent d'avions, d'hélicoptères, de pièces d'artillerie, de forces blindées, les FSR s'appuient sur leur grande mobilité et la dispersion de leurs forces dans les zones résidentielles de la capitale, Khartoum. La stratégie des FSR est de prendre en otage la population civile dans la ville de Khartoum en espérant que l'armée ne détruira pas la capitale, mais l'armée soudanaise n'épargne pas les civils. Le conflit s'est répandu rapidement à de nombreuses régions du pays et notamment au Darfour. Les FAS assurent contrôler les sites stratégiques les plus importants du pays, tandis que les FSR restent bien implantées au Darfour et dans la capitale, où elles ont pris le contrôle de points stratégiques dans le centre de la ville ainsi que de l'aéroport, théâtre des combats les plus violents. Les trêves se succèdent mais sont violées, aussitôt signées, la plupart du temps. L'embrasement du Darfour s'est réalisé avec l'implication de milices communautaires, la situation étant particulièrement préoccupante dans les Etats du Darfour septentrional et du Darfour occidental.

10. En ce qui concerne l'Etat de Khartoum incluant la capitale éponyme, l'organisation non-gouvernementale Armed Conflict Location and Event data Project (ACLED) souligne dans ses points d'actualité « Fact sheet: Conflict Surges in Sudan » du 24 mai 2023 et «< Sudan: Conflict intensifies following the breakdown of jeddah talks » du 23 juin 2023 que depuis le 15 avril 2023, 65 % des incidents de sécurité survenus au Soudan ont lieu dans la région de Khartoum, les explosions, principalement liées à des frappes aériennes, étant à leur plus haut point depuis six ans. Le Displacement Tracking Matrix de l'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) au Soudan souligne dans son rapport de situation du 18 juin 2023 que les affrontements armés sont continus dans plusieurs zones urbaines au Soudan et en particulier à Khartoum et au Darfour, limitant ainsi l'accès humanitaire. Sur une période de référence du 15 avril au 14 juillet 2023, les données de l'ACLED extraites le 18 juillet 2023 permettent de recenser 801 incidents de sécurité ayant causé la mort de 1 331 personnes dans l'Etat de Khartoum, civils et belligérants confondus, cette région n'ayant auparavant connu aucune conséquence d'un conflit armé. Dans un article publié par Médecins sans frontières (MSF), intitulé « Soudan: plus d'un millier de patients pris en charge en urgence par MSF à Khartoum » le 16 juin 2023, MSF affirme avoir pris en charge plus de 1 150 personnes aux urgences dont 906 victimes de traumas violents les cinq premières semaines du conflit. Toutefois, le nombre de victimes connues semble bien inférieur à la réalité, comme le rapporte notamment un article de presse de France Info du 8 mai 2023, intitulé « L'article à lire pour comprendre la crise au Soudan, en proie à de violents affrontements ». S'agissant des déplacements de population, alors que le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies comptabilise, dans son rapport de situation du 22 juin 2023, 21 000 déplacés au sein de l'Etat de Khartoum, et le Haut- Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, dans son rapport « Overview of Refugees and Asylum Seekers Distribution & Internal Movement in Sudan » du 18 juin 2023, enregistre près de 176 000 personnes ayant quitté l'Etat de Khartoum pour se réfugier dans les Etats fédérés voisins, le Mixed Migration Centre relève, dans son rapport « Mixed migration consequences of Sudan's conflict Round 2» du 22 juin 2023, fondé sur des sources officielles, que 65 % des 2 000 000 de déplacés internes sont originaires de Khartoum, soit 1 300 000 personnes, et que près de 600 000 personnes ont quitté le Soudan depuis le début du conflit à Khartoum en avril 2023. Dans ces circonstances, l'Etat de Khartoum doit être regardé, à la date de la présente décision, comme étant affecté par une situation de violence aveugle d'exceptionnelle intensité résultant d'une situation de conflit armé interne ou international au sens de l'article L. 512-1, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

11. Ainsi, il résulte de ce qui précède que M. qui est un civil, serait exposé en cas de retour au Soudan, plus précisément dans l'Etat du Darfour occidental où il a fixé le centre de ses intérêts, du seul fait de sa présence, à un risque réel de subir une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d'une situation de conflit armé interne, au sens du de l'article L. 512-1 du code précité, sans pouvoir se prévaloir de la protection effective des autorités. Dès lors, sans qu'il y ait besoin d'examiner les autres moyens du recours, M. est fondé à se prévaloir du bénéfice de la protection subsidiaire..."


Denis Seguin

Avocat spécialiste en droit des étrangers

Docteur en droit

 


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