“1. Mme D, ressortissante congolaise, a sollicité la délivrance d’un visa de long séjour en qualité de membre de famille d’un étranger qui a obtenu le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, pour C, auprès de l’autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo), laquelle a refusé de délivrer le visa sollicité, le 5 décembre 2023. Saisie d’un recours administratif préalable obligatoire formé contre ce refus consulaire, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, a, à son tour, par une décision implicite née le 26 février 2024 du silence gardé sur ce recours administratif préalable obligatoire, dont la requérante demande l’annulation au tribunal, rejeté sa demande.
2. Aux termes de l’article D. 312-8-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « En l'absence de décision explicite prise dans le délai de deux mois, le recours administratif exercé devant les autorités mentionnées aux articles D. 312-3 et D. 312-7 est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision contestée. L'administration en informe le demandeur dans l'accusé de réception de son recours. ». Pour refuser la délivrance du visa sollicité, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France, qui est ainsi réputée s’être approprié les motifs de la décision consulaire, s’est fondée sur le motif tiré de ce que, en application de l’article L. 561-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, les déclarations conduisent à conclure à une tentative frauduleuse pour obtenir un visa au titre de la réunification familiale.
3. L’article L. 561-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit que : « Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire./ En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ».
4. L’article L. 811-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l’article 47 du code civil. L’article 47 du code civil dispose quant à lui que : « Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». Il résulte de ces dispositions que la force probante d’un acte d’état civil établi à l’étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l’acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l’administration de la valeur probante d’un acte d’état civil établi à l’étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties.
5. Il n’appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d’une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
6. Il ressort des pièces du dossier que, à l’appui de sa demande, Mme D a produit un jugement supplétif du 10 août 2022 du tribunal pour enfants de Kinshasa/Kalamo enjoignant à l’officier de l’état-civil de la commune de Bandalungwa de procéder à l’enregistrement de la naissance de C ainsi qu’une copie intégrale de l’acte de naissance de cette dernière, établi le 14 octobre 2022 sur la base de ce jugement supplétif. A supposer même que la tante maternelle de C n’aurait pas eu intérêt à agir pour obtenir un jugement supplétif d’acte de naissance de sa nièce, cette appréciation, qui n’était pas de nature à établir le caractère frauduleux du jugement, revenait aux seules autorités judiciaires locales. Le fait que l’audition de C par les autorités consulaires a fait apparaître que cette dernière a une connaissance approximative des noms de ses parents, se trompe sur la date de décès de son père et ne connait pas la profession de sa mère n’est pas de nature à établir que les documents produits pour attester de l’état civil de C sont frauduleux.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que Mme D et Mme K sont fondées à demander l’annulation de la décision du 26 février 2024 portant refus de délivrer un visa de long séjour à C.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
8. Il y a lieu d’enjoindre au ministre d’Etat, ministre de l’intérieur de délivrer un visa de long séjour à C, dans un délai de deux mois suivant la notification du présent jugement.
Sur les frais liés au litige :
9. Mme D a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle totale. Ainsi, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’État la somme de 1 500 euros à verser à Me Seguin sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la part contributive de l’Etat au titre de l’aide juridictionnelle”.
cf aussi
Par un arrêt du 30
mars 2021, n°19NT04474, la Cour administrative d'appel de Nantes a
jugé que (après avoir visé les articles L.752-1 (du Ceseda), R 752-1 et L.111-6, puis l'article 47 du code civil) :
"il résulte de
ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à
l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte
en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par
l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à
l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vus
de l'ensemble des éléments produits par les parties.
S'agissant de
MM.G...et P..., à l'appui de leurs demandes de visas, ont été produits le
jugement supplétif de naissance rendu pour les deux intéressés le 8 janvier
2015 par le tribunal pour enfants de Kinshasa/Matete et les actes de naissance
établis sur la base de ce jugement supplétif. La circonstance, retenue par la
commission de recours, que le jugement supplétif a été établi tardivement, 13
et 15 ans après la naissance des enfants, ne suffit pas à remettre en cause
l'authenticité des actes d'état civil produits. Il en est de même de la
circonstance que la requérante n'apporte pas la preuve de ce qu'elle a
contribué ou contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants et de ce
qu'elle leur apporterait un soutien affectif et qu'elle communiquerait régulièrement
avec eux, un tel motif n'étant au demeurant pas au nombre des motifs d'ordre
public de nature à justifier légalement le refus de délivrer des visas de long
séjour en qualité de membres de famille de réfugié. Il suit de là que la
commission de recours a commis une erreur d'appréciation en retenant l'absence
de caractère probant des actes d'état civil produits à l'appui des demandes de
visas de MM.G... et P.....
.......................................................................................................Il
ressort des pièces du dossier que Mme K...a vécu jusqu'en 2013 en République
démocratique du Congo avec ses trois enfants. La circonstance que Mme D...,
jeune majeure ne puisse obtenir un visa de long séjour en raison de son âge a
pour effet de la séparer de sa mère et de ses deux frères avec lesquels elle a
vécu la majeure partie de sa vie, alors qu'il n'est pas contesté qu'elle n'a
pas de liens familiaux aussi proches dans son pays d'origine. Dans ces
conditions, eu égard en outre à la durée de séparation imposée aux membres de
la cellule familiale, la décision de la commission de recours porte une
atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale et
méconnait l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des
libertés fondamentales.
Le jugement du
tribunal administratif de Nantes du 10 octobre 2019 et la décision de la
commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France du 28 février
2019 sont annulés.
Il est enjoint au
ministre de l'intérieur de délivrer....des visas de long séjour dans un délai
d'un mois à compter de la notification du présent arrêt..."(cf aussi CAA Nantes, 5 novembre 2019, n°19NT01685, CAA Nantes, 20 septembre 2019, n°19NT00572).
Denis SEGUIN
Avocat spécialiste en droit des étrangers
Docteur en droit
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