COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE
N° 203797, 22 avril 2025
"Sur la reconnaissance de la qualité de réfugié :
2. Aux termes de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».
3. L’instruction, au vu notamment des déclarations de M. M à l’audience, ne permet pas de tenir pour établis les faits qu’il présente comme l’ayant contraint à quitter l’Afghanistan. En effet, sa description de la venue des talibans dans son commerce et du vol réalisé est apparue peu personnalisée. De plus, ses déclarations peu claires n’ont pas permis à la Cour de comprendre les circonstances dans lesquelles il aurait eu connaissance de l’affrontement entre les talibans qui venaient de voler le commerce familial et les forces de police locales. De même, interrogé sur les menaces reçues par sa famille depuis son départ du domicile familial, il n’a apporté aucune précision sur leur contenu et leur fréquence. En outre, c’est de manière surprenante et contradictoire qu’il indiqué que son père n’aurait pas de difficultés avec les talibans alors même qu’il serait menacé par ceux-ci qui se présenteraient régulièrement au domicile familial pour rechercher le requérant. Enfin, les conditions de sa fuite et du financement de son départ sont demeurées floues.
4. Néanmoins, en second lieu, si les notes d’orientation de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA) sur l’Afghanistan publiées en mai 2024, le rapport de la même agence du 16 août 2022 intitulée « Afghanistan - Ciblage d'individus » et aucune autre source d’information publique pertinente et disponible à la date de la présente décision ne révèlent que le seul séjour en Europe d’un ressortissant afghan, afin notamment d’y demander l’asile, l’exposerait de manière systématique, en cas de retour en Afghanistan, à des persécutions au sens et pour l’application des stipulations citées au point 6, il demeure néanmoins que les rapports précités précisent que les personnes, rapatriées en Afghanistan, « occidentalisées » ou perçues comme telles peuvent être la cible de persécutions de la part de groupes armés, comme les talibans désormais au pouvoir, de familles, de voisins et de la société afghane et que la situation des individus perçus comme « occidentalisés » doit être appréciée à la lumière de la récente prise de pouvoir par les talibans, mais aussi de circonstances ayant une incidence sur le risque de persécutions telles que le sexe (le risque étant plus élevé pour les femmes), le comportement adopté par le requérant, son environnement familial conservateur, sa région d’origine, son âge, la durée de son séjour dans un pays occidental ou encore son niveau d’instruction ou de formation. Il incombe ainsi au demandeur de nationalité afghane, qui entend se prévaloir à l’appui de sa demande d’asile de risques susceptibles d’être courus en cas de retour en Afghanistan, du fait de son « occidentalisation » effective ou imputée, de fournir l’ensemble des éléments propres à sa situation personnelle permettant d’apprécier la réalité et la teneur d’un tel risque.
5. En l’espèce, c’est avec spontanéité et conviction qu’il a évoqué l’importance de l’éducation pour les filles et son souhait que ses petites sœurs puissent avoir accès à l’école afin d’apprendre un métier. En outre, c’est avec authenticité qu’il a exprimé sa fierté, s’il avait une fille, que celle-ci devienne avocate ou policière, démontrant ainsi son éloignement de l’idéologie talibane. De plus, il a démontré une volonté forte d’apprendre le français empruntant des livres à la bibliothèque afin d’accélérer son apprentissage. De même, interrogé sur sa vie en France, il a fait part de sa pratique du sport et de ses sorties avec des amis, notamment des femmes, dans les parcs, ainsi que de la liberté de se mouvoir et de s’habiller comme il le souhaite. Dans ces conditions, il a su démontrer que son mode de vie et son comportement sont de nature à le faire regarder comme ayant adopté des valeurs occidentales susceptibles d’être considérées comme contraires aux traditions afghanes par les talibans. Ainsi, il résulte de ce qui précède que M. M craint avec raison, au sens des stipulations précitées de la convention de Genève, d'être persécuté en cas de retour dans son pays en raison de son profil « occidentalisé », qui l’expose à ce que lui soient imputées des opinons politiques hostiles au régime politique en place en Afghanistan. Dès lors, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens, il est fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié”.
Denis SEGUIN
Avocat spécialiste en droit des étrangers
Docteur en droit
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