COUR NATIONALE DU DROIT D'ASILE
N° 24040983
N° 24048572
15 avril 2025
"Sur la reconnaissance de la qualité de réfugiée :
2. Aux termes de l'article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui «craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».
3. L'instruction, au vu notamment des déclarations précises, claires et personnalisées de Mme Y et de M. Y à l'audience, permet de tenir pour établis les faits allégués à l'origine de leur départ et pour fondées leurs craintes en cas de retour au Niger, pays dont ils ont la nationalité comme l'attestent les documents produits, à savoir, notamment, les copies de leurs passeports et les copies de l'acte de naissance et du certificat de nationalité de M. Y. En effet, en premier lieu, les déclarations précises des requérants à l'audience et les pièces produites précitées permettent d'attester de la réalité de leur lien de filiation. Dans ces conditions, et puisque la filiation de Mme Y à un homme politique a été tenue par établie par l'Office, ce que la Cour confirme notamment eu égard aux pièces produites telles qu'une photographie de leur père au cours de sa déclaration de soutien au président Bazoum le 27 mars 2021, la copie de l'arrêté portant nomination de conseillers municipaux au cabinet du président de l'Assemblée nationale daté du 9 janvier 2023 ou encore la copie du décret mettant fin aux fonctions de conseiller à l'Assemblée nationale daté du 6 août 2023, la réalité de la filiation de M. Y à cet homme politique, contrairement à ce qui était avancé par l'office, doit également être regardée comme établie. En outre, à cet égard, les requérants sont revenus de façon circonstanciée et précise sur les activités politiques de leur père, sur la création de son propre parti politique et sur ses liens avec l'ancien président Bazoum.
4. En deuxième lieu, les faits allégués à l'origine de leur départ, à savoir le coup d'Etat du 26 juillet 2023, les affrontements qui en ont découlés et le ciblage de leur famille en raison des liens unissant leur père à l'ancien président Bazoum et de son rôle au sein de l'ancien régime politique, ainsi que les conditions de leurs extraditions, à ce titre, par les autorités sont établis au regard tant de leur déclarations précises que des pièces versées, notamment les communiqués de presse du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères français et de l'Ambassade de France au Niger datés de juillet et d'août 2023 ainsi que des captures d'écran d'échange de leur frère aîné avec les autorités françaises.
5. En troisième lieu, les requérants sont également revenus de façon claire sur la situation actuelle de leurs proches en expliquant que, depuis leurs entretiens devant l'Office datés du 18 mars 2024 pour Mme et du 4 octobre 2024 pour Monsieur, leurs proches avaient été contraints de quitter le pays eu égard à l'intensification de la surveillance et des arrestations dont font l'objet les membres proches ou éloignés de l'ancien régime. En effet, leur père, qui se trouvait déjà au Nigéria selon les déclarations du requérant devant l'Office, a été rejoint par la mère de la requérante qui a été contrainte de quitter son poste de gestionnaire à la direction régionale de la santé publique après avoir été interrogée par les autorités de fait sur les activités de son époux en août 2024 tandis que leur frère cadet s'est installé au Bénin par peur des représailles en raison de ces mêmes autorités de fait.
6. Par ailleurs, les déclarations des requérants s'inscrivent dans un contexte connu et documenté. En effet, Amnesty international, dans un rapport du 18 mars 2025 intitulé « Niger : menacés et mis au pas, les droits humains et l'espace civique sous pression depuis le coup d'Etat du 26 juillet » souligne la détérioration de l'espace civique et sur la persistance des violations des droits de l'homme commises par les autorités de fait malgré les condamnations de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) comme la fermeture des frontières terrestres et aériennes de ses Etats membres avec le Niger ou encore le gel des actifs nigériens dans les banques centrales des Etats membres. De même, ce rapport, mais également un article de Radio France International publié le 12 octobre 2024 et intitulé "Niger: ce que cache la déchéance de nationalité de proches de l'ex-président Bazoum », reviennent sur le ciblage continu du personnel politique de l'ancien régime qui risquent des arrestations et détentions arbitraires, à l'image de l'ancien président Bazoum détenu depuis le 26 juillet 2023, ou encore la déchéance de nationalité dans la mesure où ils sont accusés de mener des activités susceptibles de perturber la paix et la sécurité publiques ou encore d'intelligence avec les autorités étrangères.
7. Dans ces conditions, et au regard de la situation politique et sécuritaire prévalant au Niger, Mme Y et M. Y présentent des craintes de persécutions en cas de retour au Niger en raison des activités politiques de leur père et de son soutien visible apporté au régime politique de l'ancien président Bazoum jusqu'à la destitution de celui-ci. Ainsi, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens du recours, il résulte de ce qui précède que Mme Y et M. Y craignent avec raison, au sens des stipulations précitées de la convention de Genève, d'être persécuté en cas de retour dans leur pays en raison des opinions politiques qui leur seront imputées.
8. Dès lors, ils sont fondés à se prévaloir de la qualité de réfugiés".
Denis Seguin
Avocat spécialiste en droit des étrangers
Docteur en droit
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