COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE (2ème section, 2ème chambre)N° 25002904
22 avril 2025
"Considérant ce qui suit :
Sur les faits et moyens invoqués par la requérante :
1. Mme A, de nationalité somalienne, née le 1er mai 1989, soutient qu’elle craint d’être exposée à des persécutions ou à une atteinte grave, en cas de retour dans son pays d’origine, d’une part, du fait des membres de son ancienne belle-famille en raison de l’appartenance clanique de sa famille maternelle, et d’autre part, en raison de la situation de violence aveugle de niveau élevé prévalant dans la région du Bas Shabelle et de sa situation de vulnérabilité, sans pouvoir bénéficier de la protection effective des autorités. Elle fait valoir qu’elle est originaire de la localité de Qoryooley, dans la région de Bas Shabelle. Après le décès de ses parents durant son enfance, elle a été en 2011 contrainte par son frère, pour une raison financière, d’épouser un homme plus âgé ayant déjà des enfants. Au cours de leur vie conjugale, son époux lui a infligé des mauvais traitements. Elle a eu trois enfants dans le cadre de ce mariage. Consécutivement au décès de son époux en novembre 2012, elle a été contrainte par sa belle-famille d’épouser le frère de celui-ci, conformément à la pratique traditionnelle du lévirat (dumaal). Le mariage a lieu en février 2013. Après avoir eu trois nouveaux enfants avec son deuxième mari, ce dernier a eu connaissance de l’appartenance clanique minoritaire madhibaan de sa mère. Il a alors demandé le divorce, qui a été prononcé en 2016. En novembre 2017, elle a épousé un homme de son plein gré, son actuel mari. Avec l’aide de ce dernier, elle est parvenue à récupérer la garde de ses six enfants. Rapidement, elle a fait l’objet de menaces émanant de son ex-époux, qui est parvenu périodiquement à reprendre ses enfants. Dans ce contexte, elle a placé ses enfants au domicile de sa tante afin d’assurer leur sécurité. Elle a alors été informée de la volonté de son ancienne belle-famille d’attaquer le domicile de sa tante afin d’obtenir par la force la garde de ses enfants et de menaces de morts la concernant. Craignant pour sa sécurité, elle a quitté la Somalie en mars 2022 sans ses enfants et son conjoint, lequel est resté en Ethiopie, et est entrée irrégulièrement en France le 28 juillet 2024 après avoir transité par l’Ethiopie, le Soudan, la Libye durant près de deux ans et l’Italie.
Sur le bien-fondé de la demande d’asile :
2. Aux termes de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».
3. Aux termes de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié mais pour laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'elle courrait dans son pays un risque réel de subir l'une des atteintes graves suivantes : / 1° La peine de mort ou une exécution ; / 2° La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; / 3° S'agissant d'un civil, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d'une situation de conflit armé interne ou international ».
4. En premier lieu, l’instruction, notamment les déclarations de Mme A au cours de l’audience, permet d’établir sa nationalité somalienne, au demeurant non contestée par l’Office, et sa provenance de la région de Bas Shabelle. En effet, Mme A a livré des informations personnalisées et cohérentes sur la toponymie de la localité de Qoryooley, dont elle est originaire, et de ses environs. Ses déclarations concernant la situation sécuritaire sont également concordantes avec les informations publiques disponibles, notamment s’agissant de prise de contrôle de la localité par Al-Shabaab aux alentours de l’année 2009, tel que renseigné dans un communiqué de presse de la mission de l’Union Africaine le 22 mars 2014.
……………………………………………………………………………………………….6. Ainsi, les craintes énoncées par la requérante ne peuvent être tenues pour fondées ni au regard de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève ni au regard des 1° et 2° de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
7. Le bien-fondé de la demande de protection de Mme A doit également être apprécié au regard du contexte prévalant dans son pays d’origine, et plus particulièrement dans la région du Bas-Shabelle, où tel qu’il résulte de l’analyse faite au point 4, le centre de ses intérêts serait placé en cas de retour.
8. Il résulte du 3° de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que l’existence d’une menace grave, directe et individuelle contre la vie ou la personne d’un demandeur de la protection subsidiaire n’est pas subordonnée à la condition qu’il rapporte la preuve qu’il est visé spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle dès lors que le degré de violence généralisée caractérisant le conflit armé atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays ou la région concernés courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire, un risque réel de subir ces menaces. Le bénéfice de la protection subsidiaire peut aussi résulter, dans le cas où la région que l’intéressé a vocation à rejoindre ne connaît pas une telle violence, de la circonstance qu’il ne peut s’y rendre sans nécessairement traverser une zone au sein de laquelle le degré de violence résultant de la situation de conflit armé est tel qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé se trouverait exposé, du seul fait de son passage, même temporaire, dans la zone en cause, à une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne.
9. Il résulte des mêmes dispositions, qui assurent la transposition de l’article 15 c) de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection tel qu’interprété par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 10 juin 2021, CF, DN c/ Bundesrepublik Deutschland (C‑901/19), que la constatation de l’existence d’une telle menace ne saurait être subordonnée à la condition que le rapport entre le nombre de victimes dans la zone concernée et le nombre total d’individus que compte la population de cette zone atteigne un seuil déterminé mais exige une prise en compte globale de toutes les circonstances du cas d’espèce, notamment de celles qui caractérisent la situation du pays d’origine du demandeur, par exemple, outre des critères quantitatifs relatifs au nombre de victimes, l’intensité des affrontements armés, le niveau d’organisation des forces armées en présence, la durée du conflit, l’étendue géographique de la situation de violence, ou l’agression éventuellement intentionnelle contre des civils exercée par les belligérants.
10. La note d’orientation pour la Somalie de l’agence de l’Union européenne pour l’asile publiée en août 2023, dont les Etats membres de l’Union européenne doivent tenir compte conformément à l’article 11 (3) du règlement 2021/2303/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2021 et qui nécessite une mise à jour régulière selon l’article 11 (4), indique à cet égard que si, dans la région du Bas-Shabelle, la « simple présence » sur place ne suffirait pas à établir un véritable risque d’atteinte grave au sens de l'article 15 (c) de la directive 2011/95/UE dite qualification, une violence aveugle atteint cependant un niveau élevé et, en conséquence, qu’un niveau inférieur d'éléments individuels est requis pour démontrer des motifs sérieux de croire qu'un civil, renvoyé sur le territoire, serait confronté à un tel risque réel.
11. Or, Mme A, qui a quitté son pays d’origine en mars 2022 et qui, en tant que femme somalienne issue d’un clan minorisé, risque sensiblement d’être exposée aux difficultés causées par la situation sécuritaire et les conflits, doit être regardée comme satisfaisant au faible niveau d’individualisation requis pour prétendre au bénéfice d’une protection subsidiaire au titre du 3° de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
12. Il résulte de ce qui précède que Mme A est fondée à se prévaloir du bénéfice de la protection subsidiaire".
Denis SEGUIN
Avocat spécialiste en droit des étrangers
Docteur en droit
Commentaires
Enregistrer un commentaire