“Sur la demande de réexamen :
1. M. E, né le 1er janvier 1989 à Nyala, de nationalité soudanaise, et entré en France le 21 novembre 2018, a demandé à l’OFPRA le réexamen de sa demande d’asile après avoir vu sa première demande de réexamen rejetée le 9 novembre 2022 par une décision de la CNDA. Il soutenait que sa région d’origine était en proie à une violence aveugle d’intensité exceptionnelle.
2. Par la décision d’irrecevabilité attaquée, l’Office a rejeté cette demande en estimant que l’identité et la provenance de M. E ne pouvaient être tenus pour établis et qu’ainsi, les faits et éléments nouveaux présentés n’étaient pas de nature à augmenter de manière significative la probabilité qu’il justifie des conditions requises pour prétendre à une protection.
3. Aux termes de l’article L. 531-42 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « A l'appui de sa demande de réexamen, le demandeur indique par écrit les faits et produit tout élément susceptible de justifier un nouvel examen de sa demande d'asile. / L'Office français de protection des réfugiés et apatrides procède à un examen préliminaire des faits ou des éléments nouveaux présentés par le demandeur intervenu après la décision définitive prise sur une demande antérieure ou dont il est avéré qu'il n'a pu en avoir connaissance qu'après cette décision. / Lors de l’examen préliminaire, l’office peut ne pas procéder à un entretien. / Lorsque, à la suite de cet examen préliminaire, l'office conclut que ces faits ou éléments nouveaux n'augmentent pas de manière significative la probabilité que le demandeur justifie des conditions requises pour prétendre à une protection, il peut prendre une décision d'irrecevabilité ». Il résulte de ces dispositions que la recevabilité d’une demande de réexamen d’une demande d’asile est subordonnée, d’une part, à la présentation soit de faits nouveaux intervenus ou révélés postérieurement au rejet de la demande antérieure soit d’éléments de preuve nouveaux et, d’autre part, au constat que leur valeur probante est de nature à modifier l’appréciation du bien-fondé de la demande de protection au regard de la situation personnelle du demandeur et de la situation de son pays d’origine. Cet examen préliminaire de recevabilité ne fait pas obstacle à la présentation de faits antérieurs à la décision définitive, dès lors que ces faits se rapportent à une situation réelle de vulnérabilité l’ayant empêché d’en faire état dans sa précédente demande.
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5. La décision du Tribunal administratif de Nantes annulant le pays de destination fixé par le préfet de Maine-et-Loire en cas de reconduite à la frontière de M. en raison du conflit armé interne sévissant au Darfour-Sud, constitue un élément postérieur au rejet de la précédente demande d’asile du requérant, probant et augmentant significativement la probabilité que M. puisse prétendre à une protection. Dès lors, il y a lieu pour le juge de l’asile de tenir compte de l’ensemble des faits invoqués dans sa nouvelle demande, y compris ceux déjà examinés.
Sur le bien-fondé de la demande de protection :
6. Aux termes de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».
7. Aux termes de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié mais pour laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'elle courrait dans son pays un risque réel de subir l'une des atteintes graves suivantes : / 1° La peine de mort ou une exécution ; / 2° La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; / 3° S'agissant d'un civil, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d'une situation de conflit armé interne ou international ».
En ce qui concerne l’application de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève ou des 1° et 2° de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile :
8. Les déclarations précises et circonstanciées du requérant lors de l’audience devant la Cour ont permis de tenir pour établie sa provenance du Darfour Sud. En effet, il a su apporter des informations détaillées sur la localité d’Otash, dont il est originaire, ainsi que sur le parcours qu’il devait emprunter pour rejoindre la ville de Nyala, située plus au Sud, où il a vécu dans le camp de personnes déplacées également appelé Otash. Il a, par ailleurs, été en mesure de fournir des éléments topographiques détaillés, en mentionnant avec spontanéité le cours d’eau bordant le village d’Otash et plusieurs localités situées à proximité de la sienne. Enfin, ses propos précis et clairs ont permis de rendre compte de sa présence dans le camp d’Otash jusqu’en 2011, puis à Bahri, près de Khartoum où il a poursuivi ses études jusqu’à son départ en 2014.
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En ce qui concerne l’application du 3° de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile :
11. En application des dispositions du 3° de l’article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le bien-fondé de la demande de protection de M. E, dont la qualité de civil est établie, doit également être apprécié au regard de la situation prévalant actuellement dans l’Etat du Darfour Sud, dont il a démontré, ainsi qu’il a été dit au point 8, être originaire.
12. Il résulte du 3° de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que l’existence d’une menace grave, directe et individuelle contre la vie ou la personne d’un demandeur de la protection subsidiaire n’est pas subordonnée à la condition qu’il rapporte la preuve qu’il est visé spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle dès lors que le degré de violence généralisée caractérisant le conflit armé atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays ou la région concernés courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire, un risque réel de subir ces menaces. Le bénéfice de la protection subsidiaire peut aussi résulter, dans le cas où la région que l’intéressé a vocation à rejoindre ne connaît pas une telle violence, de la circonstance qu’il ne peut s’y rendre sans nécessairement traverser une zone au sein de laquelle le degré de violence résultant de la situation de conflit armé est tel qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé se trouverait exposé, du seul fait de son passage, même temporaire, dans la zone en cause, à une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne. En revanche, lorsque le degré de violence aveugle est moins élevé, il appartient au demandeur de démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle. (CJUE n° C-465/07, 17 février 2009, Elgafaji – points 35, 43 et 39 et CE n°448707 9 juillet 2021 M. M.).
13. Aux fins de l’application de ces dispositions, le niveau de violence aveugle résultant d’une situation de conflit armé interne ou international doit être évalué en prenant en compte un ensemble de critères, tant quantitatifs que qualitatifs, appréciés au vu des sources d’informations disponibles et pertinentes à la date de cette évaluation.
14. S’agissant des critères tant quantitatifs que qualitatifs, il y a lieu de prendre en compte, sur la base des informations disponibles et pertinentes, notamment, les parties au conflit et leurs forces militaires respectives, les méthodes ou tactiques de guerre employées, les types d’armes utilisées, l’étendue géographique et la durée des combats, le nombre d’incidents liés au conflit, y compris leur localisation, leur fréquence et leur intensité par rapport à la population locale ainsi que les méthodes utilisées par les parties au conflit et leurs cibles, l’étendue géographique de la situation de violence, le nombre de victimes civiles, y compris celles qui ont été blessées en raison des combats, au regard de la population nationale et dans les zones géographiques pertinentes telles que la ville, la province ou la région, administrative, les déplacements provoqués par le conflit, la sécurité des voies de circulation internes. Il doit également être tenu compte des violations des droits de l’homme, de l’accès aux services publics de base, aux soins de santé et à l’éducation, de la capacité des autorités de contrôler la situation du pays et de protéger les civils y compris les minorités, de l’aide ou de l’assistance fournie par des organisations internationales, de la situation des personnes déplacées à leur retour et du nombre de retours volontaires.
15. Il résulte des mêmes dispositions, qui assurent la transposition de l’article 15 c) de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection tel qu’interprété par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 10 juin 2021, CF, DN c/ Bundesrepublik Deutschland (C-901/19), que la constatation de l’existence d’une telle menace ne saurait être subordonnée à la condition que le rapport entre le nombre de victimes dans la zone concernée et le nombre total d’individus que compte la population de cette zone atteigne un seuil déterminé mais exige une prise en compte globale de toutes les circonstances du cas d’espèce, notamment de celles qui caractérisent la situation du pays d’origine du demandeur, par exemple, outre des critères quantitatifs relatifs au nombre de victimes, l’intensité des affrontements armés, le niveau d’organisation des forces armées en présence, la durée du conflit, l’étendue géographique de la situation de violence, ou l’agression éventuellement intentionnelle contre des civils exercée par les belligérants.
16. Le conflit qui concerne depuis 2003 les cinq Etats fédérés de la province du Darfour prend ses racines dans les affrontements opposant le gouvernement de Khartoum appuyé par les milices arabes appelées les Janjawids et plusieurs groupes rebelles armés, parmi lesquels l’Armée de libération du Soudan (ALS/MLS), aujourd’hui divisée en plusieurs factions rivales (Abdel Wahid [AW] et Minni Minawi [MM] notamment), et le Mouvement pour la justice et l’équité (MJE) qui revendiquent une meilleure répartition des ressources et des richesses. Les groupes armés rebelles darfouris expriment des revendications formulées directement par les groupes minoritaires exclus du pouvoir national en raison de préjugés et de leur rôle très faible dans l’économie du pays. Pour faire face à la rébellion, le gouvernement de Khartoum a armé les populations nomades arabisées contre les cultivateurs noirs (les Fours, Zaghawas et Massalits) dont étaient issus les groupes armés rebelles, exploitant ainsi des tensions intercommunautaires anciennes liées au contrôle des terres. Par ailleurs, les milices Janjawids ont été réorganisées et rebaptisées Forces de soutien rapide (FSR) (milice paramilitaire officiellement constituée en 2013 sur décision de l’ancien président Omar el-Béchir dans le but de leur donner une existence institutionnelle) pour combattre les groupes armés rebelles en soutien à l’armée soudanaise.
17. Des tentatives de processus de paix ont été menées mais sont largement considérées comme des échecs. A partir de 2017, le conflit s’est apaisé et a baissé en intensité en raison de l’affaiblissement des principaux groupes armés au Darfour depuis « l’été décisif » décrété par le gouvernement soudanais en 2014 et les violentes attaques menées par l’armée soudanaise et ses milices paramilitaires qui ont suivi. Lasituation sécuritaire globale est restée instable et le conflit a perduré à basse intensité, l’activité des groupes rebelles étant très limitée. Le conflit s’est ensuite concentré dans les zones situées autour du Jebel Marra, chaîne de montagne qui s’étend sur le territoire du Darfour Central, Nord et Sud. Toutefois, et malgré l’Accord de Djouba, à partir de 2020, la région s’est trouvée en proie à un regain de violence et le conflit s’est intensifié. En effet, entre fin 2020 et décembre 2022, les rapports finaux du Groupe d’experts sur le Soudan auprès des Nations unies des 13 janvier 2021 et 24 janvier 2022, le rapport du Secrétaire général des Nations unies sur la situation au Soudan du 3 décembre 2021 et le rapport du Département d’Etat américain « Recent increase in Violence in Darfur and the Two Areas » du 23 mars 2022, signalent une flambée de violences cycliques à grande échelle. En outre, les affrontements entre les milices (arabes et non-arabes [les communautés non arabes ont formé depuis au moins 2020 des unités d’auto-défense armées qui leur permettent de repousser les attaques des milices arabes]) et les attaques contre les civils se sont intensifiées depuis le coup d’État d’octobre 2021, comme l’explique le rapport du département de recherche d’information sur les pays d'origine (CEDOCA) du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) « Security situation in Darfour and the Two Areas » du 28 février 2023. Le retrait de la Mission conjointe des Nations unies et de l’Union africaine au Darfour (MINUAD) le 31 décembre 2020, le rejet de l’Accord de Djouba du 3 octobre 2020 par l’ALS-Abdel Wahid (AW) et sa lente mise en œuvre, l’instabilité politique, la crise économique, la prolifération d’armes et la recrudescence des conflits intercommunautaires sont autant de facteurs qui ont contribué à l’explosion de l’insécurité au Darfour avec pour conséquence première la croissance rapide du nombre de victimes et de morts parmi les populations civiles. Le rapport final du Groupe d’experts sur le Soudan auprès des Nations unies du 7 février 2023 indique d’ailleurs que les personnes déplacées dans la région du Darfour estiment que l’Accord a en réalité aggravé leur situation.
18. S’agissant plus spécifiquement du Darfour Sud, l’année 2022 a été marquée par une recrudescence des violences. L’ONG Armed Conflict Location and Event data Project (ACLED) précisait, dans une note du 16 mars 2023 intitulée « Sudan. Mid-Year Update », que la violence a continué de monter dans l’Etat du Darfour Sud sur la première moitié de l’année, notamment en raison des combats entre les milices pastorales Rizeigat et Fulani (alias Fellata) à la fin du mois de mars, avec des estimations de décès allant de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de personnes. En outre, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), relevait, dans une note du 25 septembre 2022, intitulée « Sudan: South Darfur State Profile (Updated September 2022) », que les conflits entre le gouvernement et les mouvements armés, ainsi que les conflits intercommunautaires étaient les principales causes des déplacements de populations civiles, lesquels concernaient alors environ 49 800 personnes. Il ressort par ailleurs d’une note du Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés du 28 février 2023 intitulée « Overview of Refugees and IDPs in Sudan », ainsi que d’une note de l’OCHA du 29 mars 2023, intitulée « Sudan: South Darfur State Profile (March 2023) » que le Darfour Sud abrite la plus grande population de déplacés internes de longue durée du pays, avec 1,1 million de personnes sur un total de 3,7 millions de déplacés internes dans l’ensemble du Soudan, dont beaucoup vivent dans des camps depuis plus de dix ans.
19. En outre, la très large disponibilité des armes et des munitions ainsi que la présence d’explosifs résiduels continuent de nuire à la sécurité et à la stabilité au Darfour et constituent une grave menace pour les civils, la circulation et la prolifération des armes étant des facteurs clés du conflit. En 2023, le Groupe d’experts sur le Soudan a affirmé que « la prolifération des armes et des munitions au Darfour s’est intensifiée et a contnué d’y faire peser une lourde menace sur la sécurité » et que les armes « sont plus nombreuses et plus diverses ». Ceci a fait perdurer les violences et les attaques entre les différentes communautés, permettant aux agresseurs de déclencher des atrocités à grande échelle. Le fait que les mouvements armés signataires de l’Accord de Juba ont pu conserver des armes a contribué à dégrader davantage les conditions de sécurité déjà précaires. De plus, l’augmentation du nombre d’armes aux mains des civils a constitué un obstacle majeur empêchant le gouvernement soudanais de garantir la sécurité au Darfour, alors même que certaines forces gouvernementales jouent un rôle déstabilisateur en armant les populations locales et que l’absence d’un niveau suffisant de sécurité garanti par le gouvernement conduit les civils à s’armer pour se protéger eux-mêmes, comme l’explique le rapport du CEDOCA précédemment mentionné.
20. Le 15 avril 2023, la situation sécuritaire s’est aggravée au Soudan et est devenue encore plus complexe du fait d’un nouveau conflit armé entre l’armée soudanaise et les FSR. Ce conflit est l’aboutissement de plusieurs années de tensions et de rivalités entre deux composantes de l’appareil sécuritaire soudanais, surtout entre leurs chefs respectifs parvenus en même temps à la tête de l’Etat soudanais depuis la chute du président Omar el-Béchir en 2019 et tous deux à l’origine du coup d’Etat de 2021, le général Mohamed Hamdane Daglo, dit «Hemetti», à la tête des Forces de soutien rapide (FSR) et le général Abdel Fattah al-Burhan à la tête de l’armée (Forces armées soudanaises - FAS). Le conflit s’est étendu rapidement à de nombreuses régions du pays, notamment au Darfour. Les FAS assurent contrôler les sites stratégiques les plus importants tandis que les FSR restent bien implantées au Darfour et dans la capitale (où elles ont pris le contrôle de points stratégiques dans le centre de Khartoum et à l’aéroport), théâtre des combats les plus violents. Les trêves se succèdent mais sont violées aussitôt signées la plupart du temps. L’embrasement du Darfour semble s’être largement réalisé du fait de l’implication de milices communautaires, la situation étant particulièrement inquiétante dans les Etats du Darfour Nord, du Darfour Sud, et du Darfour Ouest.
21. Le conflit s’est encore aggravé au Darfour Sud depuis le 15 avril 2023. Il ressort des sources d’informations publiques, fiables et actuelles, et notamment d’une note publiée le 14 septembre 2023 par l’OCHA, intitulée « Sudan. Humanitarian Update », qu’entre mi-avril et mi-septembre 2023, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a enregistré pour le Darfour Sud 483 503 nouvelles personnes contraintes de fuir leurs foyers en raison de l’intensité des combats. Selon une mise à jour de la situation régionale de l’OIM, la plupart des personnes déplacées se trouvent dans les États du Nil, du Darfour Sud, du Darfour Est, du Nord, du Sennar et du Darfour Nord. Selon le même document publié par l’OCHA, la situation humanitaire s’avère particulièrement préoccupante. L'insuffisance massive du financement de l'aide, combinée à la réduction de la production alimentaire nationale et à de graves pénuries d'eau, a laissé les familles déplacées dans une situation désastreuse. Les pillages, les retards dans l'approbation des mouvements et les attaques contre les biens humanitaires, y compris les entrepôts, ont encore entravé les efforts de secours et rendu presque impossible la livraison de produits de première nécessité aux familles déplacées dans certains endroits.
22. En outre, les données de l’ONG Armed Conflict Location and Event data Project (ACLED) montrent qu’entre le 22 septembre 2022 et le 22 septembre 2023, le Darfour Sud a enregistré 314 incidents sécuritaires ayant donné lieu à 1 060 décès, tandis qu’entre le 15 avril 2023 et le 22 septembre 2023, 205 incidents sécuritaires ont été enregistrés, ayant entraîné la mort de 996 personnes. La même organisation souligne, dans un document du 8 septembre 2023, intitulé « Situation Update. September 2023. Sudan: Deadly Reciprocal Offensives for Strategic Locations in Khartoum and Darfur » que du 5 août au 1er septembre 2023, les FAS et les FSR ont continué à s'affronter pour le contrôle de villes clés, telles que Nyala, au Darfour Sud, où les FAS conservent leurs bases. La province du Darfour, et le Darfour Sud en particulier, a par ailleurs connu une escalade des tensions et une recrudescence des violences interethniques en raison du soutien présumé de certaines ethnies aux FSR. Les combats entre différentes milices ethniques dans de nombreuses localités du Darfour Sud, dus à des pillages et à des désaccords sur l'allégeance aux FSR, ont fait des centaines de morts. Les conflits entre FAS et FSR, associés aux conflits interethniques, ont eu un impact profond et dévastateur sur les populations civiles. Le même document précise que si l'État de Khartoum continue d'enregistrer le plus grand nombre d'incidents sécuritaires et de décès, l'État du Darfour Sud, deuxième région la plus touchée par les conflits, a connu, entre le 5 août 2023 et le 1er septembre 2023, près de 40 incidents sécuritaires et plus de 380 morts. Au Darfour Sud, la ville de Nyala a été le théâtre d'affrontements quasi quotidiens entre les FAS et les FSR autour de la 16e base d'infanterie des forces armées soudanaises. Des centaines de victimes civiles ont été signalées, tandis que plus milliers de personnes fuyaient quotidiennement leur foyer. L'intensification des hostilités autour de sites stratégiques cruciaux au Darfour Sud a infligé des souffrances sévères et durables aux populations civiles locales. En dehors de Nyala, une intensification des affrontements interethniques a également été signalée, entraînant une nouvelle escalade de la violence notamment suite à des pillages. Près de 120 personnes ont été tuées en plusieurs endroits du Darfour Sud au cours des affrontements, des dizaines de personnes ont été blessées et des centaines ont été déplacées. En outre, le Département d’Etat américain, dans un communiqué du 17 août 2023 intitulé « On Fighting in Nyala in South Darfur, Sudan », fait état de bombardements aveugles menés par les deux camps, FAS et FSR, entraînant des victimes parmi les populations civiles. Enfin, dans un communiqué du 24 août 2023, intitulé « People trapped by indiscriminate attacks in Nyala, South Darfur », l’ONG Médecins Sans Frontières souligne que des attaques indiscriminées sont menées au Darfour Sud, particulièrement à Nyala, et touchent régulièrement les populations civiles. Le même document précise que toutes les routes permettant d’entrer ou de sortir de Nyala sont coupées en raison des hostilités, piégeant les civils dans les zones de conflits. Ces mêmes civils peuvent par ailleurs être utilisés comme boucliers humains par les différentes forces belligérantes. Dans ces circonstances, doit être observée à la date de la présente décision une forte intensification des combats au Darfour Sud entre FAS et FSR, doublés de conflits interethniques motivés par des allégeances réelles ou présumées aux FAS ou aux FSR, l’ensemble de ces conflits touchant de façon massive et indiscriminée les populations civiles. La situation ne s’est pas améliorée en 2025. Selon le média indépendant soudanais Ayin Network, cité dans un document de l’Agence de l’Union européenne pour l’Asile publié le 9 avril 2025, « Nyala, la capitale du Darfour-Sud, est perçue comme une « cible militaire » car elle est le centre des activités commerciales des FSR. Elle a donc été la cible de frappes aériennes répétées en 2025, faisant des victimes civiles. » Ainsi, à la mi-mars 2025, Nyala a connu plusieurs jours consécutifs d'attaques de missiles non identifiés. D’autre part, sur les 574 incidents de sécurité recensés par l’ONG américaine ACLED au Darfour entre le 1er décembre 2024 et le 21 mars 2025, 200 ont été référencés comme des batailles. Lors de 289 incidents, les cibles principales ou uniques ont été des civils. Selon ACLED, « El Fasher et Nyala ont été les villes les plus touchées. »
23. Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la situation de conflit armé interne dans l’Etat du Darfour Sud engendre, pour tout civil devant y retourner ou y transiter, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle au sens des dispositions du 3° de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
24. Par conséquent, M. E, qui possède la qualité de civil doit se voir accorder le bénéfice de la protection subsidiaire sur le fondement de ces dernières dispositions.
Surhttps://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000020829711?isSuggest=true l’application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
25. M. E ayant obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que Me Seguin, avocat de M. E, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’État, il y a lieu de mettre à la charge de l’OFPRA la somme de 1000 (mille) euros à verser à Me Seguin".
cf aussi concernant les conséquences de l'annulation du pays de destination par le juge administratif concernant un recours contre une OQTF:
CE, 3 juillet 2009, n°298575 https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000020829711?isSuggest=true
Denis Seguin
Avocat spécialiste en droit des étrangers
Docteur en droit
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