Jugement
Tribunal administratif de Nantes (5ème chambre) du 13 avril 2023
n°2204488 :
"...5.Il
résulte de l’article 47 du code civil auquel renvoie l’article L 811 2 du code
de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que la force
probante d’un acte d’état civil établit à l’étranger, peut être combattue par
tout moyen susceptible d’établir que l’acte en cause est irrégulier et falsifié
ou inexact. En cas de contestation par l’administration de la valeur probante d’un
tel acte, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de
l’ensemble des éléments produits par les parties. Par ailleurs, il appartient à
l’autorité administrative française de tenir compte, sauf à ce qu’il ait fait l’objet
d’une déclaration d’inopposabilité par le juge judiciaire, ou a établir l’existence
d’une fraude ou d’une situation contraire à la conception française de l’ordre
public international, d’un jugement supplétif dont la transcription est assurée
par un acte d’état civil.
6.
Pour remettre en cause la force probante, au sens de l’article 47 du code civil,
des documents produits par le demandeur pour justifier de son état civil, le
préfet de Maine-et-Loire a indiqué que l’intéressé avait, lors de sa prise en
charge par les services de l’aide sociale à l’enfance en novembre 2018, présenté
une première série de documents d’état civil, formée également d’un jugement
supplétif d’acte de naissance et d’un acte de transcription de ce jugement dans
les registres de l’état-civil, qui ont été considérés par les services de la
police aux frontières de la Loire-Atlantique, dans des rapports du 9 novembre
2018,comme « irrecevables, en raison notamment d’incohérence avec le droit
national ». L’autorité préfectorale, s’agissant de la 2nde
série de documents d’état civil produits correspondant à ceux mentionné au
point 4, s’est de nouveau appuyé sur les conclusions de l’analyse documentaire
menée par les services de la police aux frontières de la Loire-Atlantique, lesquels
ont, dans leur rapport du 17 juin 2021, de nouveau estimé que ces documents n’étaient
pas recevables au regard de l’article 47 du code civil. Le préfet relève ainsi,
d’une part, que le numéro d’enregistrement de l’acte de transcription dans les
registres de l’état-civil diffère de celui de l’acte de transcription
précédemment produit, d’autre part, que les témoins entendus par le tribunal
ayant rendu le jugement supplétif sont les mêmes que ceux apparaissant dans le
jugement supplétif de 2018 alors que leur âge ne varie pas. Dans son mémoire en
défense, le préfet de Maine-et-Loire ajoute que les documents d’état civil
produits méconnaissent les articles 184 et 185 du code civil guinéen et 55 du
code de procédure civile et économique et insiste sur la coexistence, pour la
même personne, de 2 jugements supplétifs d’actes de naissance et de 2 actes de
transcription distincts sur le registre de la même commune et sous des
références différentes.
7.
Il ressort des pièces du dossier qu’avant de produire les documents d’état
civil évoqués au point 4 , le requérant avait présenté, afin de justifier de
son identité pour être prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance,un
jugement supplétif d’acte de naissance numéro 13270 du 10 octobre 2018 rendu
par le Tribunal de première instance de Conakry III Mafanco et un extrait du
registre de transcription sous le numéro 13270 au sein des services d’état
civil de la commune de Matoto, ville de Conakry, de ce jugement supplétif,
cette transcription étant intervenue le 22 octobre 2018. La force probante de ces
documents d’état civil ayant été remise en cause par les services de la police
aux frontières de la Loire-Atlantique, le préfet de Maine-et-Loire ne saurait
sérieusement opposer aux requérants la circonstance qu’il ait de nouveau
sollicité le Tribunal de première instance de Conakry-III- Mafanco afin d’établir
un nouveau jugement supplétif tenant lieu d’acte de naissance, aucune pièce du
dossier ne permettant par ailleurs d’établir qu’une telle pratique serait
contraire au droit guinéen. Par ailleurs, la circonstance que les jugements
supplétifs des 10 octobre 2018 et 25 novembre 2021 mentionnent, chacun, que l’état
civil du demandeur a été reconstitué au regard des 2 mêmes témoins dont l’âge
est identique d’un jugement à l’autre, alors que ces jugements ont été rendus à
3 ans d’intervalle, ne permettent pas d’établir que le 2nd jugement
aurait un caractère frauduleux. De sorte que le préfet de Maine-et-Loire ne
peut mettre en doute le bien-fondé de cette décision rendue par une autorité
juridictionnelle étrangère. Contrairement à ce que soutient encore le préfet, la
circonstance que les actes de transcription des jugements supplétifs étaient
chacun inscrit dans le registre d’une année différente et sous un numéro
différent, n’est pas constitutif d’une anomalie. Au contraire, elle est
cohérente dès lors que la transcription d’un jugement supplétif s’opère dans
les registres de l’année en cours, à la date de la présentation du jugement
supplétif auprès de l’officier d’État civil, les registres d’état civil d’une
année donnée étant clos à la fin de chaque année civile. Enfin, si le préfet de
Maine-et-Loire soutient que les documents d’État civil produits méconnaissent
les articles 184 et 185 du code civil guinéen et 55 du code de procédure civile
et économique, il ne précise pas davantage les irrégularités qu’il entend
relever, de sorte que celle-ci ne sont, en tout état de cause, pas établies.
Dans ces conditions, par la production combinée du jugement supplétif numéro
9789 tenant lieu d’acte de naissance du 25 novembre 2020 rendue par le Tribunal
de première instance de Conakry-III- Mafanco indiquant que Monsieur C est né le
24 juin 2003 de la relation entre Monsieur B. et Madame C. aime ainsi qu’un un extrait du
registre de l’état civil de la commune de Matoto, ville de Conakry faisant état
de la transcription, sous le numéro 833 de ce jugement supplétif intervenu le
15 janvier 2021, le requérant justifie de son identité. Ainsi, le motif tiré de
l’absence de justification de cette identité par le demandeur et de ce qu’il a
bien été confié à l’aide sociale à l’enfance avant l’âge de 16 ans est entaché
d’erreurs d’appréciation.
9 .
Le présent jugement annule la décision, refusant la délivrance à Monsieur C d’une
carte de séjour temporaire dès lors que la seule condition énoncée par l’article
L 423 22 du code de l’entrée du séjour des étrangers et du droit d’asile que le
préfet de Maine-et-Loire a considéré comme n’étant pas rempli par l’intéressé
doit être au contraire regardée comme satisfaite. Par ailleurs, cette autorité
reconnaît que les autres conditions mentionnées par les dispositions précitées
de cet article sont respectées en l’espèce. Dans ces circonstances, et alors qu’il
ne résulte pas de l’instruction qu’un changement de circonstances serait
intervenu depuis la décision annulée, le présent jugement implique
nécessairement la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la
mention vie privée et familiale en conséquence. Il y a lieu en application de l’article
L 911 un du code de justice administrative d’enjoindre au préfet de
Maine-et-Loire de délivrer cette autorisation de séjour dans le délai d’un mois
à compter de la notification de ce jugement".
Denis Seguin
Avocat spécialiste en droit des étrangers
Docteur en droit
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