TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE NANTES
Nos 2404406 et 2404407
16 juillet 2024
"...Considérant ce qui suit :
1. M. M et Mme T sont de la même famille, le premier étant le fils cadet de la seconde. Les décisions dont l’annulation est demandée par leurs requêtes ont le même objet. Ces requêtes présentent à juger des questions liées entre elles. Elles ont fait l’objet d’une instruction commune. En conséquence, il y a lieu d’en joindre l’examen pour qu’il soit statué sur les conclusions de ces requêtes par un seul et même jugement.
2. M. M est un ressortissant arménien qui est né le 4 janvier 2001. Mme T, née le 22 mars 1964, est de même nationalité. Cette dernière et son fils sont entrés en France le 3 septembre 2023 au moyen de leur passeport respectif, revêtu d’un visa d'entrée et de court séjour délivré par les autorités consulaires grecques. M. M a présenté une demande d’asile. Mme T a également sollicité l’asile. Ces demandes ont été rejetées par le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides le 12 décembre 2023. Le 22 janvier 2024, Mme T a présenté une demande tendant à la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" en invoquant son état de santé. Cette demande a été rejetée le lendemain par le préfet de Maine-et-Loire au motif qu’elle n’était pas recevable. Cette autorité a estimé que cette demande avait été présentée plus de trois mois après l’enregistrement de sa demande d’asile et que les pathologies dont elle avait fait état n’étaient pas apparues postérieurement à cet enregistrement. Le 29 février 2024, cette même autorité a prononcé à l’encontre de Mme T une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de renvoi en cas d’exécution d’office de cette mesure d’éloignement. Le même jour, le préfet de Maine-et-Loire a pris, par un arrêté distinct, les mêmes mesures à l’encontre de M. M. Prises dans leur ensemble, les requêtes n° 2404406 et n° 2404407 tendent à l’annulation de ces décisions.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
3. Aux termes de l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / (…) 4° (…) l'étranger (…) ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; (…) », c’est à dire d'un titre de séjour, d’un document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou d’une autorisation provisoire de séjour.
4. Selon l’article L. 612-12 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « La décision portant obligation de quitter le territoire français mentionne le pays, fixé en application de l'article L. 721-3, à destination duquel l'étranger est renvoyé en cas d'exécution d'office ».
Nos 2404406 et 2404407 4
5. Il est constant que M. M et Mme T ne bénéficient plus du droit de se maintenir sur le territoire français en leur qualité respective de demandeur et de demandeuse d’asile et ne sont pas titulaires de l’un des documents de séjour évoqués au point précédent. M. M et Mme T étaient ainsi susceptibles de faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français sur le fondement des dispositions citées au point 3.
6. Cependant, lorsque la loi prescrit l'attribution de plein droit d'un titre de séjour à une personne de nationalité étrangère, cette circonstance fait obstacle à ce qu'elle puisse légalement faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. L’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prescrit l’attribution de plein droit d’une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an lorsque l’état de santé d’une personne de nationalité étrangère, résidant habituellement en France, nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir, pour elle, des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans son pays d’origine, elle ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié.
7. Lorsque l’autorité préfectorale entend prononcer à l’encontre d’une personne de nationalité étrangère une obligation de quitter le territoire français mais qu’elle dispose d’éléments susceptibles de permettre la délivrance, à cette personne, d’une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" sur le fondement de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il lui appartient d’apprécier si ce titre de séjour doit lui être attribué. Il résulte des dispositions de ce même article que lorsque cette même personne justifie auprès de l’autorité préfectorale d'éléments suffisamment précis sur la nature et la gravité des troubles dont elle souffre, cette autorité est tenue, préalablement à sa décision, de recueillir l'avis du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Compte tenu de l’objet et des effets d’une obligation de quitter le territoire français, est sans incidence sur l’existence de cette double obligation la circonstance qu’antérieurement au prononcé d’une telle mesure, l’autorité préfectorale a rejeté, comme étant irrecevable, une demande tendant à la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" sur le fondement de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
8. Le 14 février 2024, soit antérieurement au prononcé de l’obligation de quitter le territoire français en litige, Mme T a adressé au préfet de Maine-et-Loire un certificat médical, établi la veille par une praticienne hospitalière du département de néphrologie dialyse et de transplantation du Centre hospitalier universitaire d’Angers. Il ressort de ce certificat médical que, antérieurement à son entrée en France, Mme T a développé une insuffisance rénale chronique et qu’elle était hémodialysée sur cathéter jugulaire interne. Il ressort également de ce certificat que, au mois d’octobre de l’année 2023, soit postérieurement à l’enregistrement de sa demande d’asile, Mme T a développé de nouvelles pathologies puisqu’elle a été hospitalisée, une première fois, pour une bactériémie sur cathéter de dialyse à staphylococcus épidermidis compliquée d’une thrombose veineuse profonde et, une seconde fois, pour des douleurs abdominales et une anémie. Il ressort encore de ce même certificat que le traitement quotidien de Mme T est composé de plusieurs médicaments et qu’il est complété par d’autres médicaments lors des séances d’hémodyalise. Ce certificat, que le préfet de Maine-et Loire avait reçu à la date de l’obligation de quitter le territoire français en litige, contenait des éléments susceptibles de permettre la délivrance à Mme T d’une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" sur le fondement de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ces éléments étaient suffisamment précis sur la nature et la gravité de ses troubles de sorte que le préfet, qui était tenu, préalablement à sa décision, de recueillir l'avis du collège de médecins de l’OFII, ne pouvait pas, comme le soutient la requérante, prononcer à son encontre une obligation de quitter le territoire français sans avoir vérifié si elle ne pouvait pas bénéficier, de plein droit, de la carte de séjour temporaire précitée après avoir procédé à la consultation de ce collège.
9. Il résulte de ce qui précède que Mme T est fondée à demander l’annulation de l’obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, prononcée à son encontre le 29 février 2024 par le préfet de Maine-et-Loire. L’illégalité de cette mesure d’éloignement prive de base légale, comme elle le soutient, la décision fixant le pays de destination. Dès lors, cette décision doit être également annulée.
10. M. M est le seul membre de la famille de Mme T qui se trouve en France. Compte tenu de l’état de santé de cette dernière tel qu’il ressort du certificat médical du 14 février 2024 dont les constats sont au demeurant confirmés par le certificat médical du 7 juin 2024 établi par la même praticienne hospitalière, le préfet de Maine-et-Loire ne peut sérieusement soutenir que la présence de M. M, âgé de 23 ans, auprès de sa mère ne lui serait pas indispensable au quotidien. Dans ces conditions, l’obligation de quitter le territoire français opposée à M. M est entachée d’erreur manifeste d’appréciation de ses conséquences.
11. Il résulte de ce qui précède que le requérant est fondé à demander l’annulation de l’obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, prononcée à son encontre le 29 février 2024 par le préfet de Maine-et-Loire. L’illégalité de cette mesure d’éloignement prise de base légale, comme il le soutient, la décision fixant le pays de destination. Dès lors, cette décision doit être également annulée.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
12. Aux termes de l’article L. 614-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée (…) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ».
13. L’annulation des obligations de quitter le territoire français opposées à Mme T et à M. M implique nécessairement, en vertu de l’article L. 614-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, que leur situation respective soit de nouveau examinée par l’autorité préfectorale et que leur soit délivrée, à chacun, une autorisation provisoire de séjour. Il y a lieu, par suite, d’enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de délivrer à Mme T et à M. M, dans un délai de huit jours à compter de la notification du présent jugement, une autorisation provisoire de séjour. Cette autorisation doit être accordée jusqu'à ce que l’autorité préfectorale ait à nouveau statué sur leur cas.
Sur les frais liés aux litiges :
14. En application des articles 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et 92 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 pris pour l’application de cette loi, l’Etat, partie perdante dans la présente instance, versera à Me Seguin, avocat de Mme T et à M. M, qui bénéficient chacun de l’aide juridictionnelle totale, une somme globale qu’il y a lieu de fixer à 1 300 (mille trois cents) euros, hors taxe sur la valeur ajoutée. Conformément à l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, ce versement vaudra renonciation de Me Seguin à la perception des parts contributives de l’Etat liées à l’aide juridictionnelle accordée à la requérante et à celle dont bénéficie le requérant".
Denis Seguin
Avocat spécialiste en droit des étrangers
Docteur en droit
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