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Réseau de traite des êtres humains RDC Protection subsidiaire

 COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE ,(6ème Section, 2ème Chambre),N° 24017629, 5 juillet 2024 

“3. Mme N…, ressortissante de République démocratique du Congo (RDC), née le 12 mai 2006, soutient qu’elle craint d’être exposée, en cas de retour dans son pays d’origine, à  des persécutions ou à une atteinte grave du fait de la société congolaise et de sa mère en  raison des accusations de sorcellerie que cette dernière fait peser sur elle, et du fait de la  société congolaise en raison de sa vulnérabilité et de son exposition aux réseaux de  prostitution, sans pouvoir bénéficier de la protection des autorités. Elle fait valoir les faits  suivants : ses parents se sont séparés lorsqu’elle a eu six ans et elle est restée avec sa mère.  Celle-ci s’est mise en couple avec un policier travaillant de nuit. Contrainte de mettre un  terme à sa scolarité pour des raisons financières, elle est restée au domicile à s’occuper de ses  collatéraux. Alors âgée de neuf ans, elle a subi les avances de son beau-père qui lui a fait subir  de graves sévices jusqu’à ses onze ou douze ans. En 2018, sa mère a fini par les surprendre et  les a violentés. Elle s’est réveillée seule à l’hôpital où elle a appris que sa mère l’accusait de  sorcellerie. A sa sortie de l’hôpital trois jours plus tard, elle a suivi un pasteur jusqu’à une  église où elle a subi des cérémonies de désenvoûtement durant deux semaines. Elle a pris la  fuite un dimanche et a vécu une semaine à la rue avant d’être recueillie par une proxénète  pour le compte de laquelle elle s’est prostituée pendant un an. Elle a ensuite fui en République  du Congo avec sa proxénète qui avait subtilisé de l’argent à un client militaire. Elles y sont  restées cinq jours avant de partir en Turquie, où elle a vécu neuf mois et s’est prostituée. Sur  les conseils d’une connaissance, elle est ensuite partie pour la Grèce, où elle est arrivée le 5  janvier 2020. Elle a été contrainte de s’y prostituer afin de subvenir à ses besoins. A Lesbos,  elle a subi de graves sévices et a perdu toutes ses effets personnels dans un incendie. Avec l’aide financière d’un client, elle a quitté la Grèce le 14 janvier 2023 et est arrivée en France  le jour-même. 

    4. Toutefois, les déclarations, parfois confuses, de Mme N n’ont pas permis de  déterminer les raisons qui l’ont poussée à quitter le domicile familial. En effet, elle a tenu des  propos peu substantiels sur le nouveau compagnon de sa mère ainsi que sur les circonstances  dans lesquelles celle-ci l’aurait surpris en train de lui infliger de graves sévices. Les  conditions dans lesquelles elle aurait vécu deux semaines dans une église, où elle aurait subi  des séances d’exorcisme pratiquées par un pasteur, ont été rapportées en des termes peu  substantiels. Par ailleurs, alors qu’elle affirme avoir perdu tout contact avec sa mère après que  celle-ci l’a accusée de sorcellerie et l’a confiée à un pasteur dont elle aurait eu les  coordonnées au travers d’un spot télévisé, elle n’a pas été en mesure d’expliquer les raisons  pour lesquelles sa mère aurait initié les démarches administratives nécessaires à l’obtention  des documents d’état civil versés au dossier et dont elle affirme l’authenticité.  

5. En revanche, les déclarations de Mme N se sont révélées plus précises sur sa  prise en charge par une proxénète en 2018 alors qu’elle était âgée de onze ou douze ans. Elle a  tenu des propos personnalisés sur son parcours aux côtés de cette personne entre la RDC, la  République du Congo et la Turquie. Il ressort, en outre, de ses déclarations qu’à chaque étape  de son voyage jusqu’en Europe, elle a été accompagnée par un individu masculin majeur dont  le rôle est resté suspect. Concernant sa situation actuelle, il ressort du bulletin de notes et du  contrat jeune majeur, versés au dossier, qu’elle bénéficie d’un suivi rapproché de la part du  conseil départemental de Maine-et-Loire qui pourvoit à son hébergement et à son entretien et  que ses résultats scolaires sont le produit d’un travail sérieux assorti à une assiduité rigoureuse  qui ne laissent pas de place à une activité annexe de prostitution. Au regard du parcours  personnel exposé et dans les circonstances particulières de l’espèce, il est raisonnable de  penser que Mme N se trouverait dans une situation de grande vulnérabilité en RDC,  aggravée par son jeune âge et les violences dont elle a déjà été victime de la part d’un réseau  de traite, corroborées par la note clinique rédigée par un docteur en psychologie le 29 avril  2024, versée au dossier, qui, cumulativement, l’exposerait au risque soit de subir des  représailles de la part de membres de ce réseau, soit d’être forcée de se prostituer de nouveau, en l’absence de toute protection crédible des autorités. A cet égard, le rapport du Département  d’État des États-Unis de mars 2021 sur la situation des droits de l’homme en RDC,  intitulé « 2020 Country reports on Human Right Practices : Democratic Republic of the  Congo », relève que les femmes vulnérables sont des cibles privilégiées de réseaux de  prostitution à Kinshasa contre lesquels les autorités congolaises restent inefficaces. Ainsi, si  l’intéressée ne saurait prétendre à ce que lui soit reconnue la qualité de réfugiée dès lors qu’il  ne ressort ni de ses déclarations ni de la documentation publique qu’elle serait membre d’un  groupe social fondé sur sa soustraction à un réseau de traite en RDC au sens de l'article 1er, A,  2 de la convention de Genève, elle établit cependant être exposée, en cas de retour dans son  pays d’origine, à une atteinte grave, au sens de l’article L. 512-1, 2° du code de l’entrée et du  séjour des étrangers et du droit d’asile, en raison de sa vulnérabilité lui faisant courir un risque  accru de prostitution sous contrainte, sans être en mesure de bénéficier de la protection  effective des autorités. Dès lors, elle doit se voir accorder le bénéfice de la protection  subsidiaire. 

Sur l’application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991

6. Mme N ayant obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle, son avocat peut se  prévaloir des dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que Me Seguin renonce à percevoir la somme correspondant à la part  contributive de l’Etat, il y a lieu de mettre à la charge de l’OFPRA une somme de 1 100 (mille  cent) euros à verser à Me Seguin”.  


Denis Seguin

Avocat spécialiste en droit des étrangers

Docteur en droit



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