lundi 18 mars 2024

Réunification familiale Refus de visa Délégation autorité parentale

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF 

DE NANTES 


N° 2305974 

Mme S

Décision du 18 mars 2024 


Tribunal administratif de Nantes 

(9ème Chambre)

“...Considérant ce qui suit : 

1. Mme Salima D…, ressortissante guinéenne, née le 12 juin 1988, s’est vu  reconnaître la qualité de réfugié par décision de l’Office français de protection des réfugiés et  apatrides (OFPRA) du 30 mars 2018. Des visas de long séjour ont été sollicités pour Moustapha  B et Mohamed M B, qu’elle présente comme ses enfants, nés respectivement les  12 mars 2008 et 11 avril 2011, en qualité de membres de famille d’une réfugiée, auprès de  l’autorité consulaire à Dakar (Sénégal), laquelle, par des décisions du 31 janvier 2023, n’a pas  fait droit à leurs demandes. Par une décision implicite née le 17 avril 2023, dont Mme D demande l’annulation, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée  en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire. 

Sur les conclusions à fin d’annulation

2. Aux termes de l’article D. 312-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers  et du droit d'asile : « En l'absence de décision explicite prise dans le délai de deux mois, le  recours administratif exercé devant les autorités mentionnées aux articles D. 312-3 et D. 312- 7 est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision contestée. (…) ». 

3. Pour rejeter le recours préalable formé à l’encontre de la décision consulaire, la  commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France doit être regardée  comme s’étant fondée sur les motifs retenus par la décision consulaire, tirés de ce que, d’une  part, les intéressés ne justifient pas de leur identité et de leur situation de famille et, d’autre part,  les documents produits lors du dépôt des demandes de visas ne permettent pas de justifier que  le lien de filiation n’est établi qu’à l’égard de la personne qu’ils entendent rejoindre en France,  ou que l’autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux, ou qu’ils auraient été confiés  à la personne qu’ils entendent rejoindre en France au titre de l’autorité parentale, en vertu d’une  décision d’une juridiction étrangère. 

4. Aux termes des dispositions de l’article L. 561-2 du code de l’entrée et du séjour  des étrangers et du droit d’asile : « Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public,  le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice  de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de  la réunification familiale : (…) 3° Par les enfants non mariés du couple, n’ayant pas dépassé  leur dix-neuvième anniversaire. / (…) / L’âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la  demande de réunification familiale a été introduite. ». Aux termes des dispositions de l’article  L. 561-5 de ce code : « Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la  protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une  durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent  sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil  justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection  subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les  éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou  authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de  l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de  l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du  contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux ». 

5. La circonstance qu’une demande de visa de long séjour ait pour objet le  rapprochement familial des enfants d’une personne admise à la qualité de réfugié ne fait pas  obstacle à ce que l’autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant,  sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, sur un motif d’ordre public. Figure au nombre  de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien  matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l’appui des demandes de visa.  

6. Aux termes de l’article L. 811-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et  du droit d’asile : « La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les  conditions définies par l’article 47 du code civil (…) ». Aux termes de l’article 47 du code civil :  « Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les  formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données  extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne  correspondent pas à la réalité ».  

7. Il résulte de ces dispositions que la force probante d’un acte d’état civil établi à  l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est  irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l’administration de la valeur probante  d’un acte d’état civil établi à l’étranger, il appartient au juge administratif de former sa  conviction au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu’un acte  d’état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu’il soit irrégulier, falsifié ou  inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le  cadre de l’instruction du litige qui lui est soumis. 

8. Il n’appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le  bien-fondé d’une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où  le jugement produit aurait un caractère frauduleux. 

9. Aux termes de l’article L. 561-4 du même code : « Les articles L. 434-1, L. 434-3  à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. La réunification familiale  n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de  logement. ». Aux termes de l’article L. 434-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et  du droit d’asile : « Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants  mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint si, au jour de la demande : 1° la  filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint 2° Ou lorsque l'autre parent  est décédé ou déchu de ses droits parentaux ». Et aux termes de l’article L. 434-4 du même  code : « Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans  du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre  de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d’une décision d’une juridiction étrangère. Une  copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser  le mineur venir en France ». 

10. D’une part, il ressort des pièces du dossier, et plus particulièrement des extraits  du registre des actes de naissance, dressés le 11 novembre 2015 par un officier d’état civil de  la commune de Boké, et des jugements supplétifs n°631 et 653 des 23 et 28 avril 2015, tenant  lieu d’actes de naissance, dont les mentions sont concordantes avec celles figurant sur les  passeports des intéressés, que les jeunes M B et Mo M B sont les  enfants de Mme Diaby. Si le ministre de l’intérieur et des outre-mer fait valoir que les dates et  lieux de naissance des parents ne sont pas mentionnés sur ces jugements supplétifs et sur les  actes de naissance pris en transcription, il n’indique pas quelles dispositions de droit local  auraient ainsi été méconnues. Par suite, l’identité de ces enfants et leur lien de filiation avec  Mme Diaby doivent être regardés comme établis.  

11. D’autre part, il ressort également des pièces du dossier, et notamment d’un  jugement de délégation de l’autorité parentale du tribunal de première instance de Boké, n°186,  du 2 décembre 2022, non contesté par le ministre, qu’à la demande du père des enfants, faisant  valoir qu’il ne disposait, lui-même, plus de ressources suffisantes pour subvenir à leurs besoins,  l’exercice de l’autorité parentale à leur égard et leur garde ont été confiées à Mme D. S’il  n’est pas contesté qu’à la date de la décision attaquée, Mme D n’avait pas produit  d’autorisation de sortie du territoire signée du père des enfants, le jugement du tribunal de  première instance de Boké, n°186, du 2 décembre 2022 lui a, comme il vient de l’être dit, confié  la garde des enfants. Dès lors qu’à la date de ce jugement, Mme Diaby résidait en France, et  que ce jugement, qui se fonde sur l’intérêt supérieur des enfants, a été rendu à la demande de leur père, celui-ci doit être regardé comme ayant autorisé ses enfants M et M Ma à rejoindre leur mère sans lui. La circonstance que ce jugement n’ait été versé au  dossier qu’au stade du recours administratif préalable obligatoire formé devant la commission  de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est sans incidence, la saisine  de cette commission ayant pour effet de dessaisir l’autorité consulaire et de lui donner  compétence pour se prononcer sur les demandes de visas en litige. Dans ces conditions, et alors  que l’administration n’apporte aucun autre élément de nature à démontrer que les jugements  produits seraient frauduleux, la commission de recours contre les décisions de refus de visa  d'entrée en France n’a pu, sans entacher sa décision d’illégalité, refuser de donner une suite  favorable au recours formé contre la décision de refus du visa sollicité.  

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens  de la requête, que Mme D est fondée à demander l’annulation de la décision attaquée. 

Sur les conclusions à fin d'injonction : 

13. Le présent jugement implique nécessairement qu’il soit procédé à la délivrance  du visa sollicité, au profit de M B et M M B, dans un délai de  deux mois suivant sa notification…”. 


Denis Seguin

Avocat 

Spécialiste en droit des étrangers

Docteur en droit


lundi 11 mars 2024

Statut de Réfugié Bangladesh Conflit foncier Persécutions Hindouisme

 

COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE,N° 23056976 , 8 mars 2024 


(5ème Section, 2ème Chambre)

“...Considérant ce qui suit :  

Sur la demande d’asile

1. Aux termes de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du  protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute  personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se  trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut  se réclamer de la protection de ce pays ».  

2. M. P, de nationalité bangladaise, né le 25 août 1987, soutient qu’il craint d’être exposé à des persécutions ou de subir une atteinte grave, en cas de retour dans son pays  d’origine, du fait de militants du Parti nationaliste du Bangladesh (BNP), en raison de sa  confession hindoue, sous couvert d’un conflit foncier. Originaire du village de Nij DakshinBag  dans le district de Moulvibazar, il fait valoir qu’il est issu de la minorité hindoue. Sa famille  possédait un commerce, des terres et un restaurant nommé « hôtel cinq étoiles ». A partir de  2018, il a fait l'objet de racket de la part de trois membres du BNP qui voulaient également  spolier les terres familiales. En avril 2020, il a été victime d'une agression qui a nécessité une  brève hospitalisation. A son retour, son magasin était détruit et il a dû le reconstruire. Le 26  juin 2020, il a de nouveau été victime d'une attaque, en présence de son père et de son frère. Le  5 février 2021, il a été agressé par ces mêmes individus. En octobre 2022, son épouse a échappé  de peu à une agression à caractère sexuel. Le 25 mars 2023, une rixe a opposé des partisans du  BNP et de la Ligue Awami. Il a appris que l'un de ses agresseurs du BNP avait perdu la vie. Il  a alors appris qu'il était considéré comme suspect et que la police était venue à son domicile. Il  s'est alors réfugié dans la division de Chittagong. Il a quitté son pays le 15 mai 2023 et est arrivé  en France le 21 juin 2023. 

3. Les déclarations précises et circonstanciées de M. P, notamment celles faites  au cours de l’audience devant la Cour, ont permis de tenir pour établie sa confession hindoue  et de conclure au bien-fondé de ses craintes pour ce motif en cas de retour au Bangladesh. En  effet, sa confession hindoue a été établie par l’Office et n’est pas remise en cause par la Cour. 

A ce sujet, il a démontré une connaissance certaine et appuyée des préceptes religieux hindous  et a été en mesure de relater précisément sa pratique religieuse et la situation de la  minorité hindoue dans sa localité. Par ailleurs, il a livré des informations précises sur la façon  dont son agresseur, qui convoitait ses biens en raison de son appartenance à la communauté  hindoue, et qui été membre de la Ligue Awami, a progressivement réussi à s’emparer du terrain  agricole familial par la force. Il a également tenu un discours précis s’agissant des démarches  entreprises afin de résister à son agresseur et de faire valoir ses droits, notamment en se rendant  au commissariat, à deux reprises, en vain. Il s’est exprimé en des termes tangibles sur les deux  agressions qu’il a subies le 26 juin 2020 et le 5 février 2021 et les pressions psychologiques  dont il a été victime en raison de sa résistance à l’accaparement de ses biens. Il a également  évoqué de façon précise l’agression que son épouse a subie en octobre 2022. 

De surcroit, les circonstances dans lesquelles il a été impliqué dans une affaire controuvée, à la suite d’un  affrontement entre deux groupes rivaux de la Ligue Awami le 24 mars 2023, et accusé à tort  par son agresseur qui souhaitait lui nuire, ont été exposées avec tout autant de clarté. En outre,  ses déclarations s’inscrivent dans un contexte avéré, corroboré par les sources d’informations  publiquement disponibles. Le rapport annuel du Département d’Etat américain sur la liberté  religieuse au Bangladesh du 12 mai 2021 et le rapport du Minority Rights Group, intitulé  « Under threat : The challenges facing religious minorities in Bangladesh », publié en  novembre 2016, soulignent en effet que les minorités confessionnelles au Bangladesh,  notamment la communauté hindoue, sans faire l’objet de persécutions générales et  systématiques, constituent des groupes vulnérables. Ces minorités confessionnelles se trouvent  particulièrement exposées à l’intimidation et aux pratiques discriminatoires émanant de  membres de la majorité musulmane de la population et sont susceptibles d’être exposées à des  persécutions concrétisées notamment par des violences physiques, des dégradations et des  destructions de lieux de culte, des accusations de blasphème et des spoliations de biens sans  que les autorités publiques s’y opposent de manière efficace. Ces mêmes sources soulignent  également que les violences ciblant la communauté hindoue sont fréquemment liées à des  questions foncières. Sur ce point, le rapport du Bureau européen d’appui en matière d’asile  (EASO) intitulé « Country of Origin Information Report – Bangladesh, Country Overview »,  publié en décembre 2017, rappelle que la population hindoue du Bangladesh est passée  d'environ 23 % en 1971 à environ 9 % en 2016, principalement en raison de problèmes liés aux  conflits fonciers, au harcèlement et aux agressions occasionnelles dont est victime cette  communauté. Ce rapport recense un nombre important d'attaques contre les hindous et de  nombreux actes de vandalisme visant des habitations, des temples, des monastères et des  statues hindoues pour la période de janvier à septembre 2017 et indique que les conflits fonciers  ont parfois touché de manière disproportionnée les minorités religieuses, en particulier la  communauté hindoue. Ainsi, il résulte de ce qui précède que M. P craint avec raison, au  sens des stipulations précitées de la convention de Genève, d'être persécuté en cas de retour  dans son pays en raison de son appartenance à la communauté hindoue. Dès lors, il est fondé à  se prévaloir de la qualité de réfugié...".




Denis SEGUIN

Avocat

Spécialiste en droit des étrangers

Docteur en droit


jeudi 29 février 2024

OQTF AES Vie privée et familiale

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE CHALONS-EN-CHAMPAGNE 


N° 2302881 


Décision du 20 février 2024 



(2ème chambre)



“…Considérant ce qui suit : 

1. Mme G, née le 25 juin 1986, de nationalité sénégalaise, déclarant être entrée sur  le territoire français le 22 avril 2021, a déposé une demande d’admission exceptionnelle au  séjour sur le fondement des dispositions de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des  étrangers et du droit d’asile. Par un arrêté en date du 14 décembre 2023, le préfet des Ardennes a  rejeté sa demande, l’a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé  le pays à destination duquel elle pourra être éloignée en cas de défaut d’exécution volontaire. Par  la présente requête, elle demande l’annulation, pour excès de pouvoir, des décisions précitées.

2. Aux termes des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde  des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a droit au respect de  sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir  ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence  est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est  nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la  défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la  morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». Pour l’application de ces stipulations,  l’étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en  France doit apporter toute justification permettant d’apprécier la réalité et la stabilité de ses liens  personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu’il a conservés dans son pays  d’origine. 

3. Il ressort des pièces du dossier que Mme G, présente en France depuis 2021, est  mariée à son époux de nationalité sénégalaise depuis le 25 juin 2010, lequel est en situation  régulière sur le territoire français [titulaire d'une carte de séjour pluri-annuelle de 4 ans, valable jusqu'en 2026]. Elle soutient partager une vie commune à Vouziers,  accompagnés de leurs trois enfants mineurs, scolarisés à l’école primaire. A l’appui de ses  allégations, elle produit notamment le certificat du mariage avec son époux, célébré au Sénégal,  ainsi que des quittances de loyers, factures d’énergie aux deux noms. Il ressort par ailleurs d’une  attestation de la mairie de Châtel-Chéhéry que Mme G résidait avec son mari et ses trois  enfants dans cette commune au 23 novembre 2022. La requérante produit également une  attestation du brigadier-chef principal de police municipale de Vouziers permettant d’établir  qu’ils résident désormais en commun au sein de cette ville depuis le 24 mars 2023. Enfin, il  ressort des pièces du dossier, que ses trois enfants mineurs sont scolarisés depuis 2022 à l’école  primaire. Dans ces conditions, l’arrêté en litige du préfet des Ardennes porte une atteinte  disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance des  stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et  des libertés fondamentales et de l’article 3-1 de la convention internationale des droits de  l’enfant.  

4. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens  de la requête, que l’arrêté du 14 décembre 2023 par lequel le préfet des Ardennes a refusé de lui  délivrer un titre de séjour, l’a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours  et a fixé le pays à destination doit être annulé. 

Sur les conclusions à fin d’injonction  

5. Le motif retenu par le présent jugement implique que le préfet des Ardennes délivre  un titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale » à Mme G dans un délai d’un  mois à compter de sa notification.  

Sur les frais exposés à l’occasion du litige : 

7. L’Etat versera à Me Seguin, représentant Mme G, la somme de 1 200 euros au  titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserves de  renoncer à percevoir la part contributive de l’Etat au titre de l’aide juridictionnelle en application  de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique”. 



Denis Seguin

Avocat spécialiste en droit des étrangers

Docteur en droit



mercredi 21 février 2024

Statut de réfugié Excision Côte d'Ivoire

 

COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE

 N° 23055307 


 13 février 2024 


(5ème section, 1ère chambre)

"...1. Aux termes de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du  protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute  personne qui, « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se  trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut  se réclamer de la protection de ce pays ».  

2. Un groupe social est, au sens de cet article, constitué de personnes partageant un  caractère inné, une histoire commune ou une caractéristique essentielle à leur identité et à leur  conscience, auxquels il ne peut leur être demandé de renoncer, et une identité propre perçue  comme étant différente par la société environnante ou par les institutions. L’appartenance à un  tel groupe est un fait social objectif qui ne dépend pas de la manifestation par ses membres, ou,  s'ils ne sont pas en mesure de le faire, par leurs proches, de leur appartenance à ce groupe. 

3. Il en résulte que, dans une population dans laquelle les mutilations sexuelles  féminines sont couramment pratiquées au point de constituer une norme sociale, les enfants et  les adolescentes non mutilées constituent de ce fait un groupe social. Il appartient cependant à  une personne qui sollicite le statut de réfugié en se prévalant de son appartenance à un groupe  social de fournir l'ensemble des éléments circonstanciés, notamment familiaux, géographiques,  sociologiques, relatifs aux risques de persécution qu'elle encourt personnellement, de manière  à permettre au juge de l’asile d’apprécier le bien-fondé de sa demande. En outre, l’admission  au statut de réfugié peut légalement être refusée, ainsi que le prévoit l’article L. 513-5 du code  de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lorsque l’intéressée peut avoir accès à  une protection sur une partie du territoire de son pays d’origine, à laquelle elle est en mesure,  en toute sûreté, d’accéder afin de s’y établir et d’y mener une vie familiale normale. 

4. Mme B, de nationalité ivoirienne, née le 11 avril 2023, soutient par  l’intermédiaire de Mme T et de M. B ses parents et représentants légaux, risquer  d’être excisée en cas de retour en Côte d’Ivoire. Sa mère et représentante légale fait valoir  qu’elle-même a fui la Côte d’Ivoire pour échapper à une excision. La majeure partie des femmes  de sa famille sont excisées. Sa mère craint que le grand-père de la requérante souhaite faire  procéder à son excision. Sa mère subit des pressions de la part de la famille de son compagnon  afin de la faire exciser. En cas de retour, elle craint que sa fille soit excisée et mariée de force. Son père et représentant légal fait valoir qu’il est opposé à ce que sa fille soit excisée. Il reçoit  des pressions de la part de ses parents et notamment son père afin de faire procéder à son  excision. 

5. Il ressort des sources publiques disponibles et fiables, et notamment du rapport  de la mission commune à l’Office et la Cour en République de Côte d’Ivoire, de  novembre/décembre 2019, que la loi n° 98/757 du 23 décembre 1998, qui prévoit des sanctions  pénales pour les auteurs de mutilations génitales féminines et leurs commanditaires, se révèle d’application peu effective et que le taux de prévalence des mutilations génitales féminines  (MGF) oscille, à l’échelle nationale, entre 25 et 50 %. Ce taux varie fortement selon la région  et l’ethnie ainsi que la confession. Les communautés des régions de l’ouest et du nord, telles  que les Koyakas, Malinkés, les Yacoubas (Dan qui appartiennent au groupe des Mandés du  Sud), les Guérés, les Wobés ou Wés, les Tagbanas, les Mahoukas, les Koros, les Gouros, les  Sénoufos, les Lobi ainsi que certains Baoulés du Centre, pratiquent l’excision. La prévalence  se situe à 60,7 % pour les Mandé du nord (Malinké, Bambara, Dioula, Koyaka, Mahouka) et  43 % pour les Mandé du Sud (Dan ou Yacouba, les Gouro ou Koueni et les Gago). Pour les Gur  et Voltaïques (Sénoufo, Lobi), le taux est de 59,1 %. Pour les Akran, il est de 2,7 % et pour les  Krous, de 14,1 %. Ces chiffres doivent également être examinés en tenant compte du fait que  les excisions pratiquées sur des enfants de plus en plus jeunes, parfois au cours des dix premiers jours suivant la naissance, ne sont pas prises en compte dans les enquêtes faites en général  auprès des femmes âgées de quinze à quarante-neuf ans qui ont subi une excision. Les MGF  sont également plus fréquentes au sein des communautés musulmanes et concernent environ  61,5 % des femmes. Elles sont courantes chez les pratiquantes des religions traditionnelles, le  taux de prévalence s’élevant à environ 40 %, et plus rares chez les chrétiennes, le taux de  prévalence étant de 11,8 % en moyenne, bien que ce chiffre soit plus important à l’ouest,  notamment chez les Dan où la prévalence de l’excision est plus élevée chez les chrétiennes que  les musulmanes. Le taux est par ailleurs d’autant plus élevé que la femme vit dans un milieu  rural et présente un niveau d’éducation faible. Par ailleurs, malgré la législation applicable  punissant les auteurs, complices et coauteurs de mutilations génitales féminines, refuser  l’excision serait impossible pour la jeune fille car cela entraînerait l’exclusion sociale de cette  dernière par la communauté. En effet, le dispositif de recours judiciaire en cas d’excision n’est  que théorique, les cas de refus d’excision étant gérés à l'intérieur de la communauté concernée.  À ce titre, si une personne déposait plainte contre un membre de la famille, elle serait victime  de marginalisation de la part de l’ensemble de sa communauté. En outre, il existe un certain  nombre d’organisations non gouvernementales présentes sur l’ensemble du territoire qui tentent  de lutter contre cette pratique, organisent des campagnes de sensibilisation pour changer les  mentalités, et forment notamment des imams à la lutte contre cette pratique. Cependant, elles  rencontrent des résistances parmi les populations et les chefs religieux ainsi que des officiers  de police judiciaire ou des gendarmes et ne disposent pas des moyens nécessaires pour mener  à bien leur action. Ainsi, il peut être considéré que les enfants et femmes ivoiriennes non  mutilées constituent un groupe social au sens de la convention de Genève. 6. Les déclarations claires et précises faites notamment lors de l’audience par les  parents et représentants légaux de la requérante permettent de tenir pour fondées les craintes  d’excision de cette dernière. En effet, tant la mère que le père de la requérante ont décrit de  manière très étayée l’importance revêtue par la pratique de l’excision au sein de leurs familles  respectives ainsi que des ethnies Sénoufo et Dioula auxquelles ils appartiennent respectivement. La mère de la requérante s’est en outre exprimée de manière très claire au sujet de sa propre  excision et de son refus de voir sa fille être victime d’une telle pratique. Tant le père que la mère de la requérante ont en outre évoqué de manière très étayée les pressions qu’ils subissent  de la part de leurs familles respectives afin de faire procéder à l’excision de cette dernière. Son  père et représentant légal est à cet égard revenu de manière étayée sur les messages menaçants  qu’il reçoit de la part de ses oncles afin qu’il fasse procéder à l’excision de la requérante. Dans  ce contexte familial et sociologique et au regard des explications personnalisées de ses parents,  il est apparu particulièrement plausible que Mme B soit exposée à un risque réel de  mutilation sexuelle féminine, eu égard au fort taux de prévalence de l’excision dans sa  communauté d’origine, sans que ses parents ne soient matériellement en capacité de la protéger.  Les parents et représentants légaux de la requérante ont en outre utilement produit un certificat  médical en date du 30 octobre 2023 attestant de sa non-excision. Ainsi, il résulte de ce qui  précède que Mme B craint avec raison, au sens des stipulations citées ci-dessus de la  convention de Genève, d'être persécutée en cas de retour dans son pays en raison de son  appartenance au groupe social des femmes et fillettes ivoiriennes non-excisées. Dès lors, elle  est fondée à se prévaloir de la qualité de réfugiée..."

Denis Seguin

Avocat spécialiste en droit des étrangers

Docteur en droit


lundi 19 février 2024

Statut de réfugié profil occidentalisé afghan

 

COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE

N° 23057055 

16 février 2024 


(1ère section, 1ère chambre)


"...1. Aux termes de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et  du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute  personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se  trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne  veut se réclamer de la protection de ce pays ».  

2. M. A, de nationalité afghane, qui déclare être né le 1er mars 2008, soutient qu’il craint d’être persécuté, en cas de retour dans son pays d’origine, par les taliban en raison d’opinions politiques qui lui sont imputées. Il fait valoir qu’il est originaire du  village de Spin Jumat dans la province de Takhar et d’ethnie pachtoune. Peu avant son départ,  il a été sollicité par des taliban à deux reprises sur son lieu de travail pour qu’il rejoigne leurs  rangs, ce qu’il a refusé. Puis, les taliban se sont présentés au domicile familial et son père a  organisé son départ du pays. Craignant pour sa sécurité et sa vie, il a quitté l’Afghanistan  après août 2021 et a rejoint la France le 14 mars 2022. Une fois sur le sol français, il a été  reconnu mineur non accompagné par les autorités françaises. Puis, il a remis en cause sa  minorité et a allégué être né en mars 2005. 

3. Il ne ressort pas des sources publiquement disponibles sur l’Afghanistan, que  le seul séjour en Europe d’un ressortissant afghan, afin d’y demander l’asile, l’exposerait de  manière systématique en cas de retour dans son pays d’origine à des persécutions du fait  des taliban ou de la société afghane, au sens des stipulations précitées de la convention de  Genève. À cet égard, si de nombreux cas de violences graves, y compris de meurtres, de  menaces, de discriminations ou de difficultés réelles de réintégration ont été répertoriés à  l’encontre de ressortissants afghans rapatriés dans leur pays d’origine, les sources  d’informations récentes, notamment celui de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile  (AUEA), publié en août 2022, intitulé « Afghanistan – Targeting of Individuals » et le rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) publié en mars 2021 intitulé « Afghanistan: risque au retour liés à l’occidentalisation », ne font pas état du caractère  systématique des persécutions fondées sur des soupçons d’apostasie ou de mauvaise conduite  à raison d’une « occidentalisation » réelle ou supposée. Ce dernier rapport fait toutefois  mention d’arrestations ciblées à l’encontre d’Afghans de retour dans leur pays et relève que  ceux-ci peuvent être identifiés et inquiétés par les talibans, en particulier depuis l’ouverture en  mai 2022 d’une commission spéciale chargée de répertorier et de collecter des informations  sur les personnes ayant fui l’Afghanistan avant ou après la prise de Kaboul en août 2021.  Il souligne néanmoins que ces personnes ne font pas l’objet d’un ciblage systématique et que  le seul fait d’avoir quitté le pays n’est pas suffisant, aux yeux des talibans, pour être identifié  comme étant opposé au nouveau régime afghan ou soupçonné d’apostasie. A ce titre,  le Country Guidance publié en avril 2022, l’AUEA identifie plusieurs éléments propres à la  situation d’un requérant susceptibles d’aggraver le risque de persécutions en raison du profil  « occidentalisé » de celui-ci. L’AUEA cite notamment le comportement et les habitudes  adoptés par l’intéressé, la durée de son séjour dans les pays occidentaux, ses activités  professionnelles, son apparence ou encore les opinions exprimées publiquement, par exemple  sur les réseaux sociaux. Il appartient donc à un demandeur afghan qui entend se prévaloir  d’un profil « occidentalisé » de fournir l’ensemble des éléments propres à sa situation  personnelle permettant d’établir qu’il a acquis un tel profil, notamment en raison de la durée  de son séjour en Europe et, en particulier, en France, et de l’acquisition de tout ou partie  des valeurs, du mode de vie et des usages des pays occidentaux. 

4. En l’espèce, M. A a décrit de façon spontanée et personnalisée lors de  l’audience publique devant la Cour son mode de vie ainsi que ses projets, tant personnels que  professionnels actuels en France, empreints des valeurs des pays occidentaux. Il a également  fourni des développements tangibles sur les activités qu’il exerce actuellement, notamment  ses sorties avec des amis français au cinéma, exercer du sport ou écouter de la musique, qui  seraient considérées par les nouvelles autorités afghanes comme occidentales. Il a également  expliqué qu’il suivait des cours de français et de mathématiques au lycée et a témoigné lors de  l’audience publique devant la Cour de sa très bonne maitrise de la langue française. Dans les  circonstances de l’espèce, ces éléments permettent ainsi de considérer que le requérant serait,  en cas de retour, perçu par les taliban comme « occidentalisé ». Ainsi, il résulte de ce qui  précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens du recours et sans qu’il soit  besoin de renvoyer l’affaire à l’Office, que M. A craint avec raison, au sens de la  convention de Genève, d'être persécuté en cas de retour dans son pays en raison de son profil  occidentalisé. Dès lors, il est fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié....". 


cf également: https://denisseguinavocat.blogspot.com/2023/12/statut-de-refugie-profil-occidentalise_12.html




Denis Seguin

Avocat

Spécialiste en droit des étrangers

Docteur en droit


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