mardi 12 décembre 2023

Statut de réfugié profil occidentalisé afghan

COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE N° 23043436 8 décembre 2023 (6ème section, 1ère chambre):


 "Sur les faits et moyens invoqués par le requérant : 1. M. S, de nationalité afghane, né le 22 octobre 1986, soutient à titre principal, qu’il risque d’être exposé à des persécutions en cas de retour en Afghanistan en raison des opinions politiques qui lui sont imputées et de son profil occidentalisé, sans pouvoir bénéficier de la protection effective des autorités afghanes. A l’appui de ces moyens, il expose les faits suivants : il est d’appartenance pachtoune et originaire de la province de Nangarhar. En novembre 2019, les autorités se sont rendues dans son commerce pour l’interroger sur l’emplacement des talibans. Après avoir indiqué la position des insurgés, des avions de l'armée nationale afghane ont effectué des bombardements sur cette zone qui ont tué treize combattants talibans. Le soir même, des talibans, informés de la dénonciation opérée par le requérant, se sont rendus au village à sa recherche. Le requérant a quitté sa localité le soir-même pour rejoindre le village de son cousin paternel. Ils ont quitté la province de Nangarhar et le requérant s’est réfugié à Kaboul chez des proches. Après son départ du village, à deux ou trois reprises, les talibans ont questionné ses proches à son sujet. A la suite de la chute de l’ancien gouvernement afghan en août 2021, craignant pour sa sécurité, il a décidé de quitter l’Afghanistan. 2. A titre subsidiaire, M. S soutient qu’il risque de subir des atteintes graves en Afghanistan en raison de la situation sécuritaire dégradée dans ce pays, notamment dans la province de Nangarhar où il a vocation à se réinstaller en cas de retour, et dans les provinces qu’il doit traverser pour s’y rendre. 

Sur la reconnaissance de la qualité de réfugié : 3. Aux termes du 2 du A de l’article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. ». 

4. Il ressort des sources d’informations librement accessibles, et notamment du rapport du Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEEA), en date de janvier 2022, intitulé : « Afghanistan Country focus » et du rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), intitulé « Afghanistan : risque au retour liés à « l’occidentalisation », du 26 mars 2021 qui se réfère en partie aux études de l’anthropologue Friedericke Stahlmann, que les ressortissants afghans rapatriés en Afghanistan après avoir séjourné en Europe, peuvent être perçus par les autorités afghanes et la sociétés comme « occidentalisés », ce qui leur vaut d’être considérés comme des traitres ou des infidèles. Cette perception peut entraîner des discriminations, des menaces, des agressions voire des meurtres imputables à des inconnus, à des membres de leur famille ou aux groupes armés présents en Afghanistan. Les persécutions liées à cette perception n’étant pas automatiques, elles peuvent être déclenchées par des comportements difficilement dissimulables tel que la gestuelle, l’attitude et l’expression verbale. Le rapport pointe également que le temps passé à l’étranger par les rapatriés est un facteur déterminant. Enfin, le rapport de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (EASO) intitulé « Country Guidance : Afghanistan », de novembre 2021, précise que la situation des individus perçus comme « occidentalisés » doit être appréciée à la lumière de la récente prise de pouvoir par les talibans, mais aussi de circonstances ayant une incidence sur le risque de persécutions, telles que le sexe, le comportement adopté par le requérant, son environnement familial conservateur, sa région d’origine, l’âge lors de son départ ou encore son niveau d’instruction ou de formation. 5. En tout état de cause, il incombe au demandeur de nationalité afghane, qui entend se prévaloir, à l’appui de sa demande d’asile, de craintes, en cas de retour dans son pays d’origine et du fait de la prise de pouvoir par les talibans, à raison d’un profil « occidentalisé » ou d’un risque d’imputation d’un tel profil, de fournir l’ensemble des éléments propres à sa situation personnelle permettant d’établir qu’il a acquis un tel profil ou de démontrer la crédibilité du risque d’une telle imputation, notamment à raison de la durée de son séjour en Europe et, en particulier, en France ainsi que de l’acquisition de tout ou partie des valeurs, du modèle culturel, du mode de vie, des usages ou encore des coutumes des pays occidentaux. 6. En l’espèce, les déclarations de M. S, notamment lors de l’audience devant la Cour, ont permis de tenir pour établi le bien-fondé de ses craintes en cas de retour en Afghanistan, du fait des talibans, en raison de son profil occidentalisé. A ce titre, le requérant a, au cours de l’audience, évoqué en termes spontanés et convaincants l’importance que pouvait avoir, à ses yeux, l’instruction et le travail des femmes dans la société. En outre, il a illustré de manière circonstanciée et personnalisée ses conditions de vie en France, et apporté la preuve de l’acquisition des valeurs et du mode de vie de ce pays. En particulier, le requérant a décrit ses activités en tant que bénévole au sein de l’association Emmaüs, qu’il a débutées selon l’attestation rédigée par un responsable de cette structure, au cours du mois de mars 2023, soit seulement quelques mois après son arrivée sur le territoire français. Par ailleurs, il a exposé, au cours d’échanges avec la cour, ses connaissances de la langue française. Les attestations rédigées par une professeure de langue française et par la directrice du Centre socio Culturel de Bressuire, datées des 22 et 29 août 2023 témoignent de l’assiduité et de la réelle motivation du requérant à suivre l’apprentissage de cette langue. Enfin, il a relaté de manière précise et spontanée ses différentes activités sportives et notamment sa pratique régulière du futsal, attestée par le courrier en date du 27 octobre 2023 de son accompagnatrice sociale, dans lesquelles il a expliqué côtoyer des nombreuses personnes d’origine européenne et de genres différents. 7. Il résulte de ce qui précède que M. S craint avec raison, au sens des stipulations précitées de la convention de Genève, d'être persécuté en cas de retour dans son pays en raison d’opinions politiques imputées. Dès lors, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens du recours, il est fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié. Sur l’application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 : 8. M. S ayant obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que Me Seguin, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’État, il y a lieu de mettre à la charge de l’OFPRA la somme de mille deux cent (1200) euros à verser à Me Seguin. D E C I D E : Article 1er : La décision du directeur général de l’OFPRA en date du 28 juin 2023 est annulée. Article 2 : La qualité de réfugié est reconnue à M. S. Article 3 : L’OFPRA versera à Me Seguin la somme de mille deux cent (1200) euros en application du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que Me Seguin renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat. Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. S, à Me Seguin et au directeur général de l’OFPRA".


cf également: 


Denis SEGUIN
Avocat spécialiste en droit des étrangers
Docteur en droit

jeudi 7 décembre 2023

OQTF parent enfant français


TRIBUNAL ADMINISTRATIF 

DE NANTES 


N° 2300976, 7décembre 2023  


(6ème chambre)

Considérant ce qui suit : 1. Mme A, ressortissante ivoirienne née le 31 août 1988 est entrée en France le  26 février 2012. Elle s’est vu délivrer un titre de séjour « vie privée et familiale » valable du 6 avril  2017 au 5 avril 2018. Sa demande de renouvellement a été rejeté par un arrêté portant en outre obligation de quitter le territoire français du 18 octobre 2019 confirmé par un jugement du 5  novembre 2020. Elle a sollicité du préfet de Maine-et-Loire la délivrance d’un titre de séjour « vie  privée et familiale ». Sa demande a été rejetée par un arrêté du 19 décembre 2022 portant en outre  obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays à destination  duquel elle pourra être reconduite d’office lorsque le délai sera expiré. Mme A demande au  tribunal d’annuler cet arrêté. Sur la légalité de la décision portant refus de titre de séjour 2. Aux termes de l’article L. 423-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du  droit d’asile : « L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et  qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions  prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux  ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale "  d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. ». Et, aux  termes de l’article L. 423-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, : «  Pour la délivrance de la carte de séjour prévue à l'article L. 423-7, lorsque la filiation est établie  à l'égard d'un parent en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas  l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, doit justifier que celui-ci contribue  effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article  371-2 du code civil, ou produire une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et  à l'entretien de l'enfant. Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution  n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du  demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt  supérieur de l'enfant. ». 3. Il ressort des pièces du dossier que Mme A est mère de deux enfants français,  K A née le 13 mai 2016 et E M S né le 20 février 2021. Elle  a formé une demande de titre de séjour en qualité de parent d’enfant français le 11 mars 2022.  Concernant l’enfant K , elle ne démontre pas, par la seule attestation de  scolarité émise par la directrice de l’école à sa demande le 16 janvier 2023 et les photographies  versées au dossier, contribuer effectivement à l’entretien et l’éducation de celle-ci depuis sa  naissance ou depuis au moins deux ans. Pour l’enfant E M S, il est constant que  le père français de ce dernier justifie participer à son éducation et son entretien. Il ressort des pièces  du dossier et notamment de la déclaration faite par la requérante à la caisse d’allocations familiales,  de l’attestation d’hébergement du père de l’enfant et des factures mentionnant leurs deux noms,  que Mme A a d’abord résidé seule avec E M S, qui restait rattaché administrativement à son père, avant d’emménager chez ce dernier à compter de novembre 2022. En  outre, pour justifier de sa participation à l’éducation de son fils, Mme A verse au dossier  trois certificats faisant état de sa présence depuis sa naissance à de nombreux rendez-vous  médicaux le concernant, une attestation du père de ce dernier concernant sa présence quotidienne  auprès de l’enfant, une attestation de la responsable de la crèche de son fils relevant qu’il y est  accompagné par sa mère, des billets de train à leurs deux noms ainsi que de nombreuses photos la  montrant aux côtés d’E depuis sa naissance. Ainsi l’ensemble de ces éléments sont de nature  à établir que l’intéressée participe de manière régulière et continue, à proportion de ses ressources  financières, à l’entretien et à l’éducation de son fils depuis sa naissance jusqu’à la date du présent  jugement. Dès lors, Mme A est fondée à soutenir que le préfet a entaché sa décision d’erreur  d’appréciation au regard des dispositions de l’article L. 423-7 du code de l’entrée et du séjour des  étrangers et du droit d’asile en refusant de lui délivrer un titre de séjour sur ce fondement. Cette  illégalité entraine l’annulation de la décision l’obligeant à quitter le territoire français et la décision  fixant le pays de destination4. Il résulte de ce qui précède et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens  de la requête que Mme A est fondée à demander l’annulation de l’arrêté attaqué.  Sur les conclusions à fin d’injonction 5. Le présent jugement implique nécessairement qu’il soit enjoint au préfet de Maine et-Loire de munir l’intéressée d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et  familiale » dans un délai de deux mois suivant la notification du présent jugement. Il n’y a pas lieu  d’assortir cette injonction d’une astreinte". 


Denis SEGUIN
Avocat spécialiste en droit des étrangers
Docteur en droit

lundi 27 novembre 2023

OQTF 48h personne célibataire vie privée



TA Nantes, 27 novembre 2023, n°2317221:

Considérant ce qui suit :....................................................................................................................

Sur les conclusions à fin d’annulation de l’obligation de quitter le territoire français

2. Aux termes de l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et  du droit d’asile : « L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire  français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (…) 3° L'étranger s'est vu refuser la  délivrance d'un titre de séjour (…) ; (…) ». 

3. Il résulte de ces dispositions que l’autorité préfectorale n’est jamais tenue de  prendre à l’encontre d’une personne de nationalité étrangère une obligation de quitter le  territoire français alors même qu'une telle personne se trouve dans l'un des cas où elle  pourrait faire l’objet d’une telle mesure. Il appartient en effet à cette autorité d'apprécier si la  mesure envisagée n'est pas de nature à comporter, pour la situation personnelle de l’intéressé,  laquelle ne se limite pas aux éléments d’ordre familial, des conséquences telles que  l’appréciation ayant conduit à prendre finalement une telle mesure apparaît entachée d'une  erreur manifeste. 

4. M. S...est entré régulièrement en France le 9 juin 2018 au moyen d’un  passeport revêtu d’un visa d'entrée et de court séjour. Il n’a certes pas regagné son pays  d’origine avant l’expiration de la durée de validité de ce visa, mais il a sollicité la délivrance  d’un titre de séjour pour poursuivre des études en France le 6 décembre 2018. Si, le  3 avril 2019, cette demande de titre de séjour a été rejetée par le préfet de Maine-et-Loire et  une obligation de quitter le territoire français a été prononcée à son encontre, le pli  recommandé contenant l’arrêté formalisant ces mesures n’a pas été effectivement remis à M.  S...dès lors que, bien qu’étant domicilié au ........................... à Angers  chez sa tante, ce pli a été retourné aux services de la préfecture de Maine et Loire revêtu de la  mention "destinataire inconnu à l’adresse". Lors de l’audience, M. S... a indiqué que  n’ayant aucune nouvelle quant à l’issue de sa demande de titre de séjour, il a, en vain,  interrogé ces mêmes services, pour en connaître l’issue. Dès lors, si M. S... s'est vu refuser  la délivrance d'un titre de séjour au sens des dispositions précitées du 3° de l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, cette décision de refus et  celle l’obligeant à quitter le territoire français n’ont pas été portées à sa connaissance. 

5. Les éléments relatifs à l’insertion sociale et professionnelle d’une personne de  nationalité étrangère sont au nombre de ceux qui doivent être pris en compte lorsqu’il s’agit  de déterminer les conséquences d’une mesure d’éloignement sur la situation de cette  personne.  

6. M. S..., qui a commencé à être élève du Conservatoire de Musique d’Angers en  septembre 2018, a suivi, lors des années 2021-2022 et 2022-2023 un cursus d’apprentissage  de la musique jazz au sein de cet établissement. Son directeur atteste de l’assiduité et du  sérieux du parcours d’études de M. S...qui a, à l’issue de ce parcours, obtenu le diplôme  d’études musicales avec les félicitations du jury. Pour cette obtention, il a été par ailleurs  félicité par l’adjoint au maire d’Angers en charge de la culture et du patrimoine. Pour l’année  2023-2024, il suit toujours des cours dans le département jazz du Conservatoire de Musique  d’Angers. Intermittent du spectacle, il occupe, depuis le 7 décembre 2022, un emploi de  professeur et d’animateur technique au sein de l’Association "Famille rurales de Sainte Gemmes-sur-Loire" avec laquelle il a conclu contrat de travail à durée indéterminée. Le  volume horaire annuel minimal de cette activité a été accru à compter du 1er septembre 2023,  ce qui témoigne des qualités démontrées par l’intéressé dans l’exécution de son contrat,  comme le souligne la présidente de cette association. Il bénéficie par ailleurs d’une promesse  d’embauche sous le même statut et dans le cadre d’un même type de contrat au sein de  l’association "Gospel Harmony Voices". Il est par ailleurs impliqué en qualité de bénévole au  sein de l’association "Minuit Grand Max" depuis le 5 septembre 2021, laquelle lui offre la  possibilité de se produire, en groupe, lors de différents concerts. Ainsi, bien que M. S...était en situation irrégulière puisqu’il ne disposait d’aucun titre de séjour, il a fourni des  efforts d’intégration conséquents, qui l’ont notamment conduit à obtenir un emploi stable  d’enseignant et d’animation dans le domaine de la musique après un parcours d’étude dans le  domaine du jazz conduit avec sérieux et succès. Sauf à priver de toute portée la mise en  œuvre de son pouvoir de régularisation, qui a précisément pour objet de décider d’autoriser le  séjour en France d’une personne de nationalité étrangère quand bien même elle se trouve en  situation irrégulière depuis de nombreuses années, l’autorité préfectorale ne saurait faire état  de la circonstance que l’activité professionnelle dont l’exercice est justifié en l’espèce est  exécutée illégalement. 

7. Les éléments relatifs à la vie privée sont également au nombre de ceux qui  doivent être pris en compte lorsqu’il s’agit de déterminer les conséquences d’une mesure  d’éloignement sur la situation d’une personne de nationalité étrangère. La vie privée peut être  distincte de la vie familiale au sens où elle englobe les relations nouées entre des personnes  n’ayant pas entre elles de liens familiaux.  

8. La lecture des très nombreux témoignages produits par M. S... démontre  l’importance et l’intensité de ses relations personnelles, lesquelles ont été d’autant plus  faciles à développer que l’intéressé maitrise la langue française. La préfète de l’Allier ne  saurait sérieusement prétendre, compte tenu de ces témoignages, que l’intéressé "n’apporte  pas la preuve de liens privés qu’il aurait pu tisser en France". Les proches de M. S...attestent de manière précise, circonstanciée et constante de ses qualités humaines et de son  engagement au travers notamment des différents projets artistiques auxquels il participe. Le  requérant n’est par ailleurs pas dépourvu de toutes attaches familiales en France dès lors que depuis qu’il séjourne dans ce pays, c’est à dire depuis plus de cinq ans à la date de la décision  attaquée, il est domicilié chez sa tante à Angers, avec lesquelles il a nécessairement noué des  liens. 

9. Au regard de l’ensemble des éléments mentionnés aux paragraphes 5 à 7 du  présent jugement, quand bien même M. S... est célibataire et sans enfant et qu’il dispose  encore de liens familiaux dans son pays d’origine, l’obligation de quitter le territoire français  prononcée à son encontre emporte des conséquences sur sa situation qui conduisent à  considérer qu’en s’abstenant de ne pas faire usage de son pouvoir discrétionnaire de ne pas  prononcer une telle mesure à son encontre, l’autorité préfectorale a commis une erreur  d’appréciation qui présente un caractère manifeste. 

10. Il résulte de ce qui précède que M. S est fondé à demander l’annulation de  l’obligation de quitter le territoire français prononcée à son encontre le 19 novembre 2023 par  la préfète de l’Allier. 

Sur les conclusions tendant à l’annulation des décisions du 19 novembre 2023  privant M. S...d’un délai de départ volontaire, lui interdisant le retour sur le territoire  français pendant une durée de douze mois et fixant son pays de renvoi, ainsi qu’à l’annulation  de l’arrêté du même jour relatif à son assignation à résidence

11. En raison des effets qui s'y attachent, l'annulation d'une décision administrative  emporte l'annulation, par voie de conséquence, des décisions administratives consécutives qui  n'auraient pu légalement être prises en l'absence de la décision annulée. 

12. L’article L. 612-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile  dispose : « L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire  français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de  cette décision. (…) ». Selon l’article L. 612-2 du même code : « Par dérogation à l'article L.  612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les  cas suivants : (…) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant  obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ».  

13. Le premier alinéa de l’article L. 612-6 de ce code énonce : « Lorsqu'aucun délai  de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision  portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire  français. (…) ». 

14. Selon l’article L. 612-12 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit  d’asile : « La décision portant obligation de quitter le territoire français mentionne le pays,  fixé en application de l'article L. 721-3, à destination duquel l'étranger est renvoyé en cas  d'exécution d'office ». 

15. Aux termes de l’article L. 731-1 du même : « L’autorité administrative peut  assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais  dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : 1° L'étranger  fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins d'un  an auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire (…) n'a pas été accordé ; (…) ».


16. Il résulte des dispositions citées aux paragraphes 12, 14 et 15 du présent  jugement qu’en l’absence d’obligation de quitter le territoire français opposée à M. S... les  décisions le privant d’un délai de départ volontaire, fixant son pays de renvoi et l’assignant à  résidence n’auraient pu être légalement prononcées à son encontre. Par suite, il y a lieu  d’annuler, par voie de conséquence de l’annulation de l’obligation de quitter le territoire  français, d’une part, les décisions par lesquelles la préfète de l’Allier l’a privé d’un délai de  départ volontaire et a fixé son pays de renvoi en cas d’exécution d’office de cette mesure  d’éloignement, d’autre part, la mesure d’assignation à résidence prise par le préfet de  Maine-et-Loire. De même, il résulte des dispositions citées au point 13 qu’en l’absence de  décision privant de délai de départ volontaire pour exécuter une obligation de quitter le  territoire français, une interdiction de retour sur le territoire français ne peut être légalement  prononcée. Dès lors, il y a lieu d’annuler, par voie de conséquence de l’annulation de la  décision privant M. S...de délai de départ volontaire, l’interdiction de retour sur le  territoire français pendant une durée de douze mois. 

Sur les conclusions à fin d’injonction

17. L’annulation de l’obligation de quitter le territoire français opposée à M. S...  implique nécessairement, en vertu des dispositions combinées des articles L. 614-16 du code  de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et L. 911-2 du code de justice  administrative, que sa situation soit de nouveau examinée par l’autorité préfectorale et que  soit délivrée au requérant une autorisation provisoire de séjour. Eu égard au motif de  l’annulation de l’obligation de quitter le territoire français, cette autorisation doit lui permettre  d’exercer une activité professionnelle. Il y a lieu, par suite, d’enjoindre à l’autorité  préfectorale compétente, c’est à dire, compte tenu du département de résidence de l’intéressé,  au préfet de Maine-et-Loire, de délivrer à M. S...dans un délai de huit jours à compter de  la notification du présent jugement, une autorisation provisoire de séjour lui permettant de  travailler. Cette autorisation doit être accordée jusqu'à ce que le préfet de Maine-et-Loire ait à  nouveau statué sur son cas, c’est à dire déterminer s’il y a lieu, en tenant en compte en  particulier du motif d’annulation de l’obligation de quitter le territoire français, de procéder à  la régularisation de la situation de M. S...au regard de la législation relative au séjour en  France". 


1) Concernant le droit au respect de la vie privée (article 8): La Cour européenne des droits de l’Homme a reconnu aux étrangers la possibilité de se prévaloir du droit à la vie privée : « tous les immigrés établis, indépendamment de la durée de leur résidence dans le pays [...], n'ont pas nécessairement une « vie familiale » au sens de l'article 8 : dès lors que l'article 8 protège également le droit de nouer et entretenir des liens avec ses semblables et avec le monde extérieur et qu'il englobe parfois des aspects de l'identité sociale d'un individu, il faut accepter que l'ensemble des liens sociaux entre les immigrés établis et la communauté dans laquelle ils vivent font partie intégrante de la notion de « vie privée » au sens de l'article 8 » (CEDH, grande ch., 18 oct. 2006, aff. 46410/99,  Uner c/ Pays-Bas CEDH, 10 avr. 2012, aff. 60286/09,  Balogun c/ Royaume-Uni). Ainsi, selon la Cour, indépendamment de l'existence ou non d'une « vie familiale », l'expulsion d'un étranger peut s'analyser en une atteinte à son droit au respect de sa vie privée (CEDH, 15 nov. 2012, aff. 52873/09,  Shala c/ Suisse).

 Ainsi, s'agissant de l'éloignement des étrangers intégrés, « indépendamment de l'existence ou non d'une « vie familiale », l'expulsion d'un immigré établi s'analyse en une atteinte à son droit au respect de sa vie privée » (CEDH, grande ch., 18 oct. 2006, aff. 46410/99,  Uner c/ Pays-Bas).

Il en va ainsi de l'étranger qui n'est ni un mineur, ni un « jeune adulte », mais un adulte de trente-neuf ans, non marié, sans enfants et qui n'a pas démontré l'existence d'éléments supplémentaires de dépendance, autres que des liens affectifs normaux, vis-à-vis de sa mère, de ses soeurs et de son frère, tous adultes. La Cour n'examinera pas son grief sous le volet de la vie « familiale », mais sous l'angle de sa vie privée (CEDH, 14 févr. 2019, aff. 57433/15,  Narjis c/ Italie).

    2) Concernant la précédente OQTF: la précédente décision n’a pas été notifiée à l’intéressé, mais pour des raisons qui ne lui sont pas imputables. Le pli a en effet retourné avec la mention “destinataire inconnu”, alors qu’il s’agissait (et qu’il s’agit encore) pourtant de l’adresse exacte. Cette circonstance ne permet pas d’en déduire une volonté de se soustraire à une mesure d’éloignement (cf en ce sens, alors même que la personne n’avait pas retiré le pli recommandé, CAA Paris, 20 mars 2014, n°12PA01536)

 



Denis SEGUIN

Avocat spécialiste en droit des étrangers

Docteur en droit



jeudi 9 novembre 2023

OQTF Demandeur d'asile débouté L.611-1-4° Ceseda Kosovo

 


Jugement du Tribunal administratif de Nantes N° 2306212 et 2306213 



9 novembre 2023 

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"1. Mme K, est une ressortissante kosovare est née le 5 juillet  1997. Elle est entrée en France le 3 mars 2021 au moyen d’un passeport revêtu d’un visa autorisant  des entrées multiples, délivré par les autorités consulaires polonaises au Kosovo et valable du 23  février 2021 au 31 janvier 2022. Elle a rejoint en France M. K, ressortissant kosovare  né le 17 mai 1990 avec lequel elle est mariée depuis le 5 juillet 2018. Par un arrêté du 29 avril  2022, le préfet de Maine-et-Loire a rejeté sa première demande de titre de séjour, a obligé  l’intéressée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays de renvoi  en cas d’exécution d’office de cette mesure d’éloignement. M. K a lui aussi fait l’objet d’un  refus de titre de séjour portant obligation de quitter le territoire français le 10 novembre 2021. 

Leurs demandes d’asile ont été rejetées par l’Office français de protection des réfugiés et des  apatrides (OFPRA) le 26 décembre 2022. Par arrêté du 3 mars 2023, le préfet de Maine-et-Loire  leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à  destination duquel ils pourront être reconduits d’office à l’expiration de ce délai. Ils demandent au  Tribunal d’annuler ces arrêtés. 

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Sur les conclusions à fin d’annulation : 

3. Aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de  l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et  familiale, de son domicile et de sa correspondance (…) ». 

4. Il ressort des pièces du dossier que la mère de M. K, arrivée en France en 2006  pour accompagner son mari, décédé depuis, à se faire soigner, réside régulièrement sur le territoire  français et héberge le requérant, la requérante et leur fille P. Réside également sur le territoire  français, avec la nationalité française la sœur du requérant, ainsi que deux de ses oncles, sous  couverts de titres de séjours. La plupart des membres de la famille de M. K vivent à Angers  ou dans l’agglomération angevine et établissent par les attestations qu’ils produisent, entretenir  des liens entre eux. Si le préfet soutient que M. K a longtemps été séparé de sa famille, les  attestations produites, dont la teneur n’est pas contestée, indiquent que c’est afin de soigner le père  de M. K que ses parents sont partis vivre en France et que ceux-ci ne sont pas parvenus à  obtenir des visas pour leur fils. Il ressort également des pièces du dossier que la requérante a perdu  trois enfants, lors d’une grossesse et qu’elle est encore fragilisée psychologiquement, avec des  crises d’angoisse, comme cela ressort de l’attestation de la psychologue produite. Le requérant et  la requérante produisent également une promesse d’embauche, la preuve d’activités bénévoles,  celle de la participation à des ateliers d’apprentissage du français, langue que Mme K  parle parfaitement et que M. K pratique comme ils ont pu l’un et l’autre le faire au cours de  l’audience. Ainsi, alors même que les entrées sur le territoire français du requérant et de la  requérante sont récentes, compte tenu du réseau familial existant, de la composition de la famille  avec une très jeune enfant, de l’insertion très grande dans la société française des autres membres  de la famille du requérant, alors qu’il n’est pas allégué qu’ils conserveraient dans leurs pays  d’origine d’autres membres de leurs familles, les arrêtés attaqués ont porté une atteinte  disproportionnée à leur droit de mener une vie privée et familiale normale. 

5. Il résulte de ce qui précède et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la  requête ni les conclusions à fin de suspension, que les arrêtés attaqués doivent être annulés. 

Sur les conclusions à fin d’injonction :  

6. Conformément aux dispositions de l’article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour  des étrangers et du droit d'asile, les annulations des obligations de quitter le territoire français  attaquées impliquent que le préfet de Maine-et-Loire réexamine la situation de M. K et  Mme K et qu’il leur délivre une autorisation provisoire de séjour jusqu’à ce qu’il ait à  nouveau statué sur leur situation. Il y a lieu de prescrire à cette autorité, ou à tout autre préfet  territorialement compétent, d’y procéder dans un délai de deux mois". 

 


lundi 16 octobre 2023

Réunification familiale Soudan date dépôt demande de visa

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE NANTES, N°2215759 , (9ème chambre)


16  octobre 2023  

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“1. M. A ressortissant soudanais, s’est vu reconnaître la qualité de réfugié  par décision du directeur général de l'Office de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du  30 avril 2018. Son épouse et leurs six enfants ont déposé des demandes de visa de long séjour  auprès de l’autorité consulaire française à Khartoum (Soudan) au titre de la réunification familiale.  Par une décision du 11 mai 2022, l’autorité consulaire a refusé de délivrer à Mme  S, aînée de la fratrie, le visa sollicité et par des décisions du 4 août suivant, des  visas ont été délivrés à l’épouse de M. S et à leurs cinq enfants cadets. Par une décision  implicite née le 7 novembre 2022, dont Mme S demande l’annulation, la  commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France a rejeté le recours  formé contre la décision consulaire du 11 mai 2022. 

Sur les conclusions à fin d’annulation

2. Il ressort du mémoire en défense que, pour rejeter le recours administratif préalable  introduit pour Mme S, la commission de recours contre les décisions de  refus de visa d’entrée en France s’est fondée sur l’inéligibilité de la demandeuse à la procédure de  réunification familiale, estimant que celle-ci était âgée de plus de 19 ans à la date de la demande  de visa. 

3. Aux termes de l’article L. 561-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du  droit d’asile : « Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant  étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection  subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification  familiale : / (…) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième  anniversaire (…) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification  familiale a été introduite ». Aux termes de l’article L. 561-5 du même code : « Les membres de la  famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en  France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités  diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais (…) ». Pour  l’application de ces dispositions, l’article R. 561-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers  et du droit d’asile prévoit que : « La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire  mentionnée à l'article L. 561-5. Elle est déposée auprès de l'autorité diplomatique ou consulaire  dans la circonscription de laquelle résident ces personnes ».  

4. Il résulte de ces dispositions que l’âge de l’enfant pour lequel il est demandé qu’il  puisse rejoindre son parent réfugié sur le fondement de l’article L. 561-2 du code de l’entrée et du  séjour des étrangers et du droit d’asile doit être apprécié à la date de la demande de réunification  familiale, c’est-à-dire à la date à laquelle est présentée la demande de visa à cette fin, sans  qu’aucune condition de délai ne puisse être opposée. La circonstance que cette demande de visa ne  peut être regardée comme effective qu’après son enregistrement par l’autorité consulaire, qui peut  intervenir à une date postérieure, est sans incidence à cet égard. 

5. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du courriel adressé par le service des  visas de l’ambassade de France au Soudan le 15 décembre 2020, que des démarches ont été  entreprises par M. S dès cette date en vue de l’obtention de visas de long séjour au titre de  la réunification familiale pour son épouse et leurs six enfants. Par ce courriel, il lui a été rappelé,  s’agissant plus particulièrement de la situation de la requérante, que le dépôt de demande de visa  devait être fait avant qu’elle n’ait atteint l’âge de dix-neuf ans et indiqué que la date d’un tel dépôt  était celle à laquelle les échanges avaient commencé avec elle, soit, en l’espèce, ce 15 décembre.  Dès lors, à la date du dépôt de la demande de visa, qui, eu égard à ce qui précède, doit être regardée  comme étant celle à laquelle l’administration a ainsi répondu à la sollicitation de M. S,  Mme S, née le 1er janvier 2002, était âgée de moins de dix-neuf ans. Dans  ces conditions, la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions de l’article  L. 561-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en refusant de délivrer le  visa sollicité pour le motif exposé au point 2. 

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen de la  requête, que Mme  S est fondée à demander l’annulation de la décision  attaquée”. 


Denis SEGUIN

avocat

spécialiste en droit des étrangers

docteur en droit


mercredi 4 octobre 2023

OQTF sans délai article 8 cedh entrée en France à 15 ans

Tribunal administratif de Nantes (2ème chambre) N°2211635 ,M. K, jugement du 4 octobre 2023 “Considérant ce qui suit : 1. M. K, ressortissant ivoirien né en 2002 est entré en France le 16 mars 2017. Il a été confié aux services de l’aide sociale à l’enfance du département de Maine-et-Loire. Le 19 novembre 2020, il a sollicité du préfet de Maine-et-Loire la délivrance d’un titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale » sur le fondement des dispositions alors applicables du 2° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Par un arrêté du 24 mars 2021, il a fait l’objet d’un refus de titre de séjour assorti d’une obligation de quitter le territoire français, dont la légalité a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de Nantes du 9 juin 2022. Le 3 septembre 2022, il a été interpelé pour séjour irrégulier et par deux arrêtés du 4 septembre 2022, le préfet de Maine-et-Loire, d’une part, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d’office et lui a interdit le retour sur le territoire pour une durée de douze mois, d’autre part, l’a assigné à résidence pour une durée de six mois. M. Kone demande au tribunal d’annuler ces arrêtés. 2. Aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (…) ». 3. Il ressort des pièces du dossier que M. K est arrivé en France au début de l’année 2017, alors qu’il n’était âgé que de quinze ans et qu’il y résidait donc depuis près de cinq ans à la date des arrêtés attaqués. S’il ne bénéficie plus d’aucune formation depuis qu’il n’est plus pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance, il ressort des pièces du dossier qu’il a été scolarisé jusqu’en 2021-2022, année au cours de laquelle ses résultats scolaires s’étaient améliorés. Par ailleurs, il justifie être le père d’un enfant français, encore à naître à la date des décisions attaquées mais né depuis en décembre 2022, ainsi que de son union avec la mère de celui-ci. Si le couple ne s’est installé ensemble qu’après les arrêtés attaqués, l’attestation de sa concubine et la reconnaissance anticipée de l’enfant témoignent de la réalité de leur union avant cette date. Enfin, contrairement à ce que soutient le préfet en défense, il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant aurait été placé en garde à vue pour des faits de violence sur une personne dépositaire de l’autorité publique, son interpellation, ainsi qu’il ressort du procès-verbal produit, ne résultant que de son séjour irrégulier en France. Dans ces conditions, et alors que le requérant soutient n’avoir plus de lien familial étroit en Côte d’Ivoire depuis le décès de sa mère, il est fondé à soutenir que l’obligation de quitter le territoire français sans délai et l’interdiction de retour pendant un an portent une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au regard de ses buts et méconnaissent ainsi l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. N° 2211635 4 4. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin, d’examiner les autres moyens soulevés, que le requérant est fondé à demander l’annulation de l’arrête du 4 septembre 2022 portant obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour, ainsi que, par voie de conséquence, de l’arrêté du même jour l’assignant à résidence pendant une durée de six mois. Sur les conclusions à fin d’injonction : 5. Eu égard à ses motifs, le présent jugement implique que le préfet de Maine-et-Loire procède au réexamen de la situation de M. K, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, et lui délivre dans l’attente, dans un délai de dix jours à compter de cette même notification, une autorisation provisoire de séjour”.

Parent enfant malade étranger malade Géorgie

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF 

DE NANTES 

N°s 2211919 et 2214025 

___________ 

Mme L.N

___________ 

4 octobre 2023  

___________ 

335-01-03 


Le tribunal administratif de Nantes 

(2ème chambre)


"Considérant ce qui suit : 

1. Mme N, ressortissante géorgienne née en 1985, est entrée en  France en juin 2021. Sa demande d’asile a été rejetée par une décision du 15 avril 2022 de l’Office  français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée par une décision de la Cour nationale  du droit d’asile du 11 juillet 2022. Elle a sollicité du préfet de Maine-et-Loire la délivrance d’un  titre de séjour sur le fondement de l’article L. 425-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers  et du droit d’asile. Sa demande a été rejetée par un arrêté du 27 juillet 2022. Par un arrêté du  5 octobre 2022, le préfet de Maine-et-Loire l’a obligée à quitter le territoire français dans un délai  de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d’office lorsque le  délai sera expiré. Mme N demande au tribunal d’annuler ces arrêtés. 

Sur la jonction :  

2. Les requêtes nos 2211919 et 2214025 concernent la situation d’une même requérante  et ont fait l’objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul  jugement. 

Sur les conclusions à fin d’annulation :  

3. Aux termes de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et  du droit d’asile : « L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite  une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une  exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé  dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et  familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. (…) ». 


4. Aux termes de l’article L. 425-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et  du droit d’asile : « Les parents étrangers de l'étranger mineur qui remplit les conditions prévues  à l'article L. 425-9, ou l'étranger titulaire d'un jugement lui ayant conféré l'exercice de l'autorité  parentale sur ce mineur, se voient délivrer, sous réserve qu'ils justifient résider habituellement en  France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, une autorisation provisoire de  séjour d'une durée maximale de six mois. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas  opposable. / Cette autorisation provisoire de séjour ouvre droit à l'exercice d'une activité  professionnelle. / Elle est renouvelée pendant toute la durée de la prise en charge médicale de  l'étranger mineur, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être  satisfaites. / Elle est délivrée par l'autorité administrative, après avis d'un collège de médecins du  service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans les conditions  prévues à l'article L. 425-9. ». 

5. Pour refuser à Mme N la délivrance d’un titre de séjour sur le fondement  de ces dispositions, le préfet de Maine-et-Loire s’est fondé sur le motif tiré de ce que le fils de la  requérante, né en 2016 et souffrant d’une encéphalopathie développementale et épileptique  résistante, s’accompagnant d’une régression psychomotrice, peut bénéficier en Géorgie des soins  appropriés à son état de santé. 

6. La partie qui justifie d’un avis du collège de médecins du service médical de  l’Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui lui est favorable doit être regardée  comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence ou l’absence d’un  état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d’un titre de séjour. Dans ce cas, il  appartient à l’autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous  éléments permettant d’apprécier l’état de santé de l’étranger et, le cas échéant, l’accès effectif ou  non à un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient  d’apprécier si l’état de santé d’un étranger justifie la délivrance d’un titre de séjour dans les  conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. 

7. L’avis rendu par le collège des médecins de l’OFII le 13 mai 2022, dont le préfet  s’est approprié les termes, indique que, si l’état de santé du fils de la requérante nécessite une prise  en charge médicale dont le défaut est susceptible d’entraîner des conséquences d’une  exceptionnelle gravité, celui-ci peut bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine. 

8. Il ressort des pièces du dossier que l’enfant T, né en 2016, est suivi dans le  service de neurologie et neurochirurgie de l’enfant du centre hospitalier universitaire d’Angers  pour une encéphalopathie développementale et épileptique résistante s’accompagnant d’une  régression psychomotrice. Il ressort du certificat établi par le Dr V le 20 juillet 2022  ainsi que du certificat du Dr T [médecin géorgien] établi le 4 juin 2021, que les symptômes consistent en  des crises de convulsion, la perte de l’usage de ses membres supérieurs, une grande fatigabilité,  un bavage, l’impossibilité de marcher sans soutien bilatéral plus de quelques pas, et la perte de la  préhension volontaire.  

9. Il ressort en outre des pièces du dossier que l’enfant de la requérante suit un  traitement médicamenteux à base de Micropakine et Buccolam, des anticonvulsivants, et  d’Urbanyl, un anxiolytique. Mme N produit deux prescriptions médicales pour ces  médicaments et justifie de l’ajout du cannabidiol audit traitement. Il ressort en outre du certificat  médical établi par le docteur T en 2021 en Géorgie, que « compte tenu de la nature résistante de l’encéphalopathie épileptique primaire et développementale, il est conseillé au  patient de rechercher des traitements alternatifs à l’extérieur du pays ». Par ailleurs, la requérante  produit une capture d’écran du site géorgien de la pharmacie de Tbilissi « Aversi » répertoriant les  médicaments disponibles dans le pays selon lequel l’Urbanyl, la Micropakine, le Buccolam et le  cannabidiol ne figurent pas dans la liste des médicaments disponibles. Ell


e produit également un  document daté du 9 septembre 2022 émanant de l’agence de régulation des activités médicales et  pharmaceutiques de Géorgie, dont il ressort que les produits pharmaceutiques contenant du  cannabidiol ne sont pas enregistrés sur le marché pharmaceutique de Géorgie, ni ceux contenant  du clobazam, y compris l’Urbanyl. Ces éléments, qui ne sont pas contestés par le préfet en défense,  sont de nature à établir que, contrairement à ce qu’a estimé le collège de médecins de l’OFII dans  son avis rendu le 13 mai 2022, l’enfant de la requérante ne peut pas bénéficier d’un traitement  approprié dans son pays d’origine. Par suite, la requérante est fondée à soutenir que le préfet de  Maine-et-Loire a entaché sa décision de refus de séjour d’une erreur d’appréciation au regard des  dispositions des articles L. 425-9 et L. 425-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du  droit d’asile.  

10. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres  moyens des requêtes, que Mme N est fondée à demander l’annulation de la décision lui  refusant la délivrance d’un titre de séjour ainsi que, par voie de conséquence, des décisions portant  obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination du 5 octobre 2022. 

Sur les conclusions à fin d’injonction

11. Le présent jugement implique nécessairement qu’il soit enjoint au préfet de  Maine-et-Loire de munir l’intéressée d’une carte de séjour temporaire dans un délai de deux mois  suivant la notification du présent jugement.  

Sur les frais liés au litige

12. Mme N a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son  avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et  37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que  Me Seguin renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre  à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros.

Article 1er : Les arrêtés des 27 juillet 2022 et 5 octobre 2022 du préfet de Maine-et-Loire  sont annulés. 

Article 2 : Il est enjoint au préfet de Maine-et-Loire de délivrer à Mme N  une carte de séjour temporaire dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent  jugement. 

Article 3 : L’Etat versera à Me Seguin la somme de 1 500 euros (mille cinq cents  euros) en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du  deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Seguin renonce à  percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État. 

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme N, au préfet de  Maine-et-Loire et à Me Denis Seguin". 


cf également CAA Bordeaux, 12 janvier 2021, n°20BX02361










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