mardi 12 décembre 2023

Statut de réfugié profil occidentalisé afghan

COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE N° 23043436 8 décembre 2023 (6ème section, 1ère chambre):


 "Sur les faits et moyens invoqués par le requérant : 1. M. S, de nationalité afghane, né le 22 octobre 1986, soutient à titre principal, qu’il risque d’être exposé à des persécutions en cas de retour en Afghanistan en raison des opinions politiques qui lui sont imputées et de son profil occidentalisé, sans pouvoir bénéficier de la protection effective des autorités afghanes. A l’appui de ces moyens, il expose les faits suivants : il est d’appartenance pachtoune et originaire de la province de Nangarhar. En novembre 2019, les autorités se sont rendues dans son commerce pour l’interroger sur l’emplacement des talibans. Après avoir indiqué la position des insurgés, des avions de l'armée nationale afghane ont effectué des bombardements sur cette zone qui ont tué treize combattants talibans. Le soir même, des talibans, informés de la dénonciation opérée par le requérant, se sont rendus au village à sa recherche. Le requérant a quitté sa localité le soir-même pour rejoindre le village de son cousin paternel. Ils ont quitté la province de Nangarhar et le requérant s’est réfugié à Kaboul chez des proches. Après son départ du village, à deux ou trois reprises, les talibans ont questionné ses proches à son sujet. A la suite de la chute de l’ancien gouvernement afghan en août 2021, craignant pour sa sécurité, il a décidé de quitter l’Afghanistan. 2. A titre subsidiaire, M. S soutient qu’il risque de subir des atteintes graves en Afghanistan en raison de la situation sécuritaire dégradée dans ce pays, notamment dans la province de Nangarhar où il a vocation à se réinstaller en cas de retour, et dans les provinces qu’il doit traverser pour s’y rendre. 

Sur la reconnaissance de la qualité de réfugié : 3. Aux termes du 2 du A de l’article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. ». 

4. Il ressort des sources d’informations librement accessibles, et notamment du rapport du Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEEA), en date de janvier 2022, intitulé : « Afghanistan Country focus » et du rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), intitulé « Afghanistan : risque au retour liés à « l’occidentalisation », du 26 mars 2021 qui se réfère en partie aux études de l’anthropologue Friedericke Stahlmann, que les ressortissants afghans rapatriés en Afghanistan après avoir séjourné en Europe, peuvent être perçus par les autorités afghanes et la sociétés comme « occidentalisés », ce qui leur vaut d’être considérés comme des traitres ou des infidèles. Cette perception peut entraîner des discriminations, des menaces, des agressions voire des meurtres imputables à des inconnus, à des membres de leur famille ou aux groupes armés présents en Afghanistan. Les persécutions liées à cette perception n’étant pas automatiques, elles peuvent être déclenchées par des comportements difficilement dissimulables tel que la gestuelle, l’attitude et l’expression verbale. Le rapport pointe également que le temps passé à l’étranger par les rapatriés est un facteur déterminant. Enfin, le rapport de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (EASO) intitulé « Country Guidance : Afghanistan », de novembre 2021, précise que la situation des individus perçus comme « occidentalisés » doit être appréciée à la lumière de la récente prise de pouvoir par les talibans, mais aussi de circonstances ayant une incidence sur le risque de persécutions, telles que le sexe, le comportement adopté par le requérant, son environnement familial conservateur, sa région d’origine, l’âge lors de son départ ou encore son niveau d’instruction ou de formation. 5. En tout état de cause, il incombe au demandeur de nationalité afghane, qui entend se prévaloir, à l’appui de sa demande d’asile, de craintes, en cas de retour dans son pays d’origine et du fait de la prise de pouvoir par les talibans, à raison d’un profil « occidentalisé » ou d’un risque d’imputation d’un tel profil, de fournir l’ensemble des éléments propres à sa situation personnelle permettant d’établir qu’il a acquis un tel profil ou de démontrer la crédibilité du risque d’une telle imputation, notamment à raison de la durée de son séjour en Europe et, en particulier, en France ainsi que de l’acquisition de tout ou partie des valeurs, du modèle culturel, du mode de vie, des usages ou encore des coutumes des pays occidentaux. 6. En l’espèce, les déclarations de M. S, notamment lors de l’audience devant la Cour, ont permis de tenir pour établi le bien-fondé de ses craintes en cas de retour en Afghanistan, du fait des talibans, en raison de son profil occidentalisé. A ce titre, le requérant a, au cours de l’audience, évoqué en termes spontanés et convaincants l’importance que pouvait avoir, à ses yeux, l’instruction et le travail des femmes dans la société. En outre, il a illustré de manière circonstanciée et personnalisée ses conditions de vie en France, et apporté la preuve de l’acquisition des valeurs et du mode de vie de ce pays. En particulier, le requérant a décrit ses activités en tant que bénévole au sein de l’association Emmaüs, qu’il a débutées selon l’attestation rédigée par un responsable de cette structure, au cours du mois de mars 2023, soit seulement quelques mois après son arrivée sur le territoire français. Par ailleurs, il a exposé, au cours d’échanges avec la cour, ses connaissances de la langue française. Les attestations rédigées par une professeure de langue française et par la directrice du Centre socio Culturel de Bressuire, datées des 22 et 29 août 2023 témoignent de l’assiduité et de la réelle motivation du requérant à suivre l’apprentissage de cette langue. Enfin, il a relaté de manière précise et spontanée ses différentes activités sportives et notamment sa pratique régulière du futsal, attestée par le courrier en date du 27 octobre 2023 de son accompagnatrice sociale, dans lesquelles il a expliqué côtoyer des nombreuses personnes d’origine européenne et de genres différents. 7. Il résulte de ce qui précède que M. S craint avec raison, au sens des stipulations précitées de la convention de Genève, d'être persécuté en cas de retour dans son pays en raison d’opinions politiques imputées. Dès lors, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens du recours, il est fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié. Sur l’application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 : 8. M. S ayant obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que Me Seguin, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’État, il y a lieu de mettre à la charge de l’OFPRA la somme de mille deux cent (1200) euros à verser à Me Seguin. D E C I D E : Article 1er : La décision du directeur général de l’OFPRA en date du 28 juin 2023 est annulée. Article 2 : La qualité de réfugié est reconnue à M. S. Article 3 : L’OFPRA versera à Me Seguin la somme de mille deux cent (1200) euros en application du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que Me Seguin renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat. Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. S, à Me Seguin et au directeur général de l’OFPRA".


cf également: 


Denis SEGUIN
Avocat spécialiste en droit des étrangers
Docteur en droit

jeudi 7 décembre 2023

OQTF parent enfant français


TRIBUNAL ADMINISTRATIF 

DE NANTES 


N° 2300976, 7décembre 2023  


(6ème chambre)

Considérant ce qui suit : 1. Mme A, ressortissante ivoirienne née le 31 août 1988 est entrée en France le  26 février 2012. Elle s’est vu délivrer un titre de séjour « vie privée et familiale » valable du 6 avril  2017 au 5 avril 2018. Sa demande de renouvellement a été rejeté par un arrêté portant en outre obligation de quitter le territoire français du 18 octobre 2019 confirmé par un jugement du 5  novembre 2020. Elle a sollicité du préfet de Maine-et-Loire la délivrance d’un titre de séjour « vie  privée et familiale ». Sa demande a été rejetée par un arrêté du 19 décembre 2022 portant en outre  obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays à destination  duquel elle pourra être reconduite d’office lorsque le délai sera expiré. Mme A demande au  tribunal d’annuler cet arrêté. Sur la légalité de la décision portant refus de titre de séjour 2. Aux termes de l’article L. 423-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du  droit d’asile : « L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et  qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions  prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux  ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale "  d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. ». Et, aux  termes de l’article L. 423-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, : «  Pour la délivrance de la carte de séjour prévue à l'article L. 423-7, lorsque la filiation est établie  à l'égard d'un parent en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas  l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, doit justifier que celui-ci contribue  effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article  371-2 du code civil, ou produire une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et  à l'entretien de l'enfant. Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution  n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du  demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt  supérieur de l'enfant. ». 3. Il ressort des pièces du dossier que Mme A est mère de deux enfants français,  K A née le 13 mai 2016 et E M S né le 20 février 2021. Elle  a formé une demande de titre de séjour en qualité de parent d’enfant français le 11 mars 2022.  Concernant l’enfant K , elle ne démontre pas, par la seule attestation de  scolarité émise par la directrice de l’école à sa demande le 16 janvier 2023 et les photographies  versées au dossier, contribuer effectivement à l’entretien et l’éducation de celle-ci depuis sa  naissance ou depuis au moins deux ans. Pour l’enfant E M S, il est constant que  le père français de ce dernier justifie participer à son éducation et son entretien. Il ressort des pièces  du dossier et notamment de la déclaration faite par la requérante à la caisse d’allocations familiales,  de l’attestation d’hébergement du père de l’enfant et des factures mentionnant leurs deux noms,  que Mme A a d’abord résidé seule avec E M S, qui restait rattaché administrativement à son père, avant d’emménager chez ce dernier à compter de novembre 2022. En  outre, pour justifier de sa participation à l’éducation de son fils, Mme A verse au dossier  trois certificats faisant état de sa présence depuis sa naissance à de nombreux rendez-vous  médicaux le concernant, une attestation du père de ce dernier concernant sa présence quotidienne  auprès de l’enfant, une attestation de la responsable de la crèche de son fils relevant qu’il y est  accompagné par sa mère, des billets de train à leurs deux noms ainsi que de nombreuses photos la  montrant aux côtés d’E depuis sa naissance. Ainsi l’ensemble de ces éléments sont de nature  à établir que l’intéressée participe de manière régulière et continue, à proportion de ses ressources  financières, à l’entretien et à l’éducation de son fils depuis sa naissance jusqu’à la date du présent  jugement. Dès lors, Mme A est fondée à soutenir que le préfet a entaché sa décision d’erreur  d’appréciation au regard des dispositions de l’article L. 423-7 du code de l’entrée et du séjour des  étrangers et du droit d’asile en refusant de lui délivrer un titre de séjour sur ce fondement. Cette  illégalité entraine l’annulation de la décision l’obligeant à quitter le territoire français et la décision  fixant le pays de destination4. Il résulte de ce qui précède et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens  de la requête que Mme A est fondée à demander l’annulation de l’arrêté attaqué.  Sur les conclusions à fin d’injonction 5. Le présent jugement implique nécessairement qu’il soit enjoint au préfet de Maine et-Loire de munir l’intéressée d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et  familiale » dans un délai de deux mois suivant la notification du présent jugement. Il n’y a pas lieu  d’assortir cette injonction d’une astreinte". 


Denis SEGUIN
Avocat spécialiste en droit des étrangers
Docteur en droit

Statut de réfugié Opposition à mariage forcé Côte d'Ivoire

  COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE  N° 24002156    19 avril 2024  (6 ème Section, 2 ème Chambre) "...Sur la demande d’asile :  1. Aux te...