mardi 30 mai 2023

Nigéria Homosexualité Statut de réfugié


 CNDA  26 mai 2023, N° 23006371(5 ème section, 1ère chambre):

"1. Aux termes de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». 

2. Un groupe social est, au sens de cet article, constitué de personnes partageant un caractère inné, une histoire commune ou une caractéristique essentielle à leur identité et à leur conscience, auxquels il ne peut leur être demandé de renoncer, et une identité propre perçue comme étant différente par la société environnante ou par les institutions. En fonction des conditions qui prévalent dans un pays, des personnes peuvent, en raison de leur orientation sexuelle, constituer un groupe social au sens de ces dispositions. Il convient, dès lors, dans l’hypothèse où une personne sollicite le bénéfice du statut de réfugié en raison de son orientation sexuelle, d’apprécier si les conditions existant dans le pays dont elle a la nationalité permettent d’assimiler les personnes se revendiquant de la même orientation sexuelle à un groupe social du fait du regard que portent sur ces personnes la société environnante ou les institutions et dont les membres peuvent craindre avec raison d’être persécutés du fait même de leur appartenance à ce groupe. 

3. Il résulte de ce qui précède que l’octroi du statut de réfugié du fait de persécutions liées à l’appartenance à un groupe social fondé sur une orientation sexuelle commune ne saurait être subordonné à la manifestation publique de cette orientation sexuelle par la personne qui sollicite le bénéfice du statut de réfugié. D’une part, le groupe social n’est pas institué par ceux qui le composent, ni même du fait de l’existence objective de caractéristiques qu’on leur prête mais par le regard que portent sur ces personnes la société environnante ou les institutions. D’autre part, il est exclu que le demandeur d’asile doive, pour éviter le risque de persécution dans son pays d’origine, dissimuler son homosexualité ou faire preuve de réserve dans l’expression de son orientation sexuelle. L’existence d’une législation pénale qui réprime spécifiquement les personnes homosexuelles permet de constater que ces personnes doivent être considérées comme formant un certain groupe social. L’absence d’une telle législation ne suffit pas à établir que ces personnes ne subissent pas de persécutions en raison de leur orientation sexuelle. Des persécutions peuvent en effet être exercées sur les membres du groupe social considéré sous couvert de dispositions de droit commun abusivement appliquées ou par des comportements 

4. Dès lors qu’il ressort des sources d’information disponibles que l’article 212, chapitre 21, partie 4 du Code pénal nigérian, condamne à trois ans d’emprisonnement tout individu masculin qui se livrerait, avec un autre individu masculin, à des actes considérés comme portant atteinte à la pudeur, les personnes homosexuelles constituent au Nigéria un groupe social au sens des dispositions précitées de la convention de Genève. De plus, le « Same Sex Marriage (Prohibition) Act, 2013 (SSMPA) », promulgué le 7 janvier 2014, punit de quatorze ans de réclusion criminelle toute personne qui contracterait avec une personne du même sexe un mariage ou une « union civile », entendue au sens large comme toute relation. D’après les constatations du département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique dans son rapport sur la situation des droits humains publié en mars 2020, à la suite de l’adoption des dispositions pénales répressives évoquées, les personnes LGBTI ont subi une augmentation des harcèlements et menaces dirigés à leur encontre et des articles de presse ainsi que des défenseurs des droits des minorités sexuelles ont fait état de nombreuses arrestations. Selon un rapport de Human Rights Watch intitulé « “Tell Me Where I Can Be Safe” : The Impact of Nigeria’s Same Sex Marriage (Prohibition) Act », publié en octobre 2016, se référant au rapport « Country Policy and Information Note Nigéria: Sexual orientation and gender identity or expression », publié en avril 2019 par le Home Office britannique, le SSMPA est devenu une justification des abus commis par la police et, plus largement, par les membres de la société nigériane à l’encontre des minorités sexuelles comme la torture, les agressions sexuelles, la détention arbitraire ou encore des extorsions. La version actualisée d’août 2022 de cette même source fait également état de la persistance des violences et des discriminations à l’encontre des minorités sexuelles au Nigéria, tant par les membres de la société que par les autorités étatiques. Ces observations sont confirmées par le rapport sur la situation des droits humains publié en mars 2023 par le département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique. Les personnes homosexuelles ne peuvent ainsi en aucun cas se prévaloir de la protection des autorités, de telles démarches étant vaines, surtout depuis la promulgation de la loi de 2014. Ainsi, l’ensemble de ces éléments permet de considérer que les personnes homosexuelles sont susceptibles d’être exposées au Nigéria à un risque de persécutions en raison de leur orientation sexuelle. 

5. M. O, de nationalité nigériane, né le 1 er juin 1995 au Nigeria, soutient qu’il craint d’être exposé à des persécutions ou à une atteinte grave, en cas de retour dans son pays d’origine, du fait de la société environnante en raison de son orientation sexuelle. Il déclare qu’il est d’ethnie igbo, de religion chrétienne et résidait dans l’Etat d’Imo. Il fait valoir à l’appui de sa demande d’asile qu’un jour, lorsqu’il avait huit ans, il a été violemment battu par son père car il avait eu un geste que celui-ci avait jugé déplacé à l’égard de l’un de ses amis. A partir de ce moment-là, il a progressivement pris conscience de son homosexualité et de l’interdiction de vivre son orientation sexuelle librement au Nigéria. En 2015, il a noué une relation sentimentale avec un collègue de travail. En novembre 2015, ils se sont tous deux inscrits à l’université et se sont installés dans le même appartement. Son compagnon a été arrêté par les forces de l’ordre le 20 novembre 2019 alors qu’ils se trouvaient au restaurant. Il a réussi à prendre la fuite en passant par une porte dérobée et s’est caché chez sa mère. Deux mois et demi plus tard, il a reçu un appel de son compagnon qui l’a informé qu’il avait été arrêté à la suite d’une dénonciation par un ex-compagnon et qu’il avait été contraint de le dénoncer aux autorités. Craignant d’être arrêté à son tour, il est parti à Port Harcourt le 7 février 2020. Quelques jours plus tard, il a appris que les autorités s’étaient présentées à son domicile. Il a rejoint Abuja en septembre 2020 et a trouvé un emploi dans une usine. Après un grave problème de santé, il s’est confié à sa responsable sur son orientation sexuelle. Avec son aide, il est parvenu à obtenir un visa pour la France en juin 2022 qu’il a rejoint en août 2022. 

6. Les déclarations étayées et personnalisées de M. O, notamment au cours de l’audience publique, ont permis d’établir son appartenance au groupe social des personnes homosexuelles au Nigéria. En effet, c’est de manière empreinte de vécu qu’il est revenu sur la prise de conscience de son homosexualité alors qu’il avait six ans. Il est ainsi apparu cohérent que, en conséquence réaction très violente de son père, il n’ait eu sa première relation sentimentale qu’à l’âge de vingt ans ainsi qu’il l’a spontanément réaffirmé devant la Cour. Il a su apporter des précisions sur la façon dont il a réussi à débuter une relation sentimentale avec son ami en profitant de la proximité qu’ils avaient réussi à établir dans leur relation de travail. Il a également exposé des éléments précis permettant de déterminer la façon dont ils ont réussi à se déclarer leurs sentiments mutuels malgré l’interdit social. Il a su décrire en détail son compagnon et la relation qu’ils ont pu entretenir pendant près de cinq ans. Il a notamment précisé la façon dont, au prétexte de poursuivre des études et d’occuper un logement universitaire, ils ont réussi à vivre ensemble pendant près de cinq années sans éveiller les soupçons de leur entourage. Enfin, il a su exposer en détail l’arrestation dont son compagnon a été victime ainsi que la façon dont il a réussi à prendre la fuite. Il découle de ces évènements ainsi que du contexte prévalant dans son pays qui a été rappelé au point 4 que ses craintes peuvent être regardées comme fondées et actuelles. Ainsi, il résulte de ce qui précède que M. O craint avec raison, au sens des stipulations précitées de la convention de Genève, d’être persécuté en cas de retour dans son pays en raison de son appartenance au groupe social des personnes homosexuelles au Nigéria. Dès lors, il est fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié"... 



Denis SEGUIN

Avocat spécialiste en droit des étrangers

Docteur en droit


http://www.cnda.fr/Ressources-juridiques-et-geopolitiques/Actualite-jurisprudentielle/Selection-de-decisions-de-la-CNDA/La-cour-reconnait-la-qualite-de-refugie-a-un-requerant-de-nationalite-nigeriane-persecute-dans-son-pays-en-raison-de-son-appartenance-au-groupe-social-des-personnes-homosexuelles


mardi 16 mai 2023

Somalie Protection subsidiaire Moyen-Juba , transit Bénadir Bas-Shabelle

 CNDA, 12 mai 2023, n°23006517, 6ème Section, 2ème Chambre:

"...5. Toutefois, le bien-fondé de la demande de protection de M. A, dont la qualité de civil est établie, doit également être apprécié au regard du contexte prévalant dans son pays d’origine, et plus particulièrement dans la région du Moyen-Juba, dont il a démontré être originaire, ainsi que dans les régions du Bénadir et du Bas-Shabelle par lesquelles il devrait transiter pour rejoindre sa région d’origine.................................................................................

9. Il en résulte que si la situation sécuritaire prévalant actuellement en Somalie se caractérise par un niveau significatif de violence, elle est cependant marquée par des disparités régionales quant à l’impact du conflit sur les populations civiles. La « Note d’orientation : Somalie » de l’AUEA du 15 juin 2022, dont les Etats membres de l’Union européenne doivent tenir compte conformément à l’article 11 (3) du règlement 2021/2303/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2021 et qui nécessite une mise à jour régulière selon l’article 11 (4), indique, à cet égard, que sur les dix-huit régions que compte la Somalie, douze d’entre elles sont particulièrement affectées par le conflit armé en cours. Il s’agit des régions du centre et du sud de la Somalie, que sont le Bas-Juba, Moyen-Juba, Gedo, Bay, Bas-Shabelle, Bénadir (région à laquelle est rattachée la capitale Mogadiscio), Moyen-Shabelle, Bakool, Hiiraan, Galgaduud et Mudug, ainsi que la région de Bari dans l’Etat autoproclamé autonome du Puntland. Par ailleurs, depuis la publication de ces données, la situation s’est fortement dégradée dans certaines de ces régions, notamment au Hiiraan. Il en résulte que la situation sécuritaire prévalant dans ces régions où les violences peuvent toucher les populations civiles doit être regardée comme une situation de violence aveugle, dont l’intensité est variable. Par suite, la seule invocation de la nationalité somalienne d’un demandeur d’asile ne peut suffire à établir le bien-fondé de sa demande de protection internationale au regard de la protection subsidiaire en raison d’un conflit armé. Il y a lieu, en conséquence, de prendre en compte la situation qui prévaut dans la région de provenance du demandeur ou, plus précisément, celle où il avait le centre de ses intérêts avant son départ et où il a vocation à se réinstaller en cas de retour en Somalie et d’apprécier si cette personne court, dans cette région ou sur le trajet pour l’atteindre, un risque réel de subir des atteintes graves au sens des dispositions précitées du 3° de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

10. En ce qui concerne la région du Moyen- Juba, dont M. A a démontré être originaire, il ressort de la documentation disponible, notamment de la « Note d’orientation : Somalie », du 15 juin 2022 précitée, des rapports de l’EASO (devenu AUEA) sur la situation sécuritaire en Somalie, publiés en septembre 2021 et en février 2023, et des rapports du Secrétaire général des Nations unies précités que cette région est la seule région somalienne, parmi les dix-huit régions administratives du pays, qui relève entièrement et exclusivement du contrôle d'Al-Shabaab, dont l’autorité exercée sur les nombreux clans de la région a permis de réduire leurs relations conflictuelles. La principale source d’insécurité dans la région est la lutte contre Al-Shabaab et plusieurs attaques aériennes des forces internationales en 2020 et 2021, survenues notamment dans le district de Jilib réputé pour être un fief d’AlShabaab, ont causé de nombreuses victimes civiles. Selon les données publiques consultées sur le site d’ACLED, l’année 2022 est celle qui a connu le moins de décès liés à des incidents de sécurité depuis 2016, avec 10 incidents de sécurité à l’origine de 19 décès. Le nombre de déplacés internes pour des raisons de sécurité originaires du Moyen-Juba demeure également relativement faible, s’élevant à moins de 4 000 déplacés par années depuis 2016 selon l’infographie périodique du PRMN.

11. En ce qui concerne les régions du Benadir, il résulte des mêmes sources d’information publiques disponibles et pertinentes sur la Somalie, à la date de la présente décision, que dans la région, l’administration est présente et effective, les forces armées du gouvernement fédéral somalien étant appuyées par les forces de l’ATMIS, qui remplace l’AMISOM, et celles relevant des autorités régionales. Toutefois, Al-Shabaab agit dans le Bénadir comme un réseau dont l’influence est omniprésente et se manifeste par des assassinats, n° 23006517 6 des explosions et la collecte de taxes. Par ailleurs, les milices claniques Hawiye, qui sont parfois partie intégrante des forces de sécurité, constituent une autre source majeure de conflit à Mogadiscio en raison d’affrontements entre les forces soutenant l’actuel gouvernement et des groupes d’opposition issus de clans Hawiye. Il faut y ajouter l’activité de membres de l’organisation terroriste de l’Etat islamique qui se livrent, dans la région du Bénadir, à des attentats à l’engin explosif improvisé visant les forces de sécurité. Toutefois, si le nombre d’incidents de sécurité a augmenté depuis deux ans par rapport à l’année 2020, pour s’établir à 709, il reste inférieur à celui des années 2017 et 2018, y compris en nombre de victimes. En effet, selon les données publiques consultées sur le site d’ACLED, 663 personnes ont trouvé la mort en raison d’incidents de sécurité en 2022, contre 968 en 2018 et 1 437 en 2017. Enfin, d’après les derniers rapports du Secrétaire général des Nations unies, dont celui du 13 mai 2022, et le rapport susmentionné de l’EASO (devenu AUEA), si la zone de l’aéroport international Aden Adde a été exposée à des attaques menées par Al-Shabaab en 2021 et en mars 2022, touchant en particulier les institutions onusiennes et des organismes internationaux privés, ces attaques n’entravent pas le fonctionnement de l’aéroport qui assure quotidiennement des vols internationaux.

12. En ce qui concerne la région du Bas-Shabelle, il résulte des mêmes sources d’information publiques disponibles et pertinentes sur la Somalie, à la date de la présente décision, qu’elle reste l’un des bastions de la milice Al-Shabaab qui maintient une grande capacité opérationnelle dans la région au regard du nombre d’attaques perpétrées, de son contrôle des barrages routiers et de sa capacité à prélever des taxes sur les populations locales, bien que les autorités pro-gouvernementales contrôlent les principales villes de la région. La région est également le théâtre de conflits inter-claniques entre Hawiye et non-Hawiye (Biyomaal et Digil) relatifs à la gestion des ressources naturelles. Selon les données publiques consultées sur le site d’ACLED, 694 incidents sécuritaires à l’origine de 799 morts, parmi lesquels des civils, ont été recensés en 2022 dans la région. Si le nombre de décès liés à des incidents de sécurité a augmenté comparativement à l’année précédente, il reste sensiblement inférieur au nombre de victimes recensé en 2019, où il s’établissait à 1 204. En outre, l’infographie périodique du PRMN indique que pour la période allant de janvier à novembre 2022, 251 020 personnes ont quitté leur localité du Bas-Shabelle, dont 71 370 pour des raisons liées à l’insécurité. Comparativement, en 2019 et 2020, plus de 100 000 personnes quittaient la région en raison de l’insécurité qui y régnait. 


13. Il en résulte que ces régions sont affectées par un niveau de violence aveugle résultant d’une situation de conflit armé interne mais dont l’intensité n’est toutefois pas telle qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que chaque civil qui y retourne courrait, du seul fait de sa présence dans ces régions, un risque réel de menace grave contre sa vie ou sa personne au sens des dispositions du 3° de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Dès lors, il y a lieu de tenir compte de l’existence, le cas échéant, d’un indice sérieux de risque réel pour M. A  de subir une atteinte grave. En l’espèce, eu égard à son jeune âge au moment de son départ de la Somalie, à savoir quinze ans, à son absence prolongée de ce pays, dès 2018, soit il y a cinq ans et à son isolement familial, dès lors qu’il a déclaré en termes constants que sa mère et son frère avaient quitté le Moyen-Juba et qu’il n’y aurait plus d’ancrage familial, M. A doit être regardé comme étant personnellement exposé à une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle résultant d’une situation de conflit armé interne, au sens du 3° de l’article L. 512-1 précité du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, sans pouvoir se prévaloir de la protection effective des autorités. Dès lors, M. A est fondé à se voir accorder le bénéfice de la protection subsidiaire..."


Denis SEGUIN

Avocat spécialiste en droit des étrangers

Docteur en droit



mercredi 3 mai 2023

Refus de visa Somalie Protection subsidiaire réunification familiale

 Jugement TA Nantes 28 avril 2023, n°2209921:

 

2. Aux termes de l’article L. 561-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (…) / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (…) ». L’article L. 561-5 de ce code dispose que : « Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ». 3. Aux termes de l’article L. 811-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l’article 47 du code civil (…) ». Aux termes de l’article 47 du code civil : « Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». Il résulte de ces dispositions que la force probante d’un acte d’état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l’administration de la valeur probante d’un acte d’état civil établi à l’étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu’un acte d’état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu’il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l’instruction du litige qui lui est soumis.

 

 4. Pour rejeter la demande de visa présentée au profit des demandeurs de visa, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France s’est fondée sur les dispositions précitées et a constaté que les déclarations de la naissance du jeune H K et de Mme K S ont été enregistrées par l’ambassade de la République fédérale de Somalie à Djibouti le 25 octobre 2021, soit sept ans après l’obtention par M. K  A du bénéfice de la protection subsidiaire, et qu’en l’absence d’éléments probants de possession d’état, non contemporains des demandes de visas, l’identité et le lien familial des demandeurs de visa avec le réunifiant ne sont pas établis. 5. Pour établir l’identité et le lien de filiation des demandeurs de visa avec le réunifiant, il est produit deux certificats de naissance délivrés le 25 octobre 2021 par l’ambassade de Somalie auprès de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (Intergovernmental Authority on Development, IGAD), à Djibouti, ainsi que deux passeports délivrés respectivement le 22 mai 2015 pour le jeune Hassan K S et le 10 avril 2021 pour Mme K S qui mentionnent des dates de naissance et les noms de leurs parents identiques à ceux N° 2209921 4 figurant sur les deux certificats de naissance. De tels certificats délivrés plusieurs années après les événements qu’ils relatent, sur déclaration, par une représentation diplomatique pour les besoins de la procédure de réunification familiale ne peuvent recevoir la qualification d’actes d’état civil étranger au sens des dispositions de l’article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Mais ils peuvent être pris en compte, le cas échéant, pour déterminer l’existence d’une situation de possession d’état. En l’espèce, la circonstance que l’en-tête pré-imprimé et le corps de ces documents comportent quelques fautes d’orthographe en anglais ne suffit pas à leur ôter tout caractère utile pour établir le lien de filiation. M. S A a, de façon constante depuis son arrivée en France, présenté les demandeurs de visas comme ses enfants, ainsi que cela ressort de la fiche familiale de référence datée du 4 avril 2014 et du récit d’asile présenté le 25 février 2013 devant l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), lequel a délivré à M. K S Ali un livret de famille le 12 septembre 2014 ainsi qu’un certificat de mariage tenant lieu d’acte d’état civil et un certificat de décès de Mme S A M établis le 11 août 2014, en application des dispositions de l’article L. 121-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, attestant du mariage de M. KS A et de Mme S A M le 4 août 2003 à Afgoye (Somalie). Ainsi, il ressort des pièces du dossier que les mentions relatives à l’identité, aux dates et lieux de naissance des enfants figurant sur les documents versés sont cohérentes avec les déclarations faites à l’OFPRA par M. K S A lors du dépôt de sa demande d’asile. Dans les circonstances très particulières de l’espèce, il y a lieu de regarder comme établis l’identité du jeune H K Set de Mme K S et leur lien de filiation avec le réunifiant, par le mécanisme de la possession d’état. En outre et au surplus, le requérant justifie de l’envoi de deux versements d’argent vers ses enfants en 2021 et deux autres en 2022 et produit un échange par SMS et trois photos. Par suite, il y a lieu de regarder comme établie l’identité du jeune Hassan K S et de Mme KS et leur lien de filiation avec le réunifiant. Dans ces conditions, la commission de recours a entaché sa décision d’une erreur d’appréciation en refusant de leur délivrer les visas sollicités pour le motif cité au point 3.


Le juge peut décider, malgré la production d'un document n'ayant pas la valeur d'un acte d'état civil que la filiation entre un réfugié statutaire et l'enfant qu'il voulait faire venir dans le cadre d'une réunification familiale est établie sur la base de diverses pièces, toutes concordantes, comme une fiche de vaccination, le passeport du demandeur ou encore le certificat des autorités du village (CAA Nantes, 5 avril 2019, n°18NT03208).

cf aussi, CAA Nantes, 21 septembre 2022, n°22NT0155

CAA Nantes, 31 janvier 2023, n°21NT02603



lundi 1 mai 2023

Refus d'enregistrement de demande de titre de séjour, dossier incomplet, justificatifs d'identité R.431-10 du Ceseda

 

Jugement du 26 avril 2023 du tribunal administratif de Nantes n°2108547 (7ème chambre) :

 

« .2 L’article R.431-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers : « L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande :

1° Les documents justifiants de son état civil ;
2° Les documents justifiants de sa nationalité ;"

3. Il résulte de ces dispositions qu’en dehors du cas d’une demande à caractère abusif dilatoire, l’autorité administrative chargée d’instruire une demande de titre de séjour ne peut refuser de l’enregistrer, et de délivrer le récépissé y afférent, que si le dossier présenté à l’appui de cette demande est incomplet. Le caractère abusif ou dilatoire de la demande doit s’apprécier compte tenu d’éléments circonstanciés. En outre, le refus d’enregistrer une demande tendant à l’octroi d’un titre de séjour, à l’appui de laquelle est présenté un dossier incomplet, ne constitue pas une décision faisant grief susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir, sauf à ce que le requérant justifie du caractère complet du dossier déposé auprès des services préfectoraux.

4.Il ressort des pièces du dossier, notamment de la décision contestée, que le préfet de Maine-et-Loire a rejeté comme irrecevable la demande de titre de séjour présentée par Mme G... au motif qu’en méconnaissance des dispositions de l’article R.431-10 du ceseda, elle n’avait pas produit de documents permettant d’établir son identité, sa nationalité et celles de sa fille J. Il est constant que Mme G...a produit à l’appui de sa demande de titre de séjour une attestation de naissance la concernant établie le 6 décembre 2019 par le National Population Commission en application d’un jugement de la Haute Cour de Justice de Bénin City et concernant sa fille, un certificat de naissance également établi en juillet 2018 par la même commission. Le préfet de Maine-et-Loire qui se borne à invoquer l’absence de légalisation de ces documents, ne conteste pas réellement le caractère authentique de ces documents. Dans ces conditions, d’une part, le refus du préfet de Maine-et-Loire d’enregistrer la demande de titre de séjour sur la base du dossier produit par l’intéressée revêt le caractère d’une décision et, d’autre part, le dossier de demande de titre de séjour de Mme G...ne pouvant être regardée comme incomplet, le préfet de Maine-et-Loire ne pouvait pour ce motif refuser d’enregistrer la demande de titre de séjour pour que soit examinée la question du droit au séjour de l’intéressée et a donc commis une erreur de droit ».

La décision du 8 juillet 2021 est annulée et il est enjoint au préfet d’instruire la demande de titre de séjour en qualité de parent d’enfant malade de Mme G... dans un délai de 3 mois à compter de la notification du présent jugement, en lui délivrant dans l’attente un récépissé de demande de titre de séjour.

 

Dans sa lettre du 8 juillet 2021, le préfet rappelait qu’il avait demandé en mai 2021 un document d’identité (passeport, carte d’identité)pour la mère et un document d’identité pour l’enfant (passeport, carte d’identité). Il avait considéré que les documents adressés en juin 2021et visés par le jugement ne permettaient pas de compléter le dossier en écrivant ceci : « Au regard de l’absence des documents permettant d’établir votre identité et votre nationalité et celles de votre enfant, je considère votre demande comme irrecevable".





Denis Seguin

Avocat spécialiste en droit des étrangers

Docteur en droit

 

Statut de réfugié Opposition à mariage forcé Côte d'Ivoire

  COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE  N° 24002156    19 avril 2024  (6 ème Section, 2 ème Chambre) "...Sur la demande d’asile :  1. Aux te...