mercredi 21 février 2024

Statut de réfugié Excision Côte d'Ivoire

 

COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE

 N° 23055307 


 13 février 2024 


(5ème section, 1ère chambre)

"...1. Aux termes de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du  protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute  personne qui, « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se  trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut  se réclamer de la protection de ce pays ».  

2. Un groupe social est, au sens de cet article, constitué de personnes partageant un  caractère inné, une histoire commune ou une caractéristique essentielle à leur identité et à leur  conscience, auxquels il ne peut leur être demandé de renoncer, et une identité propre perçue  comme étant différente par la société environnante ou par les institutions. L’appartenance à un  tel groupe est un fait social objectif qui ne dépend pas de la manifestation par ses membres, ou,  s'ils ne sont pas en mesure de le faire, par leurs proches, de leur appartenance à ce groupe. 

3. Il en résulte que, dans une population dans laquelle les mutilations sexuelles  féminines sont couramment pratiquées au point de constituer une norme sociale, les enfants et  les adolescentes non mutilées constituent de ce fait un groupe social. Il appartient cependant à  une personne qui sollicite le statut de réfugié en se prévalant de son appartenance à un groupe  social de fournir l'ensemble des éléments circonstanciés, notamment familiaux, géographiques,  sociologiques, relatifs aux risques de persécution qu'elle encourt personnellement, de manière  à permettre au juge de l’asile d’apprécier le bien-fondé de sa demande. En outre, l’admission  au statut de réfugié peut légalement être refusée, ainsi que le prévoit l’article L. 513-5 du code  de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lorsque l’intéressée peut avoir accès à  une protection sur une partie du territoire de son pays d’origine, à laquelle elle est en mesure,  en toute sûreté, d’accéder afin de s’y établir et d’y mener une vie familiale normale. 

4. Mme B, de nationalité ivoirienne, née le 11 avril 2023, soutient par  l’intermédiaire de Mme T et de M. B ses parents et représentants légaux, risquer  d’être excisée en cas de retour en Côte d’Ivoire. Sa mère et représentante légale fait valoir  qu’elle-même a fui la Côte d’Ivoire pour échapper à une excision. La majeure partie des femmes  de sa famille sont excisées. Sa mère craint que le grand-père de la requérante souhaite faire  procéder à son excision. Sa mère subit des pressions de la part de la famille de son compagnon  afin de la faire exciser. En cas de retour, elle craint que sa fille soit excisée et mariée de force. Son père et représentant légal fait valoir qu’il est opposé à ce que sa fille soit excisée. Il reçoit  des pressions de la part de ses parents et notamment son père afin de faire procéder à son  excision. 

5. Il ressort des sources publiques disponibles et fiables, et notamment du rapport  de la mission commune à l’Office et la Cour en République de Côte d’Ivoire, de  novembre/décembre 2019, que la loi n° 98/757 du 23 décembre 1998, qui prévoit des sanctions  pénales pour les auteurs de mutilations génitales féminines et leurs commanditaires, se révèle d’application peu effective et que le taux de prévalence des mutilations génitales féminines  (MGF) oscille, à l’échelle nationale, entre 25 et 50 %. Ce taux varie fortement selon la région  et l’ethnie ainsi que la confession. Les communautés des régions de l’ouest et du nord, telles  que les Koyakas, Malinkés, les Yacoubas (Dan qui appartiennent au groupe des Mandés du  Sud), les Guérés, les Wobés ou Wés, les Tagbanas, les Mahoukas, les Koros, les Gouros, les  Sénoufos, les Lobi ainsi que certains Baoulés du Centre, pratiquent l’excision. La prévalence  se situe à 60,7 % pour les Mandé du nord (Malinké, Bambara, Dioula, Koyaka, Mahouka) et  43 % pour les Mandé du Sud (Dan ou Yacouba, les Gouro ou Koueni et les Gago). Pour les Gur  et Voltaïques (Sénoufo, Lobi), le taux est de 59,1 %. Pour les Akran, il est de 2,7 % et pour les  Krous, de 14,1 %. Ces chiffres doivent également être examinés en tenant compte du fait que  les excisions pratiquées sur des enfants de plus en plus jeunes, parfois au cours des dix premiers jours suivant la naissance, ne sont pas prises en compte dans les enquêtes faites en général  auprès des femmes âgées de quinze à quarante-neuf ans qui ont subi une excision. Les MGF  sont également plus fréquentes au sein des communautés musulmanes et concernent environ  61,5 % des femmes. Elles sont courantes chez les pratiquantes des religions traditionnelles, le  taux de prévalence s’élevant à environ 40 %, et plus rares chez les chrétiennes, le taux de  prévalence étant de 11,8 % en moyenne, bien que ce chiffre soit plus important à l’ouest,  notamment chez les Dan où la prévalence de l’excision est plus élevée chez les chrétiennes que  les musulmanes. Le taux est par ailleurs d’autant plus élevé que la femme vit dans un milieu  rural et présente un niveau d’éducation faible. Par ailleurs, malgré la législation applicable  punissant les auteurs, complices et coauteurs de mutilations génitales féminines, refuser  l’excision serait impossible pour la jeune fille car cela entraînerait l’exclusion sociale de cette  dernière par la communauté. En effet, le dispositif de recours judiciaire en cas d’excision n’est  que théorique, les cas de refus d’excision étant gérés à l'intérieur de la communauté concernée.  À ce titre, si une personne déposait plainte contre un membre de la famille, elle serait victime  de marginalisation de la part de l’ensemble de sa communauté. En outre, il existe un certain  nombre d’organisations non gouvernementales présentes sur l’ensemble du territoire qui tentent  de lutter contre cette pratique, organisent des campagnes de sensibilisation pour changer les  mentalités, et forment notamment des imams à la lutte contre cette pratique. Cependant, elles  rencontrent des résistances parmi les populations et les chefs religieux ainsi que des officiers  de police judiciaire ou des gendarmes et ne disposent pas des moyens nécessaires pour mener  à bien leur action. Ainsi, il peut être considéré que les enfants et femmes ivoiriennes non  mutilées constituent un groupe social au sens de la convention de Genève. 6. Les déclarations claires et précises faites notamment lors de l’audience par les  parents et représentants légaux de la requérante permettent de tenir pour fondées les craintes  d’excision de cette dernière. En effet, tant la mère que le père de la requérante ont décrit de  manière très étayée l’importance revêtue par la pratique de l’excision au sein de leurs familles  respectives ainsi que des ethnies Sénoufo et Dioula auxquelles ils appartiennent respectivement. La mère de la requérante s’est en outre exprimée de manière très claire au sujet de sa propre  excision et de son refus de voir sa fille être victime d’une telle pratique. Tant le père que la mère de la requérante ont en outre évoqué de manière très étayée les pressions qu’ils subissent  de la part de leurs familles respectives afin de faire procéder à l’excision de cette dernière. Son  père et représentant légal est à cet égard revenu de manière étayée sur les messages menaçants  qu’il reçoit de la part de ses oncles afin qu’il fasse procéder à l’excision de la requérante. Dans  ce contexte familial et sociologique et au regard des explications personnalisées de ses parents,  il est apparu particulièrement plausible que Mme B soit exposée à un risque réel de  mutilation sexuelle féminine, eu égard au fort taux de prévalence de l’excision dans sa  communauté d’origine, sans que ses parents ne soient matériellement en capacité de la protéger.  Les parents et représentants légaux de la requérante ont en outre utilement produit un certificat  médical en date du 30 octobre 2023 attestant de sa non-excision. Ainsi, il résulte de ce qui  précède que Mme B craint avec raison, au sens des stipulations citées ci-dessus de la  convention de Genève, d'être persécutée en cas de retour dans son pays en raison de son  appartenance au groupe social des femmes et fillettes ivoiriennes non-excisées. Dès lors, elle  est fondée à se prévaloir de la qualité de réfugiée..."

Denis Seguin

Avocat spécialiste en droit des étrangers

Docteur en droit


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