CNDA, 20 octobre 2025, n°25026874
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3. En premier lieu, M. A a démontré sa nationalité somalienne, sa provenance du village de Jilib, dans la région du Moyen Jubba, ainsi que son appartenance au clan gabooye. Il a donné des informations cohérentes et consistantes sur la localisation de son village, sa topographie comme sur les rapports de force inter claniques qui le régissent et l'organisent. Il a clairement exposé l'activité de son père en tant que cireur de chaussures et cordonnier, apportant de nombreux détails sur les endroits stratégiques où il s'installait, sur les réactions des clients, lui-même étant parfois missionné pour leur proposer leurs services. De la même façon, il est revenu en des termes précis et constants sur les discriminations et les injustices qu'ils subissaient dans le cadre de cette activité, apportant des exemples concrets, les brimades ou le défaut de paiement, le tout rendant cohérent le dénuement et les abris de fortune dans lesquels vivait sa famille. Ses déclarations sont, en outre, corroborées par le rapport d'information publié en août 2014 par le Bureau européen d'appui en matière d'asile (BEAA- EASO, devenu Agence de l'Union européenne pour l'asile ou AUEA) et consacré à la Somalie centrale et méridionale, selon lequel les gabooye, identifiés comme «< groupes professionnels », représentent l'échelon le plus bas de la hiérarchie sociale dans la société somalienne.
4. En second lieu, il a livré une description tout aussi précise et personnalisée des circonstances dans lesquelles les miliciens d'Al Shabaab sont intervenus une première fois à son domicile et ont assassiné sa mère, qui s'y trouvait seule, et sur la décision prise par son père de faire immédiatement quitter le pays à son frère aîné, dont il n'a plus de nouvelles depuis lors. Il en va de même des circonstances de son agression et de son enlèvement par les miliciens deux ans plus tard. Les violences dont il a fait l'objet à cette occasion par des miliciens d'Al Shabaab apparaissent plausibles, notamment au regard du certificat médical du 12 avril 2024 attestant de ses blessures. Interrogé sur les circonstances de sa fuite, il est revenu en des termes cohérents et empreints de vécu sur l'enchaînement des événements, notamment les conditions météorologiques qui avaient abouti à ce que le véhicule s'embourbe, et le manque de vigilance de la part des miliciens dans ce contexte, alors qu'ils étaient plusieurs personnes à avoir été emmenées de force. De même, invité à expliquer les raisons pour lesquelles il n'avait pas cherché à regagner Jibril après s'être échappé, ses propos selon lesquels il ne pouvait pas retourner à l'endroit où il avait déjà perdu sa mère et son frère, et où il serait toujours menacé, sont apparus cohérents, ce d'autant qu'il était déjà fort éloigné de cette localité au moment de sa fuite. Les craintes exprimées par M. AHMED sont en outre corroborées par les sources publiques, notamment par un rapport du Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO), devenu Agence européenne pour l'asile (EUAA), intitulé « Somalia Targeted profiles » et publié le 2 septembre 2021, dont il ressort que le recrutement forcé par les miliciens Al Shabaab demeure une réalité en Somalie, notamment concernant les individus jeunes, lesquels s'exposent à des représailles en cas de refus d'intégrer la milice ou en cas de désertion, sans que les autorités ne soient en mesure de les protéger. La crédibilité générale de ses déclarations apparaît encore renforcée par les informations relevées dans le rapport du Département d'Etat américain sur la situation des droits de l'homme en Somalie, publié le 12 avril 2022, et des rapports de l'Agence de l'Union européenne pour l'asile « Country Guidance: Somalia », publiés en juin 2022 et août 2023, qui relèvent que les miliciens d'Al Shabaab continuent de commettre des violences et assassinats ciblés sur les personnes qui s'opposent à leur doctrine et celles soupçonnées de soutenir le gouvernement, les autorités somaliennes étant dans l'incapacité de protéger leurs cibles. En outre, un rapport de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, dans un rapport publié le 7 mars 2023, intitulé « Somalie : information sur Al Chabaab [Al Chabab], y compris ses dirigeants, sa structure, ses objectifs, ses activités, ses zones d'opération, sa capacité à retrouver des personnes d'intérêt et les personnes prises pour cible (2021-mars 2023) », précise que Al Shabaab est en mesure de retrouver des personnes précises et d'exercer des représailles contre elles à l'aide d'un service du renseignement << solide », particulièrement dans les centres urbains, et le groupe << intimide et assassine » des gens sur tout le territoire de Mogadiscio notamment.
5. Ainsi, il résulte de ce qui précède que M. A craint avec raison, au sens des stipulations précitées de la convention de Genève, d'être persécuté en cas de retour dans son pays en raison de son appartenance clanique et des opinions politiques qui lui sont imputées. Dès lors, il est fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié.
Denis SEGUIN
Avocat spécialiste en droit des étrangers
Docteur en droit
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