COUR NATIONALE DU DROIT D'ASILE , N° 25040228 ,24 novembre 2025 (5ème section, 1ère chambre)
“Sur le pays à l'égard duquel il
convient d'examiner les craintes :
3. Il résulte des stipulations
de la convention de Genève que la qualité de réfugié ne peut être reconnue qu'à
une personne contrainte, en raison de craintes de persécutions, de renoncer à
se prévaloir de la protection du ou des pays dont elle a la nationalité ou, si cette
personne ne peut se réclamer d'aucune nationalité, du pays où elle a sa résidence
habituelle. Il résulte par ailleurs de l'article L. 512-1 du code de l'entrée
et du séjour des étrangers et du droit d'asile que les menaces graves susceptibles
de donner lieu au bénéfice de la protection subsidiaire doivent, en ce qui concerne
la détermination du pays d'origine des menaces, être appréciées selon les mêmes
règles que celles relatives à la reconnaissance du statut de réfugié.
4. Les déclarations étayées et
personnalisées tenues par M. A, en particulier lors de l'audience devant la
Cour ont permis d'établir sa nationalité érythréenne et ses origines tigréennes.
En effet, bien qu'il ait quitté l'Erythrée à l'âge de sept ans et qu'il n'a pas
été scolarisé dans ce pays, il a été en capacité de fournir des éléments probants
liés à l'histoire de son pays et des éléments personnels déterminants,
notamment sur son quotidien avec ses parents et sa fratrie après que son père a
été démobilisé de l'armée. Il a, à juste titre, indiqué qu'il n'avait manqué
qu'une année d'étude, la scolarité commençant seulement à six ans en Erythrée. Il
est revenu de manière précise sur les tensions subsistant dans sa région entre son
pays et l'Ethiopie en 2010 et sur le départ de sa famille dans ce pays, en particulier
dans un camp de réfugiés où ils ont vécu dans des conditions précaires. Ses conditions
de vie sur place et notamment sa prise en charge par un couple d'Ethiopiens de même
que ses démarches pour tenter de régulariser sa situation en Ethiopie ainsi que
les discriminations dont il a fait l'objet dans ce pays en lien avec son
origine érythréenne ont donné lieu à des propos circonstanciés. S'il a indiqué que
sa mère était une ressortissante éthiopienne, il n'a apporté aucun élément probant
permettant de l'établir. Eu égard, à ses propos précis et à son vécu en
Éthiopie, en application des dispositions de l'article 3 de la Constitution
érythréenne qui dispose que << Toute personne née d'un père
érythréen ou d'une mère érythréenne est érythréenne de naissance », la
nationalité érythréenne de M. A peut être tenue pour établie et dès lors ses craintes
doivent être examinées au regard de l'Érythrée.
Sur ses craintes en cas de retour
en Érythrée :
5. Il ressort des sources publiques
disponibles, notamment du rapport publié en septembre 2019 par le Bureau européen
d'appui en matière d'asile (BEAA) devenu l'Agence de l'Union européenne pour l'asile,
intitulé « Eritrea National service, exit and return » et du chapitre
consacré à l'Érythrée dans le rapport annuel 2021 d'Amnesty International, que
le gouvernement érythréen considère le départ du pays de ses ressortissants
sans autorisation comme un acte de trahison et de déloyauté passible d'une peine
d'emprisonnement et que les personnes rapatriées de force en Érythrée risquent
systématiquement d'être torturées et détenues dans des conditions inhumaines du
seul fait qu'elles ont quitté irrégulièrement le pays ou qu'elles ne peuvent démontrer
l'avoir quitté de manière régulière comme dans le cas de la requérante. En
outre, bien que les autorités érythréennes organisent des retours volontaires sans
sanctions, retours qui supposent d'effectuer deux démarches préalables auprès
des services consulaires de l'Érythrée, à savoir le paiement de la taxe pour la
réhabilitation et la reconstruction, en vertu des proclamations 62/1994 et 67/1995,
consistant à verser 2 % de ses revenus à l'État, et la signature du formulaire 4/4.2,
qualifié de « lettre de repentance »>, par lequel les demandeurs admettent qu'ils
ont commis une infraction pénale et en acceptent la sanction à laquelle les autorités
érythréennes s'engagent à renoncer, le rapport de l'Organisation suisse d'aide aux
réfugiés publié le 30 septembre 2018 rappelait que le statut de << membre
de la diaspora » ne protège pas contre l'enrôlement au service national ou
contre une sanction pour désertion et départ illégal. La « lettre de regret » signifie
qu'on se reconnaît coupable du crime de désertion ou de départ illégal et qu'on
accepte la peine prévue dans ces cas-là. Le paiement de la « taxe de la diaspora
» et la signature de la «< lettre de regret » ne suffisent pas à échapper à
tout danger [...]. Même si elle parvient à échapper à une sanction sous forme d'incarcération,
la personne en question risque très vraisemblablement d'être à nouveau convoquée
au service national où elle encourt un traitement inhumain et le travail forcé ».
6. Par ailleurs, le rapport du rapporteur
spécial des Nations unies du 11 mai 2020 indique qu'aucune mesure n'a été prise
afin de supprimer la durée indéterminée du service national, ce qui est confirmé
par le rapport du Département d'État américain sur la situation des droits de l'homme
en Érythrée en 2020 et par le rapport du rapporteur spécial des Nations unies sur
la Situation des droits de l'homme en Érythrée du 6 mai 2022 qui
relèvent que les autorités n'ont pas abrogé la règle d'urgence du service militaire
et que, dans certains cas, la durée du service national est de plus de vingt
ans. Les Érythréens refusant d'effectuer leur service militaire risquent des
mauvais traitements, des tortures, voire d'être incarcérés sans jugement et
pour une durée indéterminée. Les rapports de l'EASO, actuellement AUEA, publiés
en mai 2015 et en septembre 2019, toujours d'actualité, respectivement intitulés
«< Érythrée étude de pays » et « Eritrea National service, exit and
return », confirment que la désertion ou les insoumissions au service militaire
érythréen peuvent être considérées par les autorités comme l'expression d'une opposition
politique ou une trahison à l'égard de l'État. Pour ce motif, les déserteurs et
les objecteurs de conscience sont emprisonnés s'ils sont arrêtés sur le territoire
national avant d'avoir eu la possibilité de partir ou à l'aéroport après leur
retour au pays. Le rapport publié en janvier 2020 par le Danish Refugee
Council, intitulé «< Eritrea : National service, exit and entry
», maintient cette analyse, en particulier le refus de l'État de supprimer
la durée illimitée du service militaire malgré la signature d'accords de paix
avec l'Éthiopie en 2018. Dans ce contexte, M. A refusant d'effectuer son
service militaire illimité, ses craintes, en cas de retour en Érythrée, pour ce
motif, sont vraisemblables et fondées.
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