mardi 22 août 2023

Somalie statut de réfugié persécutions par les milices Al-Shabab opinions politiques imputées

 

CNDA, 30 juin 2023, n°21055032, 2ème section, 4ème chambre:

"...3. En premier lieu, M. O a démontré sa nationalité somalienne, sa provenance de la ville de Buulo barde, située dans le district éponyme, au sein de la région du Hiran, ainsi que son appartenance au clan sheikhal. Lors de l'audience, le requérant a donné des informations multiples et précises sur la localisation de sa ville, sa topographie comme sa composition clanique. De même, il a fait une description substantielle du contexte sécuritaire ayant régné dans sa localité, en clarifiant de manière pertinente les différentes parties belligérantes présentes dans sa ville ou ayant évolué dans sa région d'origine, ainsi que leurs dynamiques dans le cadre du conflit. Il a également relaté de manière personnalisée et cohérente avec la documentation publique l'arrivée des miliciens d'Al-Shabaab, tandis qu'il n'était qu'un enfant. Les règles instaurées par ces derniers et la perte du contrôle de la ville de Buulo Barde par la milice en mars 2014 ont également fait l'objet d'un exposé consistant et concret. D'autre part, ses explications se sont révélées précises et personnalisées lors de l'audience sur la localisation, la subdivision et les caractéristiques de son clan et corroborées par le rapport d'information publié en août 2014 par le Bureau européen d'appui en matière d'asile (BEAA devenu Agence de l'Union européenne pour l'asile ou AUEA) et consacré à la Somalie centrale et méridionale. Enfin, il a exposé de manière claire son parcours familial

4. En deuxième lieu, il résulte des pièces du dossier et des explications constantes et cohérentes données par le requérant devant la Cour, qu'il a été persécuté par des miliciens d'Al- Shabaab qui, lui ayant imputé une collaboration avec l'armée gouvernementale somalienne, l'ont enrôlé de force dans leurs rangs. Lors de l'audience, il est revenu en des termes clairs sur le contexte dans lequel il a été amené à remettre quotidiennement des repas à son oncle maternel, diabétique, et sur le rituel mis en place. A cet égard, il a utilement précisé la disparition de son frère aîné, survenue quelques temps auparavant, ainsi que le profil de son oncle et les circonstances dans lesquelles ce dernier a réintégré l'ANS par conviction. C'est des avec le même niveau de détails qu'il a ensuite relaté son enlèvement et sa captivité par miliciens Al-Shabaab, salvateurs selon eux vis-à-vis d'une armée somalienne mécréante. Le certificat médical délivré par une médecin légiste, experte près la Cour d'appel d'Angers, au mois de novembre 2021 et produit à l'appui de son recours, relevant plusieurs cicatrices sur l'ensemble de son corps et concluant en ce que « la cicatrice de la jambe est compatible avec une cicatrice de plaie par projectile » et qu'il existe « un aspect radiologique pouvant correspondre à une séquelle de fracture de l'avant-bras », viennent au soutien de ses déclarations sur les violences subies dans ce cadre. Il a également su préciser la configuration du camp et les modalités de l'entrainement qui lui a été imposé, permettant à la Cour de conclure au témoignage d'une expérience vécue. Invité ensuite à développer les circonstances dans lesquelles il a pu fuir les lieux, il en a fait une description substantielle et cohérente, avant de renseigner l'itinéraire qu'il a emprunté pour rejoindre son domicile. Enfin, compte tenu de l'absence d'assise clanique comme familiale dans sa localité, qu'il a quittée il y a plus de huit années à la date de la présente décision, la Cour a conclu à l'incapacité du requérant de se prévaloir de la protection d'autorités officielles comme de celles de membres d'un clan majoritaire

5. En troisième et dernier lieu, le récit du requérant et les craintes qu'il a exprimées en cas de retour en Somalie s'inscrivent dans un contexte cohérent et documenté par les sources d'informations publiques, notamment les rapports du BEAA, devenu AUEA, publiés le 25 octobre 2019 (« Information on forced recruitment by Al-Shabaab in the government- controlled areas, methods of recruitment, recruitment procedure, profiles of the recruitedconsequences of refusal to join the group ») et le 15 juin 2022 Somalia, Country guidances »), selon lesquels les recrutements forcés auxquels procèdent les membres d'Al- Shabaab, notamment dans les régions où leur présence est importante et parmi des mineurs, sont une réalité. Ces sources confirment, en outre, les méthodes, parfois intimidantes voire violentes, employées par les miliciens pour recruter des combattants, celui qui refuse de rejoindre les rangs de la milice prenant le risque d'être menacé, considéré comme infidèle, voire tué pour l'exemple. Si ce phénomène est principalement constaté dans les zones contrôlées par les miliciens, plus particulièrement rurales, depuis la perte de contrôle des villes et zones urbaines environnantes entre les années 2012 et 2015, des cas de recrutement dans des zones contrôlées par le gouvernement ont également été signalés. Selon les sources d'informations publiques rappelées, il concerne à 40% des jeunes âgés entre quinze et dix-neuf ans, avec un ciblage qui a persisté au cours de l'année 2020. Le rapport du Groupe d'experts des Nations Unies sur la Somalie UN Security Council, Report of the Panel of Experts on Somalia, S/2020/949 ») publié le 28 septembre 2020, suggère par ailleurs que les campagnes de recrutement d'enfants << visaient des communautés perçues comme alignées sur le gouvernement ». Enfin, les groupes ethniques qualifiés ou considérés comme minoritaires ne peuvent bénéficier d'aucune protection effective, clanique ni étatique, satisfaisante, comme cela résulte notamment d'une étude intitulée «<<  «Peoples under Threat 2021 » menée par l'organisation non gouvernementale Minority Rights Group International pour l'année 2021

6. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens invoqués à l'appui de sa demande d'asile, il résulte de tout ce qui précède que M. O craint avec raison, au sens des stipulations précitées de la convention de Genève, d'être persécuté, en cas de retour dans son pays, par des miliciens d'Al-Shabaab, en raison des opinions politiques et religieuses qui lui sont imputées, sans être en mesure de bénéficier de la protection effective des autorités. Dès lors, M. O est fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié..."



Denis SEGUIN

Avocat spécialiste en droit des étrangers

Docteur en droit


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