mardi 30 mai 2023

Nigéria Homosexualité Statut de réfugié


 CNDA  26 mai 2023, N° 23006371(5 ème section, 1ère chambre):

"1. Aux termes de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». 

2. Un groupe social est, au sens de cet article, constitué de personnes partageant un caractère inné, une histoire commune ou une caractéristique essentielle à leur identité et à leur conscience, auxquels il ne peut leur être demandé de renoncer, et une identité propre perçue comme étant différente par la société environnante ou par les institutions. En fonction des conditions qui prévalent dans un pays, des personnes peuvent, en raison de leur orientation sexuelle, constituer un groupe social au sens de ces dispositions. Il convient, dès lors, dans l’hypothèse où une personne sollicite le bénéfice du statut de réfugié en raison de son orientation sexuelle, d’apprécier si les conditions existant dans le pays dont elle a la nationalité permettent d’assimiler les personnes se revendiquant de la même orientation sexuelle à un groupe social du fait du regard que portent sur ces personnes la société environnante ou les institutions et dont les membres peuvent craindre avec raison d’être persécutés du fait même de leur appartenance à ce groupe. 

3. Il résulte de ce qui précède que l’octroi du statut de réfugié du fait de persécutions liées à l’appartenance à un groupe social fondé sur une orientation sexuelle commune ne saurait être subordonné à la manifestation publique de cette orientation sexuelle par la personne qui sollicite le bénéfice du statut de réfugié. D’une part, le groupe social n’est pas institué par ceux qui le composent, ni même du fait de l’existence objective de caractéristiques qu’on leur prête mais par le regard que portent sur ces personnes la société environnante ou les institutions. D’autre part, il est exclu que le demandeur d’asile doive, pour éviter le risque de persécution dans son pays d’origine, dissimuler son homosexualité ou faire preuve de réserve dans l’expression de son orientation sexuelle. L’existence d’une législation pénale qui réprime spécifiquement les personnes homosexuelles permet de constater que ces personnes doivent être considérées comme formant un certain groupe social. L’absence d’une telle législation ne suffit pas à établir que ces personnes ne subissent pas de persécutions en raison de leur orientation sexuelle. Des persécutions peuvent en effet être exercées sur les membres du groupe social considéré sous couvert de dispositions de droit commun abusivement appliquées ou par des comportements 

4. Dès lors qu’il ressort des sources d’information disponibles que l’article 212, chapitre 21, partie 4 du Code pénal nigérian, condamne à trois ans d’emprisonnement tout individu masculin qui se livrerait, avec un autre individu masculin, à des actes considérés comme portant atteinte à la pudeur, les personnes homosexuelles constituent au Nigéria un groupe social au sens des dispositions précitées de la convention de Genève. De plus, le « Same Sex Marriage (Prohibition) Act, 2013 (SSMPA) », promulgué le 7 janvier 2014, punit de quatorze ans de réclusion criminelle toute personne qui contracterait avec une personne du même sexe un mariage ou une « union civile », entendue au sens large comme toute relation. D’après les constatations du département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique dans son rapport sur la situation des droits humains publié en mars 2020, à la suite de l’adoption des dispositions pénales répressives évoquées, les personnes LGBTI ont subi une augmentation des harcèlements et menaces dirigés à leur encontre et des articles de presse ainsi que des défenseurs des droits des minorités sexuelles ont fait état de nombreuses arrestations. Selon un rapport de Human Rights Watch intitulé « “Tell Me Where I Can Be Safe” : The Impact of Nigeria’s Same Sex Marriage (Prohibition) Act », publié en octobre 2016, se référant au rapport « Country Policy and Information Note Nigéria: Sexual orientation and gender identity or expression », publié en avril 2019 par le Home Office britannique, le SSMPA est devenu une justification des abus commis par la police et, plus largement, par les membres de la société nigériane à l’encontre des minorités sexuelles comme la torture, les agressions sexuelles, la détention arbitraire ou encore des extorsions. La version actualisée d’août 2022 de cette même source fait également état de la persistance des violences et des discriminations à l’encontre des minorités sexuelles au Nigéria, tant par les membres de la société que par les autorités étatiques. Ces observations sont confirmées par le rapport sur la situation des droits humains publié en mars 2023 par le département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique. Les personnes homosexuelles ne peuvent ainsi en aucun cas se prévaloir de la protection des autorités, de telles démarches étant vaines, surtout depuis la promulgation de la loi de 2014. Ainsi, l’ensemble de ces éléments permet de considérer que les personnes homosexuelles sont susceptibles d’être exposées au Nigéria à un risque de persécutions en raison de leur orientation sexuelle. 

5. M. O, de nationalité nigériane, né le 1 er juin 1995 au Nigeria, soutient qu’il craint d’être exposé à des persécutions ou à une atteinte grave, en cas de retour dans son pays d’origine, du fait de la société environnante en raison de son orientation sexuelle. Il déclare qu’il est d’ethnie igbo, de religion chrétienne et résidait dans l’Etat d’Imo. Il fait valoir à l’appui de sa demande d’asile qu’un jour, lorsqu’il avait huit ans, il a été violemment battu par son père car il avait eu un geste que celui-ci avait jugé déplacé à l’égard de l’un de ses amis. A partir de ce moment-là, il a progressivement pris conscience de son homosexualité et de l’interdiction de vivre son orientation sexuelle librement au Nigéria. En 2015, il a noué une relation sentimentale avec un collègue de travail. En novembre 2015, ils se sont tous deux inscrits à l’université et se sont installés dans le même appartement. Son compagnon a été arrêté par les forces de l’ordre le 20 novembre 2019 alors qu’ils se trouvaient au restaurant. Il a réussi à prendre la fuite en passant par une porte dérobée et s’est caché chez sa mère. Deux mois et demi plus tard, il a reçu un appel de son compagnon qui l’a informé qu’il avait été arrêté à la suite d’une dénonciation par un ex-compagnon et qu’il avait été contraint de le dénoncer aux autorités. Craignant d’être arrêté à son tour, il est parti à Port Harcourt le 7 février 2020. Quelques jours plus tard, il a appris que les autorités s’étaient présentées à son domicile. Il a rejoint Abuja en septembre 2020 et a trouvé un emploi dans une usine. Après un grave problème de santé, il s’est confié à sa responsable sur son orientation sexuelle. Avec son aide, il est parvenu à obtenir un visa pour la France en juin 2022 qu’il a rejoint en août 2022. 

6. Les déclarations étayées et personnalisées de M. O, notamment au cours de l’audience publique, ont permis d’établir son appartenance au groupe social des personnes homosexuelles au Nigéria. En effet, c’est de manière empreinte de vécu qu’il est revenu sur la prise de conscience de son homosexualité alors qu’il avait six ans. Il est ainsi apparu cohérent que, en conséquence réaction très violente de son père, il n’ait eu sa première relation sentimentale qu’à l’âge de vingt ans ainsi qu’il l’a spontanément réaffirmé devant la Cour. Il a su apporter des précisions sur la façon dont il a réussi à débuter une relation sentimentale avec son ami en profitant de la proximité qu’ils avaient réussi à établir dans leur relation de travail. Il a également exposé des éléments précis permettant de déterminer la façon dont ils ont réussi à se déclarer leurs sentiments mutuels malgré l’interdit social. Il a su décrire en détail son compagnon et la relation qu’ils ont pu entretenir pendant près de cinq ans. Il a notamment précisé la façon dont, au prétexte de poursuivre des études et d’occuper un logement universitaire, ils ont réussi à vivre ensemble pendant près de cinq années sans éveiller les soupçons de leur entourage. Enfin, il a su exposer en détail l’arrestation dont son compagnon a été victime ainsi que la façon dont il a réussi à prendre la fuite. Il découle de ces évènements ainsi que du contexte prévalant dans son pays qui a été rappelé au point 4 que ses craintes peuvent être regardées comme fondées et actuelles. Ainsi, il résulte de ce qui précède que M. O craint avec raison, au sens des stipulations précitées de la convention de Genève, d’être persécuté en cas de retour dans son pays en raison de son appartenance au groupe social des personnes homosexuelles au Nigéria. Dès lors, il est fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié"... 



Denis SEGUIN

Avocat spécialiste en droit des étrangers

Docteur en droit


http://www.cnda.fr/Ressources-juridiques-et-geopolitiques/Actualite-jurisprudentielle/Selection-de-decisions-de-la-CNDA/La-cour-reconnait-la-qualite-de-refugie-a-un-requerant-de-nationalite-nigeriane-persecute-dans-son-pays-en-raison-de-son-appartenance-au-groupe-social-des-personnes-homosexuelles


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