mercredi 13 janvier 2021

#groupesocial #Tchad #excision #réfugié

 CNDA, 5ème section, 3ème chambre,  12 janvier 2021 n°19010484, n°19010598, n°19010726:


"...5. Un groupe social est, au sens de l'article 1er A,2 de la convention de Genève précité, constitué de personnes partageant un caractère inné, une histoire commune ou une caractéristique essentielle à leur identité et à leur conscience, auxquels il ne peut leur être demandé de renoncer, et une identité propre perçue comme étant différente par la société environnante ou par les institutions. L'appartenance à un tel groupe est un fait social objectif qui ne dépend pas de la manifestation par ses membres, ou s'ils ne sont pas en mesure de le faire, par leurs proches, de leur appartenance à ce groupe.

6. Il en résulte que, dans une population dans laquelle les mutilations sexuelles féminines sont couramment pratiquées au point de constituer une norme sociale, les enfants non mutilés constituent de ce fait un groupe social. Dès lors, l'existence de ce groupe social ne dépend pas du nombre des personnes qui le composent mais du regard porté par la société environnante et les institutions sur les personnes appartenant à ce groupe, l'observation des variations des taux de prévalence des mutilations sexuelles féminines parmi les populations d'un pays, qui a pour seul objet de mesurer la présence et l'évolution de ce fait social objectif au sein de ces populations, permet d'établir, parmi d'autres facteurs géographiques, ethniques, culturels, sociaux ou familiaux, le lien éventuel entre cette persécution et l'appartenance au groupe social des enfants et des femmes non mutilées. ll appartient ainsi à une personne qui sollicite la reconnaissance de la qualité de refugiée en se prévalant de son appartenance à  ce groupe social de fournir l'ensemble des éléments circonstanciés, notamment familiaux, géographiques, sociologiques, relatifs aux risques qu'elle encourt personnellement de manière à permettre à l'OFPRA et, le cas échéant, au juge de l'asile d'apprécier le bien-fondé de sa demande.

7. Au Tchad, bien que les MGF soient pénalisées par la loi n°006/PR/2002 du 15 avril 2002 portant promotion de la santé de reproduction et l'article 318 du code pénal issu de la loi n°2017-01 du 8 mai 2017, la pratique perdure. En effet, si le rapport de novembre 2019 de l'organisation non gouvernementale 28 Too Many et l'Enquête démographique et de santé et à indicateurs multiples au Tchad (EDS-MICS) de 2014-2015 révélaient que les taux de prévalence des MGF avaient sensiblement diminué au Tcahd, les pratiques demeurent encore très répandues au sein de plusieurs communautés. Le taux de prévalence de l'excision est d'environ 38 % au niveau national mais varie considérablement selon les régions et les communautés, pouvant aller de 1 à 96 %. Il ressort en outre de l'enquête démographique et de santé à indicateurs multiples pour le Tchad de mai 2016 que le taux de prévalence de l'excision en milieu urbain plus particulièrement à N'Djamena est de 40 %. Toutefois, pour les tribus arabes, le taux de prévalence de l'excision est de  85,4 % et s'agissant de la région du Ouaddaï d'où le père de MMes H... et F... est originaire, celle-ci est l'une des régions au plus fort taux de prévalence des MGF avec un taux de 82 %. Selon un article de Radio France Internationale du 12 septembre 2020, intitulé "Bien qu'interdits, les cas d'excision se multiplient au Tchad", l'Eglise catholique tchadienne et la Commission nationale des droits de l'homme se sont alarmées de la recrudescence de la pratique des MGF dans le pays et de ce que "les autorités semblent se désintéresser du sujet", ayant "préféré la pédagogie à la sanction". De fait, le droit coutumier et le droit musulman s'appliquent concuremment avec le droit écrit, et régissent la plupart des aspects de la vie familiale et le statut de la femme, notamment les MGF...

8. En l'espèce, les déclarations de Mme D..., agissant en qualité de représentante légale de ses filles, ont permis de déterminer précisément l'environnement familial, géographique et sociologique de celles-ci. Elle a ainsi précisé l'attachement de la mère de son époux et de sa propre famille à la pratique de l'excision, pratique dont elle a elle-même été victime comme en atteste un certificat médical du 22 janvier 2019 établi par un praticien hospitalier à Angers, qui fait état de son excision de type I. De plus, son opposition à cette pratique, liée en particulier aux séquelles de cette mutilation qu'elle subit, a été exposée de manière suffisamment précise et crédible, et correspond par ailleurs à l'opinion de plus de 45 % des femmes tchadiennes âgées entre 15 et 49 ans ainsi que cela résulte du rapport de 28 Too Many cité au point 7. Dans ce contexte, et compte tenu des incertitudes entachant l'attitude de leur père, il doit être admis que Mmes H... et F... qui n'avaient pas fait l'objet d'une MGF à la date du dernier certificat médical produit, s'exposent à des persécutions en cas de retour au Tchad en raison de leur appartenance au groupe social des filles exposées à une mutilation sexuelle féminine, sans pouvoir se prévaloir utilement de la protection des autorités tchadiennes. Dès lors, elles sont fondées à se prévaloir de la qualité de réfugiée..."


Dans le même sens:

CNDA, 17 décembre 2021, 6ème section, 4ème chambre, n°20046184


cf aussi:

https://denisseguinavocat.blogspot.com/2018/07/groupe-social-tchad-excision-statut-de.html



Denis SEGUIN

Avocat spécialiste en droit des étrangers

Docteur en droit


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Statut de réfugié Opposition à mariage forcé Côte d'Ivoire

  COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE  N° 24002156    19 avril 2024  (6 ème Section, 2 ème Chambre) "...Sur la demande d’asile :  1. Aux te...